Hubert Meyer, faux engagé volontaire, vrai combattant
Malgré sa rigueur et la précision de ses règlements, l’administration militaire dut parfois faire face à des situations inattendues : soit elle fut piégée comme par cet adolescent trop jeune pour s’engager mais qui y parvint malgré tout, soit la procédure ne fut pas respectée (voir le cas de cet engagé volontaire sans visite médicale – Hossenlopp), soit elle dut régulariser une situation qui n’aurait pas dû exister. Tel fut le cas d’Hubert Meyer.
- Un engagé volontaire comme les autres ?
Avant de répondre à cette question, revenons à la vie d’Hubert Meyer avant la guerre. Cet homme est né en 1862 à Dombach dans le Bas-Rhin. Cet Alsacien est né avant la guerre de 1870 qui vit l’annexion de ce département par le IIe Reich.
Il n’est pas à proprement parlé un optant car ce n’est qu’en 1894 qu’il obtint la nationalité française.
En ce qui concerne ses obligations militaires, même si sa fiche matricule est comprise dans la classe 1894, année de son recensement, c’est le sort de la classe de mobilisation de 1882 qu’il suivit, celle concernant les hommes de son âge. Il ne fut « astreint qu’aux obligations des hommes de son âge », à savoir une dernière période d’exercices de 28 jours comme réserviste de l’armée d’active, en 1896 au 36e RI. Il passa ensuite dans l’armée territoriale. Il fit une dernière période d’exercices en octobre 1898 au 19e RIT et ses obligations militaires s’achevèrent le 1er octobre 1908.
Une fois sa fiche matricule complétée, les autres documents concernant ses années d’obligations militaires furent brûlés réglementairement par le bureau de recrutement de Falaise dont il dépendait. Le registre matricule dans lequel est sa fiche n’est plus qu’une archive. Fin de l’acte 1.
- Acte 2 : 2 août 1914
L’affiche de la mobilisation générale est placardée partout en France. Hubert décide de partir pour le front. Dans son cas, il semble qu’il ait affirmé s’être engagé volontairement le 2 août 1914 à la mairie de Bretteville-sur-Laize. A-t-il fourni de faux documents lorsqu’il se présenta le 3 août 1914 à la caserne du 36e RI ? Impossible de le dire en l’absence de consultation d’autres sources. Il serait toutefois surprenant qu’il ait été cru simplement sur parole, qu’on lui ait créé un livret matricule et qu’on l’ait immatriculé au corps sans pouvoir s’appuyer sur des documents officiels. Même le bureau de recrutement enregistra l’information dans la fiche de la liste matricule créée pour l’occasion. Il partit donc avec le 36e RI dès le 5 août, ce qui montre une détermination à partir se battre, car les réservistes pris pour compléter les rangs du régiment d’active étaient le plus souvent des réservistes récents et non des hommes dont l’âge faisait qu’il aurait dû, au mieux, être un garde civil.
Sa campagne ne fut pas très longue : le 17 septembre 1914, il fait partie des 948 soldats portés disparus au château de Brimont. Il est prisonnier des Allemands. L’historique du régiment est un peu plus loquace à ce sujet. On y lit : « Malheureusement, depuis le 16, aucune liaison n’est possible avec le 2e bataillon au château de Brimont : sans munitions, sans vivres, ce bataillon est fait prisonnier ».
- Acte 3 : prisonnier de guerre
Son statut d’Alsacien est déjà un problème en soi. Peut-être ne fut-il pas considéré comme un déserteur. Ce qui aurait pu être grave également, c’est le fait qu’il soit parti au combat sans s’être réellement engagé. En réalité, pour l’administration militaire française, il est bien enregistré, il a son matricule, son livret militaire. Dans le cas contraire, considéré comme un franc-tireur, il aurait aussi pu être exécuté sur place.
Sur sa détention, la liste matricule ne donne que les deux camps par lesquels il transita, sans plus de détails : Quedlindburg et Zerbst. Reste à savoir maintenant comment l’administration militaire française a compris que cet homme n’avait en fait aucun acte d’engagement valable. Quand le pot aux roses a-t-il été découvert ? Peut-être au moment de son internement en Suisse en 1917 ?
Il est interné à Vervey, en Suisse, le 31 juillet 1917. Les Allemands estiment donc qu’il n’est plus apte à combattre. D’ailleurs, il rentre en France le 20 décembre 1917. C’est entre cette date et le 14 juin 1918 que sa situation fut régularisée : il passa ce 14 juin devant la commission de réforme de Caen qui le classa réformé n°1 avec gratification. Ce même jour, une décision du ministre de la Guerre l’autorisa à contracter un engagement volontaire rétroactif en bonne et due forme à compter du 3 août 1914, date de son arrivée à la caserne du 36e RI. Ainsi, sa situation fut régularisée et il signa officiellement son engagement volontaire le 2 juillet 1918.
Après-guerre, il subit le contre-coup de sa captivité avec un état général « passable » en 1923. La même année, il fut autorisé à porter la croix du combattant volontaire. Par contre, la Légion d’honneur lui fut refusée en 1939. Il finit sa vie dans la petite commune du Calvados de Bretteville-s/-Laize où il passa toute sa vie.
- En guise de conclusion
Cet exemple montre une fois de plus la grande variété des cas qui peuvent exister. Avec cet homme, on constate que chaque parcours est individuel, et qu’il est bien difficile de s’écarter des documents pour comprendre ses motivations. Patriotisme exacerbé par la volonté de libérer son Alsace ? Simple volonté de partir à l’aventure, de quitter la monotonie de son quotidien de jardinier ? Impossible de le dire, les archives sont muettes à ce sujet.
Reste qu’il s’agit d’un cas exceptionnel : les engagés volontaires appartenant aux classes libérées du service militaire ne furent pas si nombreux. Ce cas d’homme ayant menti pour partir avec le régiment d’active est, pour l’instant, unique. Mais rien ne dit que d’autres ne se cachent pas dans la liste matricule d’un autre département… Bonnes recherches !
- Sources :
Archives départementales de l’Orne : https://archives.orne.fr/
– Fiche matricule d’Hubert Meyer, classe 1894, matricule 162 au bureau de recrutement de Falaise.
– Liste matricule d’Hubert Meyer, classe 1914, matricule 61 au bureau de recrutement de Falaise.
– JMO du 36e RI, SHD 26 N 612/1.