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62 – Cadeau empoisonné ? A la recherche de Lebierre Georges

Ce cliché a été donné par le vendeur qui m’avait permis d’acquérir les clichés autour de la famille Blanchet. Cette dernière m’avait donné bien du fil à retordre et l’aide de Thibaut V. avait été indispensable ; celle-ci fut de même. Au point que j’ai cru que jamais le parcours de cet homme ne serait trouvé.

  • Quand l’écriture conduit à une mauvaise piste

Cliché en mauvais état, écriture en partie effacée, les difficultés ne manquent pas. Toutefois, elles sont compensées par une main âgée qui a voulu que le souvenir de cet homme ne disparaisse pas : « Lebierre Georges le 21-8 1916 » au stylo bille.

Mais quelle est la première lettre de ce nom ? Comme je viens de le noter, je suis parti sur « Lebierre ».

Quelles sont les informations données par un texte en partie effacé ?



à gauche : 21/8 1916 Souvenir de ton [frère] Georges »

Le mot frère est invisible à l’œil nu, mais la numérisation a permis de retravailler l’image et de faire ressortir à coup sûr le mot « frère ».

à droite : « Madame Eugénie Duthi[lleux] Chain[trix] Marne »

Compléter le nom de la commune n’a pas été compliqué car il n’existe qu’une commune commençant par « Chain » dans la Marne.

Chaque détail a son importance quand on recherche l’identité d’un soldat photographié car il peut permettre de recouper les informations trouvées et ainsi d’avoir des certitudes. Mais on ne peut pas écarter l’hypothèse que « frère » soit utilisé de manière affectueuse plus que pour définir une relation liée à l’état civil !

Je suis donc parti tête baissée vers un « L », ce qui donne « Lebièrre ». Ce nom, rare, existe, mais n’a rien donné dans les différentes bases consultées. C’est Thibaut qui m’a mis sur la piste du « D » non fermé. Les « Debièrre » sont nettement plus fréquents, en particulier dans la Marne. Or, un indice du document pointe dans cette direction : Chaintrix dans la Marne.

En l’absence d’état civil numérisé après 1902 dans la Marne, direction les recensements. Ceux de 1911 et de 1921 ne donnent aucun Lebièrre ou Duthilleux à Chaintrix. La consultation de la base de données de l’INSEE concernant les décès depuis 1970 permet malgré tout de préciser la piste : un enfant prénommé Albert Georges Duthilleux est né dans la commune le 27 juillet 1915.

Une recherche dans la base nominative des registres matricules de la Marne révèle un Georges Ernest Debierre. Sa mère est Marie Julie Debierre. Cet élément peut permettre, une fois encore, de confirmer une identité Eugénie Duthilleux si elle a la même mère. Il est marchand forain, ce qui peut expliquer la difficulté de retrouver sa trace dans les recensements.

Thibaut a trouvé Georges dans le recensement de Villers-le-Sec de 1931 grâce à la fiche matricule de celui qui pourrait être l’homme de la photographie. Par chance, des Duthilleux y vivent également, dont l’épouse prénommée « Augustine ». Or, dans cette famille il y a bien un enfant né en 1915 à Chaintrix, ce qui pousse à vérifier si cette Augustine n’est pas l’Eugénie recherchée.

Direction la commune de naissance, Perthes, dans la Haute-Marne. L’acte de naissance est celui d’Eugénie Augustine Debierre, dont la mère est Marie Julie Debierre. Ainsi, la boucle est bouclée, les deux protagonistes de cette photo carte sont trouvés :

– Georges Debierre, marchand forain, soldat de la classe 1912.

– Sa sœur, Eugénie Debierre, épouse de Louis Duthilleux depuis avril 1909.

Il est temps de s’intéresser à l’histoire que nous raconte cette photographie.

  • De nouvelles difficultés…

La première information est liée au texte écrit : il y peu de chance que ce soit Georges qui l’ait réalisé. En effet, sa fiche matricule indique, sans l’ombre d’un doute, un niveau scolaire de « 0 » : il ne sait ni lire, ni écrire. Un camarade a probablement fait le texte pour lui.

Concernant la partie image, Georges Debierre pose devant la porte d’un bâtiment. Le cadrage est serré et empêche de chercher une localisation. Malgré la date, il n’est pas possible de proposer même un simple secteur où a pu être prise la photographie car le JMO de l’unité à laquelle il appartient n’existe pas. D’ailleurs, sans sa fiche matricule, il aurait été bien difficile d’identifier un artilleur. Pas d’unité identifiable, même le fanion est méconnaissable. Seul le mousqueton trahit une unité différente. Mais même pour l’arme, impossible de déterminer le modèle.

D’abord affecté comme chasseur eu 29e BCP en octobre 1913, il fait toute la campagne du 2 août 1914 au 27 septembre 1915. Il est alors à Souain et est évacué suite à une blessure par balle au bras droit. C’est probablement à cause des séquelles de sa blessure qu’il est changé d’arme : il passe dans l’artillerie et est affecté à la 122e batterie de mortiers de 58 mm du 46e Régiment d’Artillerie de Campagne. Il y est depuis le 12 juin. Ainsi, c’est quand il est dans cette unité qu’il est photographié.

D’ailleurs, il arbore deux chevrons sur sa manche gauche, symbole de son an et demi passé dans la zone des armées. Hélas, comme il a été dit, le JMO de cette batterie n’existe pas. Impossible de localiser où était l’unité au moment où il a été photographié. De toute manière rien ne dit qu’il n’est pas à l’instruction à l’arrière. La seule certitude est qu’un peu plus d’un mois après ce cliché, le 24 septembre 1916, il est à nouveau blessé, par un éclat d’obus qui le touche au tiers inférieur de la cuisse gauche et lui laisse une gêne définitive à la marche. Cette gêne lui vaut un retour au dépôt en

mai 1917 en raison d’une atrophie musculaire de la jambe blessée et d’un mauvais état général. Il est muté plusieurs fois sans qu’il soit possible d’affirmer qu’il est retourné au front. En mai 1919, il est classé service auxiliaire en raison de sa gêne à la marche avant d’être démobilisé. Il rentre avec la croix de guerre avec la citation suivante pour son action en septembre 1916 : « Très brave cannonier (sic), au feu a été blessé en exécutant une corvée de bombes dans une zone battue par l’artillerie ennemie ».

Revenu à la vie civile, il exerce son métier de marchand forain, comme sa sœur qui eut un grand nombre d’enfants nés dans diverses communes de la Marne où elle stationnait avec sa voiture.

Georges reçoit la Médaille militaire en 1934 et est à nouveau mobilisé en 1939 au 62e Régiment de Réserve, toujours comme service auxiliaire. Il est démobilisé dès le 11 mai 1940.

  • Deux détails pour finir

Le premier est hélas invisible. La fiche matricule de Georges indique qu’il était tatoué sur le bras gauche et l’avant-bras droit.

Pour le second détail, on perçoit plus qu’on ne voit sur la gauche des marches qui mènent à l’intérieur du bâtiment un décrottoir. Il s’agit d’une lame de métal fixée au mur pour enlever la terre ou la boue des chaussures avant d’entrer. Cet accessoire était aussi nommé « gratte-boue » ou « gratte-pieds ».

  • En guise de conclusion

Quel était le fanion ? Où a été prise la photographie ? Les questions restées sans réponse sont nombreuses. Il reste une piste documentaire importante qui permettrait probablement d’en savoir plus sur la vie de Georges Debierre : étant forain, il devait avoir un dossier à la préfecture.

Remerciements :

À Thibaut V. qui, pour ne pas changer, a débloqué cette recherche rapidement et si efficacement.

  • Sources :

Archives départementales de la Marne :

1 R 1373 : Fiche matricule de Debierre Georges Ernest, classe 1912, matricule 423 au bureau de recrutement de Châlons-sur-Marne.
https://archives.marne.fr/ark:/86869/z97rlxm3jh2v/f9a09d95-8d72-462e-8da1-2d8f88c2aa1b

122 M 395 : Recensement de Villers-le-Sec de 1931.
https://archives.marne.fr/ark:/86869/gpnfr29hw1kl/177f5847-0944-46ca-ada3-fde954482369

Archives départementales de Haute-Marne :

1 E 386/10 : Acte de naissance de la commune de Perthes pour 1889, Acte n° 1 pour Debierre Eugénie Augustine.
https://archives.haute-marne.fr/viewer/series/E/1E/AD52_1E0386_010_01?img=AD52_1E0386_010_01_0026.jpg


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