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68 – Le sourire au pied du mur

   Le point de départ de ces études de photographies tient parfois à peu de choses. D’abord, le plus souvent un achat sans vraiment savoir ce qui ressortira de l’analyse (surtout quand c’est par Internet). Ensuite, il faut une information amorçant la recherche. En voyant la photographie ci-dessous pour la première fois, jamais je n’aurais cru qu’elle puisse sortir de son statut d’image et que je réussirais à en obtenir des informations.

  • Deux étapes

    Malgré les nombreux graffitis qui ornent le mur, dans un premier temps rien ne parlait à mes yeux. Ni les uniformes (pas de numéro de col visible), ni la partie correspondance restée vierge ne m’aidaient.
    Après plusieurs tentatives infructueuses pour trouver des éléments utiles à une recherche plus poussée, je me suis tourné vers Marcus du forum Pages 14-18 pour lui demander son avis. Il m’a alors fourni un grand nombre d’éléments factuels sur les uniformes par exemple. Mais il manquait encore quelque chose à raconter afin de sortir de la simple évocation des uniformes et d’une liste d’inconnus. C’est un autre passionné de l’étude d‘images datant de la Première Guerre mondiale qui m’a permis de trouver une piste. Au détour d’une discussion sur Twitter, Daneck a signalé une ancienne publication sur une image montrant un journal dont il avait réussi patiemment à identifier la date. Voulant lui envoyer cet exemple de recherche inachevée malgré le même indice, je me suis dit que ça ne me coûtait rien d’aller voir sur Gallica si le journal était numérisé et en ligne, ce qui n’était pas le cas la dernière fois que je m’étais penché sur la question. Et là, surprise : non seulement le journal « Le Sourire » a quelques années disponibles, mais en plus j’ai la chance de trouver l’exemplaire visible !

    Grâce à cet indice, je peux affirmer sans l’ombre d’un doute que la photographie a été prise après le 21 mars 1912, date de parution du journal qu’est en train de lire cet homme. Difficile de dire s’il le lit quelques jours après sa sortie ou plusieurs mois. Toutefois, l’état du journal laisse penser qu’on peut compter en jours plutôt qu’en semaine.

  • Des sapeurs du génie

    Voici ce qu’écrit Marc concernant l’arme de ces soldats : « Un examen attentif des uniformes nous apprend que ces hommes appartiennent au Génie : képis intégralement bleus, pattes de col très sombres visibles sur le 3e homme à droite, empreinte des boutons avec le pot-en-tête bien identifiable sur la capote de l’homme de droite. Malheureusement, le numéro d’unité n’est pas visible. »

Le mur contre lequel se tiennent les six hommes est riche en inscriptions diverses. l’une d’entre-elles a attiré l’attention de Marc :

« Derrière l’homme de gauche se trouve une inscription en partie masquée : « Cie 20/2(?) » qui ferait alors référence au 20e Bataillon du Génie de Toul. Peut-être ces hommes appartiennent-ils eux aussi à cette unité ? »

    Hélas, impossible d’aller plus loin que la simple hypothèse, aucun numéro de régiment du génie n’étant visible sur les uniformes de ces hommes. Cela donnerait un lieu probable, mais les murs dans les fortifications diverses de la région sont légions.

  • Un repos bien mérité

    Tous ces hommes se sont installés le long d’un mur dans des circonstances inconnues (lors de manœuvres, d’exercices, pendant un moment de repos ? ). Pendant qu’un fait de la couture, les autres lisent. Le premier porte un binocle.

Deux lecteurs de journal :

Un lecteur de journal et un lecteur de livre porteur de binocles :

  • Un mur couvert de graffitis

    Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les graffitis sur le mur du fort sont très utiles et très riches. Non seulement l’un a permis de proposer une localisation, mais d’autres pourraient-ils nous donner des indices supplémentaires ? Plusieurs inscriptions peuvent être déchiffrées avec certitude.

« H. BERGEOT » et « ROUSSIAUX » sur cette image :

« Briantois » ou « Briantais, classe 1908, sur cette image :

« J. GOUEDARD » et peut-être « CARLIER H. »

    Même si on peut parfois retrouver l’identité d’un des hommes qui a gravé un mur de son nom et de sa classe, on atteint ici la limite de ce que l’on peut espérer. Des prénoms en « J », il y en a beaucoup, des « H » comme « Henri » aussi. Impossible de remonter avec certitude à un homme qui a des homonymes si nombreux et aucune précision de classe le plus souvent.

  • En guise de conclusion

    Même un document qui paraissait a priori ne pouvoir faire l’objet d’une recherche approfondie peut malgré tout être au cœur d’un tel article. Il a fallu être patient (en années) et savoir demander une aide précieuse à une personne qualifiée puis avoir un petit coup de pouce pour se relancer dans l’écriture pour aboutir à ce résultat très incomplet certes, mais déjà mieux que le rien qui entourait cette photographie auparavant.
    Peut-être qu’un jour, en visitant un vieux site, quelqu’un retrouvera les traces de ces gravures dans un ouvrage de la place Toul ou plus généralement de l’Est.

  • Remerciements :

Sans les apports de Marc du forum Pages 14-18, cet article n’aurait pas valu d’être publié. Un grand merci à lui pour son aide.
Merci également à Daneck pour son coup de projecteur sur son article qui m’a conduit à me replonger dans ce cliché, au bon moment !
Blog de Daneck : http://photos1418.blogspot.fr/2016/01/demandez-lecho-de-paris.html

  • Sources :

Le Sourire, journal humoristique hebdomadaire. Numéro 12 de la 14e année, 31 mars 1912.
Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, FOL-Z-837, mis en ligne le 9 mai 2016.
Lien direct vers la revue.


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