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Clémentine Vidal-Naquet, Noces de cendres

Vidal-Naquet Clémentine, Noces de cendres, un voyage dans les ruines de la Grande Guerre. Paris, La découverte, 2024, 289 pages.

Spécialiste du couple dans la Grande Guerre, Clémentine Vidal-Naquet poursuit son travail en prenant comme objet de recherche un album photographique. Son ouvrage est le fruit de son mémoire pour le HDR (habilitation à diriger des recherches), ce qui a conduit à une mise en forme très rigoureuse et très universitaire dans le bon sens du terme. Les citations sont précises, les références aux sources et aux ouvrages utilisés systématiques et reportés dans de riches notes de fin de chapitre.

Travaillant dessus depuis 2011, la chercheuse a utilisé un nombre considérable de sources qu’elle présente avec soin au lecteur à la fin de l’ouvrage quand elles font souvent simplement l’objet d’une liste. Il en est de même pour l’abondante bibliographie qui propose, de manière toujours guidée, une riche sélection d’ouvrages en rapport avec des thématiques peu connues du grand public.

L’ouvrage est construit de manière thématique où chaque chapitre s’achève par une mise en perspective particulière.

  • Un objet extraordinaire pour une recherche stimulante

Cet album photographique isolé est un objet unique dont l’histoire de l’arrivée dans un fonds public ne prend sens qu’à la fin de l’étude. Il permet à la chercheuse de s’intéresser à un des angles morts de la recherche. En effet, faute de sources, elle met en évidence les lacunes sur la vie des couples au retour du mobilisé. Cette recherche de micro-histoire n’est pas sans rappeler celui réalisé par Stéphane Audouin-Rouzeau1 qui avait travaillé sur des deuils bien documentés. Point question de deuil ici, mais du cadeau d’un ancien combattant à son épouse pour fêter leur première année de mariage : un album photographique retraçant leur voyage de noces sur les pas de son parcours au front en septembre 1919.

L’autrice ne tombe pas dans le piège de la généralisation. Au contraire, elle met bien en évidence la difficulté de la démarche. En effet, les sources manquent : la correspondance s’est tarie, les témoignages sur cette période également et ne s’en tenir qu’aux divorces ne pousserait qu’à se focaliser sur un cas particulier.

L’introduction est consacrée à expliciter la démarche, à en délimiter les objectifs tout en mettant bien en avant les limites. Il ne s’agit évidemment pas de faire d’un cas une généralité mais de s’interroger autour de ce cas pour réfléchir sur une thématique particulièrement peu étudiée et ses ramifications. Le peu de sources privées disponibles, en particulier sur l’épouse, fait que de nombreux points seront des hypothèses, l’autrice étant bien consciente du risque de tomber dans la surinterprétation. Il s’agit de découvrir un objet lui même fruit de choix personnels de l’ancien combattant qui est à la fois une narration du voyage de noces et un récit de son parcours de combattant. J’insiste bien sur le mot « combattant » car ses classes, son passage en zone des armées en unité d’instruction ne sont pas représentés ni visités.

La construction de l’ouvrage n’est pas sans rappeler celui d’Odile Roynette sur le drapeau du 36e RI, sorti le même mois : un objet unique, la recherche de son histoire permettant d’aborder un grand nombre de thématiques. On observe un foisonnement de ramifications passionnantes qui donnent le sentiment – fort stimulant – d’en apprendre plus à chaque page.

Quand Clémentine Vidal-Naquet s’arrête sur une photographie ou un élément de l’album, c’est pour développer une idée, une thématique : le mariage, la place de la femme… On voit alors très clairement l’utilité de sa démarche : au-delà de l’énoncé des difficultés, c’est suivre le fil d’un thème, montrer des évolutions, partir de l’objet pour le recontextualiser. Ainsi réussit-elle à expliciter le choix du lieu de la photographie, la posture de chacun, le port ou non de la moustache, le départ des mariés le soir même de la cérémonie pour un voyage de noces et non plus un repas de noces. Toutes ces évolutions sont présentées très clairement, appuyées toujours sur les travaux de pairs. En fait, c’est une synthèse qui s’offre au lecteur.

Évidemment, certains points restent de l’ordre de l’intime et sont invisibles pour l’historienne, ce qu’elle appelle « Les silences du récit ». On pense évidemment à la nuit de noces mais aussi à l’histoire amoureuse qui a conduit à ce mariage faute de sources.

Il est fortement recommandé de consulter en ligne l’intégralité de l’objet de l’étude. C’est un plus réel car au lieu d’avoir quelques pages, quelques clichés reproduits, on dispose de numérisations que l’on trouvera toujours trop petites, mais qui permettent de suivre la recherche tout comme le voyage proposé par son auteur. Cette consultation permet également de compenser le seul petit manque du livre à mon goût : l’absence d’une carte.

Ensuite, la chercheuse étudie le parcours, les choix photographiques, les trajets et nous fait découvrir l’organisation de ce tourisme de guerre à une époque où l’on est déjà conscient du caractère éphémère de ces paysages avant reconstruction. Elle met en parallèle le parcours avec la carrière militaire de Gérald Debaecker. Engagé volontaire, son passage en unité combattante est difficile à déterminer. Puis envoyé dans l’aviation, ses affectations successives sont tout aussi complexes à affiner au-delà de la simple unité. Finalement, il revient dans l’infanterie au 54e BCP en 1918 dans des circonstances que l’on découvre à mesure de la lecture. On y observe les difficultés habituelles pour reconstruire le parcours précis d’un mobilisé. Elles sont compensées en partie par les recherches poussées réalisées et par la suite du parcours qui donne des clefs d’interprétation.

Après l’étude du mariage, du voyage de noces, du tourisme de guerre, des silences, du parcours de guerre, l’autrice conclut sur tout ce que nous apporte ce document mais aussi sur la difficulté de faire le tri dans tout ce qui a été trouvé sur la vie de ces familles à l’époque. Mais elle s’interroge également sur la suite et sur le moment où arrêter la recherche. Le choix de Clémentine Vidal-Naquet de poursuivre la recherche est doublement convaincant : d’abord car le lecteur appréciera de découvrir la suite de la vie de ce couple. Ensuite, le choix de Gérald Debaecker pendant l’entre-deux guerres puis son engagement dans la collaboration active pendant l’Occupation offrent une grille de lecture très utile pour comprendre certains éléments de l’ album, à commencer par son isolement alors qu’il y avait d’autres volumes. Une fois encore, l’autrice ne tombe pas dans le piège d’interpréter ce parcours à l’aune de la guerre, mais utilise les éléments de cette période pour essayer de mieux comprendre certaines lacunes du parcours militaire de Gérald Debaecker. En somme, Clémentine Vidal-Naquet nous propose un complément aussi instructif et stimulant que la partie sur l’album proprement dite.

  • En guise de conclusion

Pour qui s’intéresse au mariage au début du XXe siècle, à la représentation sur les photographies, au voyage de noces, au tourisme de guerre, à l’effacement des femmes dans les sources, ce livre s’adresse à vous. Évidemment, la vie d’après pour les mobilisés occupe une grande partie de la recherche, tout comme la construction de vie de couple sur ces cendres. Mais il y a bien un aspect universel qui se dégage du livre, sans vouloir faire de cet unique album un résumé de tous les Français. Il permet en tout cas d’aborder de nombreux thèmes habilement présentés par Camille Vidal-Naquet. Surtout, il montre ce que la rigueur de la recherche peut donner de meilleur quand on s’intéresse à un parcours. Le niveau de détails mais aussi la qualité de leur présentation et de la rédaction font que l’on suit facilement la construction de cette recherche. C’est une invitation à toujours chercher plus loin, sans tomber dans le roman, dans l’imaginaire mais en s’appuyant sur les sources, sur les travaux publiés et sur des hypothèses. Sans pour autant que le texte ne soit austère ou rébarbatif à lire, sans qu’il soit d’une grande sécheresse et simplement factuel, Clémentine Vidal-Naquet parvient au contraire à écrire avec sensibilité, à donner un peu de chair à ces silhouettes sur des images passées au parcours reconstitué avec soin sans tomber dans les pièges d’une écriture romancée. Je le répète une fois encore, un ensemble stimulant quand on s’intéresse au parcours des mobilisés et, pour une fois, de leur famille car montrant jusqu’où l’on peut aller.

  • Pour aller plus loin :

Certaines pages de l’album sont reproduites en fin d’ouvrage mais ne remplacent pas la découverte indispensable de l’album photographique complet du voyage de noces de Gérald et Berthe Debaecker sur le site de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. On regrettera juste une mise à disposition empêchant tout zoom sur les images.
Notre voyage de noces – Historial de la Grande Guerre

Exemple de page de l’album.

Introduction du livre sur le site de l’éditeur : https://www.editionsladecouverte.fr/noces_de_cendres-9782348057878

Podcasts de l’autrice

Attention : ces podcasts, en raison de leur durée, dévoilent un grand nombre des éléments de l’ouvrage.

– Chemins d’histoire, émission 196 : Un voyage de noces dans les ruines de la Grande Guerre, avec Clémentine Vidal-Naquet
Emission 196 : Un voyage de noces dans les ruines de la Grande Guerre, avec Clémentine Vidal-Naquet – Chemins d’histoire (cheminsdhistoire.fr)

– France Culture 18 septembre 2024 :
1919, voyage de noces sur les ruines de la Grande Guerre : épisode 3/4 du podcast Après la bataille, ruines et mémoires de guerre | France Culture (radiofrance.fr)

– RTS, Histoire vivante, 7 octobre 2024 : série de cinq podcasts.
Berthe et Gérald d’une guerre à l’autre – Un album photo (1/5) : Jour de mariage – rts.ch – Portail Audio


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  1. AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, Cinq deuils de guerre (1914-1918), Paris, Taillandier, 2013 (2001). 256 pages. ↩︎
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