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72 – Fernand Pinsard, SHR du 46e RI, Fontainebleau

J’ai un petit faible pour les clichés pris en intérieur. Ils sont plus rares car techniquement la lumière naturelle était plus simple à utiliser. Ils montrent donc des scènes peu vues, en particulier la chambrée qui était un espace important pour les conscrits. Les images en intérieur fourmillent de détails, dont certains aiguisent encore plus ma curiosité. Mais dans le cas présent, c’est surtout le rédacteur du courrier qui a fait l’objet de mon attention initiale.

  • L’impasse de Gaston Pinsard

Un « Pinsard » écrit à « Gaston Pinsard ». On dispose de l’adresse ce qui laisse augurer une recherche de l’expéditeur simple et peut être un lien familial aussi aisé à retrouver. Le destinataire Pinsard Gaston a été localisé. En l’absence de recensement de population disponible pour 1911 à Ormes ou à Ingré, les deux communes liées à ce Pinsard, sa fiche matricule était un espoir de trouver des informations. Elle ne nous apprend rien. En effet, classe 1909, Gaston Joseph Ernest est exempté et ayant été maintenu dans cette position pendant la guerre, il ne dispose pas de fiche matricule. Il est le fils d’Arsène Oscar Ernest qui vivait à Vessard à la naissance de son fils.

Que reste-t-il pour identifier l’expéditeur ? Quelques indices dans le court texte et sur l’image. Court texte car le tarif de 5 centimes n’autorisait que cinq mots. On a :

« Bonne année
255 après le jus
f [?] Pinsard [?]
SHRD 46e d’infanterie
Fontainebleau »

On est largement au-dessus des cinq mots, mais l’auteur a agit avec habileté : l’affectation est dans sa signature et la localisation est écrite de manière minuscule.

L’oblitération est partiellement lisible. On devine une date, le « 10-1-12 » et « FONT… – SEINE ET MAR… ». Cette dernière information ne fait que confirmer le lieu, Fontainebleau. Par contre, la date visible sur le timbre est importante. Elle permet de déterminer une classe de soldats pour notre Pinsard. En effet, en janvier 1912, on ne trouve que deux classes sous les drapeaux : celle de 1909 et celle de 1910. Celle de 1909 doit être libérée fin septembre 1912. Or, l’auteur note qu’il est libéré dans 255 jours. 10 janvier 1912 + 255 jours = 20 septembre 1912. Il faut donc chercher en priorité un homme de la classe 1909 ou 1908 s’il s’agit d’un omis par exemple. La recherche a également été menée pour la classe 1910 en cas d’engagement volontaire.

Voici le tableau des Pinsard du Loiret pouvant avoir été sous l’uniforme en janvier 1912, un seul est affecté au 46e RI, Fernand Pinsard, classe 1909, libérable en septembre 1912.

190819091910
749 (artillerie)652893 (151e RI)
403 (76e RI)107 (46e RI, SX)
1155 (Exempté)136 (76e RI)

La bonne affectation ne suffit pas. On peut également lire la lettre du prénom à la fin de la signature comme un « f » comme « Fernand » ou au début. Tout semble correspondre : la signature, la classe, l’affectation.

  • Affecté à la Section Hors Rang du 46e RI

Fernand Pinsard commence son service actif avec le reste de sa classe le 3 octobre 1910 au 46e RI. Cependant, le 25 janvier 1911 la 3e Commission de réforme de la Seine le classe dans le service auxiliaire en raison d’une acné généralisée et d’une tumeur bénigne de la région cervicale. Dès le 6 février, il est classé Service auxiliaire. Il ne rentre pas pour autant chez lui. Étant mécanicien, il peut être utile dans une caserne, bien qu’on ne sache pas quelle fonction on lui attribua. Il est affecté à la Section Hors Rang, la SHR qui regroupe les hommes ayant une fonction particulière dans la compagnie : cuisinier, infirmier, ouvrier…

Si on ne peut pas être certain que tous les hommes visibles appartiennent à la SHR du 46e RI, on peut constater que plusieurs n’ont pas l’uniforme classique, mais des tenues de travail. Sur l’image ci-dessous, à gauche, cela ressemble à une tenue de cuisinier et à droite à une tenue d’ouvrier. Mais impossible d’aller plus loin qu’une simple hypothèse d’interprétation.

En tant que service auxiliaire, il n’est pas astreint à certains exercices. Il termine son service actif en même temps que les autres conscrits de sa classe, le 25 septembre 1912.

Il n’est pas mobilisé le 2 août 1914 mais arrive à la caserne du 131e RI d’Orléans le 5 novembre 1914. Il est maintenu au service auxiliaire tout au long du conflit par toutes les commissions spéciales devant lesquelles il doit se présenter. Finalement, à partir du 4 mars 1915, il est placé en sursis pratiquement sans interruption jusqu’en 1919. Cette fois-ci, son métier de mécanicien en est la cause sans l’ombre d’un doute.

L’identification de Fernand Pensard sur le cliché est pour l’instant inenvisageable, comme trop souvent. Les éléments de physionomie disponibles sont trop imprécis. On sait qu’il mesure 1,62 m et qu’il a un menton rond fuyant avec un visage ovale. Pour observer l’aspect fuyant du menton, une vue de face n’est pas le plus simple, or tous ces hommes sont bien positionnés face au photographe. Quant à des traces d’acné mentionnées dans sa fiche matricule, le grain de l’image est insuffisant pour l’observer.

Il reste l’espoir qu’un autre cliché soit mis un jour en ligne.

  • Compter les jours

C’est une thématique très présente dans l’image. Elle l’est d’abord sous la forme d’un panneau avec probablement la date de libération. Sur un calendrier 1912, le 23 et un nom de mois long n’auraient aucun sens s’il s’agissait par exemple de décembre. Une allusion au 23 ou au 25 septembre semble plus cohérente même si on ne peut complètement effacer l’hypothèse du 23 décembre 1911 pour le jour de prise du cliché.

Le trou réalisé dans l’objet peut s’expliquer de la manière suivante : s’il s’agit d’un calendrier fourni par l’éditeur Henri Charles-Lavauzelle, le conscrit pourrait avoir découpé les mois d’octobre, novembre et décembre afin de pouvoir rayer les jours jusqu’à sa libération. Ce qui irait encore plus dans le sens du 23 septembre, les hommes n’étant pas tous libérés le même jour.

Plus certainement, sur l’image ci-dessus on observe un calendrier de la classe. Vu ses dimensions inhabituelles, son style un peu naïf et ce qui ressemble au guillochage d’un carton, il pourrait s’agir d’un modèle fait maison. En tout cas la thématique ne fait aucun doute : le soldat qui court pour rentrer chez lui avec sa valise percée de trois carrés permettant de voir le nombre de jours encore à faire. Le système de décompte est élaboré bien qu’artisanal, il semble être réalisé à l’aide de trois cylindres. L’image manque une fois encore d’un tout petit peu de finesse, mais ces détails sur la photo carte originale sont réellement minuscules : la valise mesure 3 mm x 1,7 mm ! Cette production illustre à merveille l’article du Journal de la Manche et de la Basse-Normandie. Voici ce que note Jacques Rozières dans l’édition du 25 septembre 1912 : « Cependant, le « bleu », lorsqu’il commencera à se « dessaler » et à se sentir devenir troupier, se mettra en mesure d’acquérir ou de confectionner lui-même un « Calendrier de la classe ». Cet usage a donné naissance à toute une petite bimbeloterie des plus curieuses. Sous sa forme la plus simple, le calendrier de la classe sera un simple carton traversé par des rubans à tirets. Se perfectionnant, le carton s’illumine d’une image et d’une légende (…). »

Plus difficile encore est la lecture de ce qui est écrit sur le panneau. On peut imaginer un « Vive la classe », mais sans certitude évidemment car on distingue une flèche de direction pointant vers la droite. Le panneau pourrait être le nom du lieu du domicile du caporal, ou l’indication de la gare ou simplement de la sortie. En retravaillant le contraste et la saturation, on semble deviner « PARIS PLM ». Autre hypothèse : peut-être est-il noté « PARTEZ » ? Par contre, le compteur de jour reste illisible.

Pour terminer, la majorité des hommes portent le bidon de la classe de différents modèles, déjà vus à plusieurs reprises dans ces études d’images.

  • La chambrée et ses multiples détails

On voit nettement la porte d’entrée de la chambrée qui est fermée. Des lits sont répartis de chaque côté. Des claustras en bois créent une forme d’intimité.

Au-dessus de la porte, une lampe à pétrole avec un halo noirci tout autour et au-dessus. La porte est fermée et on peut voir trois feuilles épinglées. Peut-être s’agit-il des « planchettes » réglementaires « destinées à recevoir l’extrait de l’état des lieux et de l’inventaire, du mobilier dressé par les soins des corps ». Peut-être est-ce pour l’une le rappel des corvées ou des responsabilités de chacun dans la chambrée pour la semaine ?

Chaque soldat a à sa disposition une portion de planche à bagages (formée de planches en bois fixées au mur au-dessus des lits) et une portion de porte-manteau. Sur la planche, il doit placer son havresac ainsi que les effets de rechange (pantalon de treillis, bourgeron…), le havresac, la gamelle, le tout dans un ordre réglementaire (ce qui ne semble pas vraiment le cas ici). Sur le peu d’espace restant, chaque homme peut y disposer des effets personnels de petite taille ou une caisse qui se ferme à clef afin d’éviter de se faire voler ses affaires. Sur l’image ci-dessous, on observe de gauche à droite : ce qui semblent être des effets de toilettes ; la pile composée, de haut en bas, du havresac, d’effets d’habillement, d’une caisse en bois réglementaire ; une boite en bois à serrure d’achat personnel.

Sur le porte-manteau, on observe des ceinturons. Une petite planche a été ajoutée entre l’étagère et le porte-manteau à droite du claustra. Des crochets ont été fixés dedans et un quart et un sac y sont suspendus. Quoi qu’il en soit, les effets sont peu nombreux et le peu de place pour les effets personnels empêche d’en accumuler de trop.

Au niveau de la place près du claustra de gauche sur l’image, on note que le porte-manteau est absent. Le soldat qui occupe cette place s’en est accommodé en utilisant des crochets fixés dans la planche à bagages.

Un dispositif étonnant est visible deux fois dans cette image. Il s’agit d’une série de baguettes reliées qui forment un petit étendoir.

  • Toujours plus de détails

Pour terminer, voici un dernier point frustrant : outre le fait que Fernand Pinsard n’est pas identifié sur l’image, trois autres soldats auraient pu être retrouvés. Mais il y a un énorme « si » : si les informations avaient été lisibles. Elles sont là pourtant, mais bien trop petites même en numérisant à 4800 dpi.

Une étiquette réglementaire indiquant le soldat à qui cette place est attribuée. Les autres étiquettes sont masquées par les hommes photographiés.La boite d’un soldat indique son matricule au corps, le « 1634 ». On trouve aussi son nom, enfin juste la première lettre, un « M ». Si les listes des matricules au corps avaient été conservées, il aurait été possible de l’identifier.On semble distinguer un nom commençant pas « D » écrit à l’encre noire sur la boîte d’un autre soldat.

Ce qui pourrait faire penser à une nature morte est l’occasion d’observer les sabots de travail sous le pied du lit, une partie du fusil Lebel qui a été retiré du râtelier d’armes et équipé d’une baïonnette, le plancher typique des chambrées qui est loin d’être propre et qui devait être bien bruyant entre les sabots et les godillots cloutés. Surtout, on peut voir le lit militaire fait d’une structure en fer et de trois planches. La couverture en laine cache le matelas, mais elle n’est pas vraiment « au carré ». Cela peut s’expliquer par le fait que les soldats photographiés ont déplacé les lits pour poser. A moins qu’il ne s’agisse de l’état réel du lit.

  • En guise de conclusion

Alors que la chambrée est un élément central de la vie du conscrit, elle est mal connue, peu illustrée. Le peu que l’on en voit nous permet de visualiser une petite partie de cette pièce si importante. On ne voit pas le râtelier d’armes, la grande table et les bancs, le système pour ranger des effets au-dessus de ladite table. Il faut en garder pour d’autres études d’images.

Malgré le nombre d’éléments identifiés, à commencer par le soldat qui a écrit la carte, il reste de nombreux points qui attirent le regard et la curiosité mais dont on ne peut rien dire de plus. Qui est le matricule au 46e RI 1634 dont le nom commence par « M » ? Qui sont ces hommes les uns pour les autres ? Que signifie le « D » dans SHRD ?

  • Pour en savoir plus sur la chambrée (textes réglementaires et illustration)
Voir cet article
  • Remerciements :

A Stéphan Agosto pour son retour sur le calendrier de la classe.

  • Sources :

Archives départementales du Loiret :

EC 109590 : état civil de la commune d’Ormes. Naissances 1883-1892.
https://consultation.archives-loiret.fr/ark:/20522/s005a9124e6c0a59/5a9124e6eb8b5.ef=11&s=39

1 R 71796 : Fiche matricule de Pinsard Fernand, classe 1909, matricule 107 au bureau de recrutement d’Orléans.


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