Aller au contenu

75 – En marche au 127e RI avec Germain Grapth, 1913-1914

Les clichés non posés sont moins courants. Donc, quand j’en trouve un, j’ai tendance à vouloir le faire parler. Faute de contexte et de tout élément écrit, c’est aussi l’occasion de suivre le parcours du soldat Germain Grapth. Voici une photographie qui permet de découvrir un parcours plus complexe qu’il n’y paraît.

AD62, 10 NUM 41/4 – Militaires défilant.
  • En marche !

Des soldats en train de marcher, la belle affaire ! La photographie est passée, de taille réduite et pour aider numérisée de manière médiocre, mais une image qui fixe un instantané et non une pose stéréotypée.

Pas de numéro de col lisible, peu d’éléments identifiables afin de localiser la prise de vue. Tout au plus arrive-t-on à distinguer une rue pavée, une porte de grange et un bout de rue perpendiculaire… à moins que ce ne soit la rue qui forme un virage !

Pas de verso pour savoir s’il y aurait un texte donnant des bribes d’indices, cette photo carte n’en dit pas plus que ce qu’elle montre. Toutefois, le fonds d’où elle provient permet de la dater entre octobre 1912 et août 1914, avant la mobilisation. On sait aussi que le soldat concerné par les clichés conservés est Germain Grapth, incorporé avec la classe 1911 en octobre 1912 au 127e RI.

Le 63 noté sur le cliché n’est pas un indice inutile. Inscrit par le photographe, on trouve sur le site du Chtimiste le numéro 65 fort probablement de la même série, d’autant qu’il s’agit une nouvelle fois de soldats du 127e RI en marche. Ce cliché n’apporte hélas aucune information supplémentaire de manière immédiate.

Source : site du Chtimiste. Accès direct au cliché.

Cependant, un photographe qui prend plusieurs clichés voire des dizaines – s’il a commencé la numérotation à ce moment – pour une marche pourrait indiquer un événement inhabituel pour le régiment. Est-ce à l’occasion d’une marche d’épreuve au printemps 1913 ou 1914 ? Lors des manœuvres d’automne 1913 ? Ou lors d’un déplacement vers un camp pour des exercices ? Pour l’instant, il n’y a que des hypothèses impossibles à vérifier avant de trouver un autre cliché de la série daté et contextualisé.

C’est donc avant tout pour cet instant non posé que cette photographie est intéressante. En rang par quatre, les hommes marchent avec l’équipement complet.

Ils sont séparés par section et un sous-lieutenant est accompagné d’un sergent, bien que sa marque de grade ne soit pas visible en raison de la qualité médiocre de la numérisation.

Quelques détails complémentaires viennent ajouter à l’intérêt du cliché :

– La pastille à l’avant du képi qui indique qu’il appartient à la collection d’instruction ;
– L’aérateur sur le côté du képi, souvent peu visible sur les clichés ;
– Le bouton permettant de tenir ouvert le pan de capote.

La qualité médiocre de l’image en raison d’une forte compression empêche de rendre lisible le panneau visible sur la grange ou une silhouette fantomatique. Cette dernière fait penser à un cuirassier, ce qui pourrait attester un cliché pris lors de manœuvres.

Au-delà de ces interrogations sur ces quelques détails, le fonds permet de s’intéresser au parcours du soldat Germain Grapth et ainsi éventuellement de le retrouver sur le cliché.

  • Germain Grapth, tailleur

Né en 1891, Germain est un des trois enfants survivants sur les six nés du couple. Les parents sont artisans : sa mère est couturière et son père est tailleur d’habits. On ne peut donc être surpris de constater que Germain, au moment de son recensement est noté comme tailleur d’habits. Déclaré bon pour le service actif, sa fiche matricule nous apprend qu’il est incorporé le 10 octobre 1912 au 127e RI. C’est à peu près tout ce que l’on apprend de son parcours militaire.

Il passe devant le photographe afin d’obtenir le classique portrait en uniforme. Si l’un porte un prix de tir sur la manche gauche, la coiffure identique, la moustache particulièrement soignée, la veste d’uniforme de prêt laissent penser qu’elles ont été prises le même jour. On note que la qualité des images mises à disposition est si médiocre que la cicatrice sur son front ne peut même pas être cherchée au cas où elle aurait été bien visible.

AD62, 10 NUM 41/3 – Portraits de studio.
AD62, 10 NUM 41/3 – Portraits de studio.

La question est maintenant de savoir où est Germain sur le cliché des soldats en marche, voire simplement s’il y est. Le seul indice disponible est la moustache. Un seul homme porte cet attribut, mais vu de profil, impossible de dire si c’est notre homme. À moins qu’il ne s’agisse de l’homme à sa gauche, bien que les moustaches tombantes ne plaident pas pour lui.

Deux autres clichés appartiennent aux documents versés. Ils montrent des groupes, l’un lors d’une séance d’exercice, l’autre dans un camp. En l’absence de verso, elles sont à nouveau sans date ni contexte et on peut même s’interroger sur le lien direct avec notre soldat, les numéros de col étant illisibles et la qualité rendant bien difficile une identification.

AD62, 10 NUM 41/4 et 5 – Photographies de groupe.
AD62, 10 NUM 41/4 et 5 – Photographies de groupe.

Sur le premier cliché, une fois éliminés les sous-officiers, il reste peu de soldats avec la moustache, en partant de l’hypothèse que celle de Germain soit restée la même et qu’il ne se la soit jamais coupée. On aimerait avoir plus souvent une croix d’identification. L’homme pouvant ressembler le plus est le premier assis en partant de la droite. Cependant, ses oreilles ne ressemblent pas du tout à celles du portrait.

Les indices sont plus nombreux sur la seconde photographie. En effet, une fois enlevés les musiciens, on peut proposer un visage ressemblant.

Même si le numéro de régiment reste illisible en raison d’un document fortement pixelisé mis à disposition, un détail plaide pour un lien direct avec Germain : on y observe des hommes en train de coudre. Or, on sait que civil, il était tailleur d’habits, qu’il était affecté à la CHR à la mobilisation et qu’il a travaillé à l’atelier du maître tailleur. Difficile d’avoir des certitudes tant les visages sont touchés par les déperditions liées à la piètre qualité de l’image numérique.

Un homme a noté « 91 » sur sa veste. Hélas en l’absence d’année pour ce cliché, impossible de dire si elle a été prise fin juin 1913 ou fin juin 1914. En effet, la classe 1911 état la dernière à ne devoir passer que deux ans sous les drapeaux et son passage dans la réserve de l’armée d’active était prévue au 1er octobre 1914.

La mobilisation générale en décida autrement.

  • Germain Grapth mobilisé

Paradoxalement, malgré une fiche matricule vide pour sa campagne, c’est cette période qui offre le plus de certitudes. En effet, quelques bribes des courriers envoyés ont été conservées et donnent des éléments clefs.

Germain Grapth n’est pas parti avec le régiment début août 1914. Il est resté au dépôt, affecté à l’atelier du maître tailleur. Il participe donc au « repliement » du dépôt qui est relocalisé d’abord à Rouen en août 1914 puis avant le mois de novembre 1914 à Guéret dans la Creuse.

On sait avec certitude que début février, il apprend que son temps est compté dans son atelier. Il écrit le 20 février 1915 « jusqu’à présent j’étais toujours à l’atelier mais on vient de nous relever pour être remplacés par des inaptes ce qui fait que je pars demain pour le front ». Ainsi, il quitte Guéret le 21 février 1915 si l’on en croit son courrier.

Il rejoint en Champagne le 127e RI qui vient de subir de lourdes pertes les 19 et 20 février, avec près de 500 tués, blessés et disparus. Du 23 au 26 février, les trois bataillons du 127e RI sont au repos, ce qui a dû permettre l’amalgame des renforts reçus. Hélas, le JMO n’en dit rien. Le 28 février puis le 1er mars, les ordres d’attaque contre les lignes allemandes du Bois en Équerre se succèdent.

Alors qu’il écrivait quelques jours auparavant « j’espère bien m’en tirer à bon compte », son premier séjour en première ligne lui fut fatal à peine arrivé dans la zone des armées.

Figure : Situation du front au 24 février 1915.
Source : SHD GR 26 N 467/3, vue 7.

Le deuxième jour, une vague du bataillon de Germain part à l’assaut mais est fauchée par les mitrailleuses dès la sortie des tranchées. Toutefois l’attaque se déroule à 16h30, or la mort de Germain est indiquée comme s’étant passée à 11h00. Dans ces circonstances, on peut imaginer qu’il a été tué par un obus. Deux témoins attestent de son décès. Il est l’un des quinze tués du 127e RI enregistrés ce 1er mars 1915. La famille cherche à retrouver le corps en 1920, en vain ; est-il resté sur le terrain ? Est-il dans un ossuaire ?

  • Un gars du Nord

Dernière caractéristique de notre soldat est qu’il n’a plus aucune nouvelle de sa famille à partir du 22 septembre 1914. il s’en plaint dans ses courriers à son oncle et à sa tante. Il ne sait rien de ce qui a pu arriver à son père, à sa mère et à ses deux sœurs restés dans la zone désormais sous contrôle allemand. La réciproque est tout aussi vraie. Comment la famille apprit-elle la disparition ? Quand ? Impossible de le savoir à la lumière des rares documents conservés.

Le père décède en décembre 1926 et son épouse en mars 1931, tous deux à Vaulx-Vraucourt. Ils sont inhumés avec leur fille dans un caveau familial dans le cimetière communal.

  • En guise de conclusion

Outre un outil de consultation en deux étapes chronophage et peu efficace, il est dommage que les Archives départementales du Pas-de-Calais ait mis à disposition des clichés aussi dégradés par la compression choisie. Le cas de Germain Grapth montre à quel point chaque détail peut avoir son importance : les versos (ou au moins indiquer s’ils sont vierges de tout écrit), des images permettant un zoom net digne de ce nom (ici, pancartes, arrière-plans sont illisibles) ; certes le choix d’un poids d’image moindre est gage de coût et de serveurs réduits, mais c’est au détriment de l’usage. À quoi bon mettre à la disposition des documents dont on ne peut faire qu’un usage limité sur le fonds ?

Au final, le parcours et les documents concernant ce soldat aboutissent à plus de questions que de certitudes. La recherche, une fois encore, est loin d’être achevée.

  • Remerciements :

À Thibaut V. qui a, une fois encore, débloqué la recherche sur le décès des parents ainsi qu’au Chtimiste.

  • Sources :

Archives départementales du Pas-de-Calais :

10 NUM 41 : fonds concernant le soldat Germain Grapth (1891-1915).
http://archivesenligne.pasdecalais.fr/v2/ark:/64297/c90fb28a7850caff03338e193eda1b22

10 NUM 41/3 – Portraits de studio
10 NUM 41/4 – Militaires défilant
10 NUM 41/4 et 5 – Photographies de groupe
10 NUM 41/6 à 9 – Courriers isolés

M 4263 – Recensement de population de Vaulx-Vraucourt, 1896.
http://archivesenligne.pasdecalais.fr/v2/ark:/64297/df1e7a0121c0e7152c86971d89de3a57

3 E 209 : Tables décennales de la commune de Vaulx-Vraucourt 1923-1932.
http://archivesenligne.pasdecalais.fr/v2/ark:/64297/886f29153ab145920fdae472eadac359

3 E 839A/12 : Acte de naissance de Germain Grapth, commune de Vaulx-Vraucourt, 1891.

3 E 839A/19 : Transcription acte de décès de Germain Grapth, commune de Vaulx-Vraucourt, 1920.
http://archivesenligne.pasdecalais.fr/v2/ark:/64297/53eb40882abed9846edbf66c1431a990

1 R 7174 : Fiche matricule de Germain Grapth, classe 1911, matricule 1341 au bureau de recrutement d’Arras.

Service Historique de la Défense

SHD GR 26 N 686/1 : JMO du 127e RI

Site du Chtimiste

http://www.chtimiste.com/album/Active/100e%20au%20176e%20RI/127e%20RI/Groupes%20de%20soldats/slides/regiment127%206.html


Retour à la galerie des recherches sur les photographies d’avant 1914

Étiquettes:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *