138 000 soldats français tués, blessés et disparus. Parmi ces derniers, Armand Michel.
- 8 octobre ?
Armand Michel est porté disparu le 8 octobre 1915, selon la plaque familiale apposée dans le monument ossuaire de la ferme de Navarin. Pour qu’un soldat soit déclaré mort, il fallait que de l’attaque, reviennent deux témoins pour l’attester. Faute de quoi il était déclaré disparu.
Plaque familiale dans le monument (1)
Dans le registre matricule, on trouve la mention « signalé sur avis n° GL 1267, émanant du Ministère de la Guerre en date du 11 janvier 1916, comme étant décédé le 25 octobre 1915 à Souain ». Ces avis étaient transmis au maire de la commune qui en avisait personnellement (lui ou son représentant) la famille que le soldat avait demandé de prévenir. L’avis est également signifié aux autorités qui tiennent le registre matricule. A partir de là, la mairie peut établir des « actes de décès ». Ce qui permet à la famille d’ouvrir la succession. Armand est déclaré officiellement Mort pour la France (2) à la date du 25 octobre 1915 par le jugement rendu le 7 mars 1919 par le tribunal de Reims et transcrit le 11 mai 1919 à l’état civil à Reims. Le jugement dit « qu’aucun acte n’a été dressé pour constater son décès ». La date du 25 octobre figure sur trois documents officiels (3).
Source : Site Mémoire des Hommes.
- 25 octobre ?
Le régiment était en repos depuis le 10 octobre. Ce qui peut accréditer la thèse d’une blessure ou d’une maladie (crise cardiaque ?) qui lui coûtera la vie plusieurs jours plus tard. Charles un fils d’Armand évoquait le témoignage tardif dans ce sens de Marcel Batreau, né le 28 mars 1895, qui habitait 2 rue de l’Ecaille et fut apprenti chez Armand Michel. Ancien combattant de 14-18 et résistant du quartier Saint-Remi à Reims pendant la Seconde Guerre mondiale, il évoquait une crise cardiaque. Par ailleurs, Marcel Batreau témoigna de la grande guerre dans le documentaire : « Le siècle de Verdun, documentaire de Patrick Barberis, France, 2006, Coproduction : ARTE France, Image et Compagnie ».
S’il était décédé le 25 octobre d’une crise cardiaque à l’arrière, il est étonnant que le motif de son décès ne soit pas mentionné sur les documents officiels. Je ne veux pas remettre en cause le souvenir d’un ancien, mais décédé dans ces circonstances à l’arrière pourquoi n’aurait-il pas été inhumé dignement. Mort d’une crise cardiaque, pourquoi aurait-il été porté disparu ? S’il était mort à l’arrière, il aurait eu un acte de décès établi par l’autorité militaire. Peut-être son cimetière s’est-il retrouvé sous les bombes ? L’acte de décès ou les documents auraient été néanmoins plus précis.
Les noms des soldats ramassés par les brancardiers ou décédés à l’ambulance et inhumés dans des cimetières provisoires ont été consignés avec précision sur les « carnets de champs de bataille » du Service de Santé militaire et transmis à l’état civil du lieu de résidence pour y être reportés sur leur acte de décès.
En prévision des opérations offensives de l’automne 1915, le Grand Quartier général avait prescrit, le 19 juillet, d’organiser dans chaque armée appelée à participer à des actions importantes, un service dit de l’état civil du champ de bataille. L’instruction recommande de « renoncer aux fosses communes, de grouper les corps de manière à éviter les sépultures éparses, d’enterrer soit en tombes individuelles, soit en tranchées de 10 (les corps étant placés côte à côte et non superposés) », etc. Elle rend obligatoire l’emploi du « carnet de champ de bataille » pour noter exactement l’emplacement des sépultures au fur et à mesure de leur création, et prescrit de fixer à tous les corps inhumés une plaque de plomb portant un numéro reproduit sur le carnet afin de permettre l’identification des corps en cas d’exhumation. Si l’on fait exception des grands cimetières de Mourmelon et de Suippes, ces instructions sont restées dans l’ensemble lettre morte. En 1916, à la demande du Service général des pensions, un service de l’état civil aux armées est constitué avec pour missions essentielles de : surveiller la tenue des actes d’état civil, diriger la liquidation des successions des militaires décédés, repérer les tombes existantes et en assurer l’entretien (4).
J’ai donc du mal à croire qu’il soit décédé à l’arrière. Marcel Batreau pouvait aussi confondre avec l’hospitalisation de novembre 1914. Ne serait-il pas effectivement décédé le 8 octobre, son corps resté dans les camps allemands ou dans le no man’s land et retrouvé un peu plus tard sans être identifié. C’est ainsi que des morts seront déclarés décédé bien plus tard. Mon opinion correspond à la tradition familiale : disparu lors des combats, son corps n’a probablement jamais été retrouvé ou identifié.
L’aspirant Laby explique bien que les hommes du régiment ont dû revenir à leur tranchée de départ le 8 octobre. Les blessés et les morts sont donc restés dans le no man’s land et dans les tranchées allemandes ; d’où le grand nombre probable de disparus ce jour là.
« Combien de tués de ces dernières attaques se mélangeront peu à peu à cette terre de Champagne constamment labourée par des milliers de projectiles… » (5)
La masse de blessés sur quelques jours a rendu les identifications très perturbées, il est sans doute en ossuaire, mais quel cimetière ? Michel Godin, ancien maire de Suippes, interrogé, nous a précisé que les cimetières des ambulances de l’arrière n’ont pas d’inconnu, son corps a sans doute été ramené au cimetière de Souain en ossuaire après la guerre.
Près de 2/3 des soldats n’ont pas été identifiés, Michel Godin explique qu’il suffit de lire les livres des récits de ces soldats anonymes pour comprendre pourquoi. Six mois après les inhumations, les noms écrits au crayon de mine étaient déjà presque illisibles sur les croix de bois du champ de bataille. Pendant quatre ans les tombes ont été soumises aux bombardements aux passages des troupes. Les soldats ont souvent été enterrés, surtout au début de la guerre, à plusieurs rendant l’identification individuelle impossible après. Dans les batailles, les tués d’une seule journée se comptaient par milliers et devant le risque d’épidémie on enterrait à la va vite en recouvrant les corps de chaux vive. Ces corps servaient même pour leur dernière utilisation de protection sur le parapet de la tranchée.
Les cimetières contiennent jusqu’à 2/3 d’inconnus mis dans des ossuaires sous l’intitulé « français inconnu ». Dans ces ossuaires, il n’y a jamais de noms inscrits sur des plaques pour ces anonymes.
Mais la guerre a duré 4 ans, et bon nombre de soldats sont encore sur le terrain car les obus, pendant toutes ces années, ont constamment bouleversé le sol effaçant l’emplacement des milliers de tombes provisoires ou pulvérisant lors de leur mort le corps des soldats. C’est surtout le cas pour les tués en zone adverse qui ont été enterrés en fosse commune sans identification, la plupart du temps dans d’anciennes tranchées. Chaque année des corps sont retrouvés et des familles ont la surprise 90 ans après, de retrouver un parent disparu.
En 2007, un soldat français du 294ème RI, Etienne Fiacre MORIN né le 4 octobre 1876 à Guimaëc (Finistére), disparu le 8 octobre 1915, a été retrouvé dans ce secteur lors de travaux dans le camp militaire de Suippes, il a été relevé règlementairement par les autorités militaires. Les recherches de familles n’ont malheureusement pas abouties, les objets de ce soldat sont visibles au petit musée dans la mairie de Souain.
- Il n’a pas fait les papiers…
Armand Michel avait 4 enfants. La tradition orale familiale dit qu’il n’aurait pas dû être en première ligne « mais qu’il n’aurait pas fait les papiers pour cela « . Examinons cela.
Les historiens Jean-Jacques Becker et Serge Berstein précisent que « la mobilisation avait affecté l’ensemble de la population masculine. Les hommes de 20 à 23 ans qui étaient déjà sous les drapeaux à qui s’étaient ajoutés les réservistes de la 24e à la 48eme année ». Sur le registre matricule, si le nombre d’enfant n’est pas précisé, il est bien noté une affectation au 46ème RIT de Reims au 1.9.1914 à 34 ans, mais ceci conformément à la loi de recrutement de 1905.
A la mobilisation en août 1914, il est donc logiquement affecté au 294ème, régiment de réserve du 94ème RI.
Deux coupures de journaux intéressantes sont conservées dans le livret militaire. Ce qui atteste de la sensibilité de la famille sur ces questions.
Le premier article, non daté, indique la répartition des classes au 1er octobre 1915, toujours conformément à la loi de 1913. Cet article reprend une lettre du ministre du 3 sept 1915 (n° 13128/11 du 3 septembre 1915). Cette information a été rapidement relayée dans la presse. On trouve mention de ces précisions dans le journal « le Temps » du 4 septembre 1915, le journal très diffusé à l’époque, qui précise que ce n’est que théorique. Dans la mesure où l’on est en guerre, cela ne compte plus vraiment. En période de paix, cette organisation sert à déterminer les affectations, les périodes d’exercices. Mais en guerre, tout dépend des besoins en hommes.
Il aurait dû, « théoriquement » au 1er octobre1915, passer dans la territoriale qui était placée à la périphérie des batailles, mais dès l’état de guerre, début août 1914, la loi du 5 août 1914 stipula aussi que tout soldat, quelle que soit sa classe, pouvait être versé indifféremment dans une unité de l’active, de la réserve ou de la territoriale. On constate des soldats du même âge ou plus vieux dans la liste des soldats du 294ème RI morts pour la France le 8 octobre 1915.
Le second document est une coupure du journal « le Temps » en date du 1er octobre 1915, sur les pères de 5 enfants où les pères de 4 enfants sont également évoqués. Armand n’a jamais dû en prendre connaissance. Il a été probablement été placé dans le livret militaire, ainsi que le premier article par Jeanne après la disparition d’Armand.
Ceci nous confirme que c’était une préoccupation de sa femme qui avait également fait établir un certificat par le maire d’Epernay, où résidait la famille, en date du 8 avril 1915, attestant du nombre d’enfants.
Ces questions, qui ont construit la tradition familiale, resteront-elles à jamais sans réponse ? Pas si sûr… Ce travail de mémoire fait en grande partie grâce à internet a permis de rassembler plus d’éléments que par le passé. Et maintenant de publier cette biographie afin que le souvenir d’Armand Michel reste et que cette image toujours présente dans la famille ne fasse plus peur aux enfants.
Jean Henri, janvier 2011.
1. Le monument-ossuaire de « La Ferme de Navarin » à Sommepy-Tahure (Marne). Site du CRDP de Reims.
2. La mention » Mort pour la France » est accordée, suivant certaines conditions, en vertu des articles L488 à L492bis du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre.
3. Acte de décès, registre matricule et fiche Mémoire des Hommes (Fiches élaborées au lendemain de la Première Guerre mondiale par l’administration des anciens combattants et aujourd’hui conservées par la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la défense).
4. Yves Pourcher, La fouille des champs d’honneur – la sépulture des soldats de 14-18 in « Terrain, revue d’ethnologie de l’Europe » n°20 mars 1993.
5. Colonel Rigal, L’Offensive de la 10ème D.I.C, 25 septembre au 10 octobre 1915, étude dactylographiée à lire sur le site Champagne 14-18.
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Dernière mise à jour de la page : 25 janvier 2011