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52 – 65e BCP, ?, vers 1916

Tout a commencé il y a près de 10 ans par l’achat de deux photos cartes en très mauvais état (plus que ne le laissent imaginer les numérisations). Un même soldat sur les deux images et surtout, élément inattendu, l’identité de toutes les personnes présentes, tracée d’une main probablement âgée au stylo à bille.

Une recherche d’abord vaine : Ces photographies font partie de celles que je reprends régulièrement afin de les aborder avec un œil neuf, ou en suivant de nouvelles sources mises en ligne. J’ai passé des heures à étudier les tables des fiches matricules, mais sans le moindre résultat. Il faut dire qu’en l’absence d’indices précis, difficile de cibler une région en particulier.

Pourtant l’essentiel est là, grâce à cette inscription : un nom, des prénoms.

Un soldat au 65e BCP, caporal, décoré de la croix de guerre. Les deux photographies sont prises après avril 1915 (date de mise en place de la Croix de guerre). Sur la seconde, il porte des chevrons de présence dans la zone des armées, mis en place en juillet 1916.

Aucun des Blanchet tués au combat ne correspond.

Suite à une discussion, j’ai demandé son aide à Thibaut Vallé. Quelques jours plus tard, il m’a servi sur un plateau la généalogie de cette famille, à moi d’en raconter l’histoire. Il va de soi que sans cette aide, j’en serais toujours à  regarder ces photographies et à me demander si elles vont enfin me dévoiler l’identité des personnes immortalisées. La famille Blanchet : Voici le résumé de ce que Thibaut Vallé a trouvé. Difficile de faire plus clair.

Tous les éléments coïncident et font qu’il n’y a pas de doute concernant l’identification : les prénoms, le fait qu’un fils soit affecté au 65e BCP et se prénomme Alphonse. Deux avertissements tout de même concernant la réalisation de cet arbre généalogique : en l’absence d’informations précises, difficile de dire qui est Maria ou Angèle sur le cliché ; les portraits ont été mis suivant l’âge estimé et ne sont donc pas garantis. Pour le bébé, une naissance a eu lieu dans la commune en 1916, mais il n’a pas été possible d’avoir accès à l’acte : il s’agit donc d’une hypothèse qui attend confirmation.

Partant de là, il devient possible de raconter une page de l’histoire de cette famille.

Les Blanchet de cette photographie viennent de la Marne et des départements limitrophes. Le père n’était pas cultivateur mais marchand forain, ce qui pourrait expliquer qu’il ait eu ses enfants dans différentes communes de plusieurs départements. Sur la photographie de groupe, on a donc quatre des cinq enfants. Seul manque le fils aîné Achille Gustave, mobilisé.

  • Histoire de famille

Gustave Blanchet (père) était vannier itinérant, né dans l’Aisne en 1867, mais, omis de la classe 1887, il suivit le sort de la classe 1888. Il fit trois ans de service actif puis toutes les périodes d’exercices prévues, mais il ne fut pas mobilisé en 1914. Son parcours civil fut émaillé de condamnations pour pêche en-dehors des périodes autorisées, coups et blessures, port d’arme prohibée. Il se maria en 1900 avec Marguerite Paradis dont il a déjà eu quatre enfants. Le benjamin naquit quelques mois plus tard.

Achille, le fils aîné, emboîta le pas de son père, devenant à son tour vannier et plus tard bimbelotier. Différence majeure toutefois, il ne sait ni lire ni écrire alors que son père avait un niveau d’instruction de 3. Son parcours de mobilisé est mal connu car sa fiche matricule est incomplète. Si une commission indique des cicatrices à la jambe droite liées au conflit, il n’y a aucune mention de blessure ni de campagne simple ou double. On sait seulement qu’il partit en renfort au 361e RI en novembre 1914, qu’il ne réagit pas à une vaccination en avril 1916 lors d’une visite à une commission de Guingamp (y était-il pour soin suite à sa blessure à la jambe ?). A moins que, parti avec le 161e RI et que blessé, il soit revenu au dépôt avant de retourner au front au 361e RI. En 1933, il a deux enfants vivants.

Avant d’aborder Alphonse, intéressons-nous à ses deux sœurs et au dernier frère. Maria et Angèle sont assez absentes des sources disponibles, au mieux trouve-t-on un acte de naissance qui en apprend hélas peu pour la suite.

Le dernier frère, Octave Paul, n’a pas été mobilisé puisque de la classe 1920 mais on dispose de sa fiche matricule qui nous en dit un peu plus sur son parcours. Il participa à l’occupation de la Rhénanie. Marchand forain comme son père, il eut au moins deux enfants. En raison de son changement de domicile en 1938, on ne sait pas quel fut son parcours ensuite.

  • Alphonse Blanchet

Au cœur des deux clichés, l’histoire d’Alphonse Blanchet n’est pas si simple à écrire. Il y a des éléments imprécis dans les documents qui empêchent de dater avec précision et surtout certitude les deux clichés.

Également marchand forain dès sa jeunesse, Alphonse a reçu une instruction un peu plus poussée que son frère aîné, mais sans atteindre le niveau 3. Il effectue son service actif au 25e BCP. Il a obtenu en février 1914 l’autorisation du conseil d’administration de se marier avec mademoiselle Laroche, ce qui fut fait en juin de la même année.

Le jeune marié est toujours au bataillon lorsque survient la mobilisation. Difficile de dire s’il était toujours affecté à la 3e compagnie, mais ce qui semble sûr c’est qu’il resta au bataillon jusqu’à sa blessure le 27 avril 1915, en plein cœur de la violente attaque allemande de la Tranchée de Calonnes non loin des Eparges. Il n’était caporal que depuis trois jours.

C’est à cette occasion qu’il est cité à l’ordre de la brigade n° 28 du 29 avril 1915 : « Rempli les fonctions de Chef de demi-section, ayant été blessé à l’épaule a refusé d’aller au poste de secours, et après un pansement sommaire à (sic) retourné sur la ligne de feu ».

Probablement évacué, il fut ensuite affecté au 65e BCP, régiment de réserve du 25e BCP, donc partageant le même dépôt. Quand retourna-t-il au front, cette question reste sans réponse. Il fut promu sergent le 4 juin 1916. Une fois encore, son affectation n’est pas claire. Il est noté comme appartenant à la 7e compagnie mais avec un détachement au 10e Groupe de Bataillons de Chasseurs à Pied. Il ne semble quitter ce détachement qu’en août 1917 pour revenir à la 7e compagnie, pour deux jours. En effet, dès le 7 août, il est cassé de son grade et changé de compagnie. Il a fait sans l’ombre d’un doute une faute, sans que cela ne conduise toutefois à son affectation dans un autre bataillon. De plus, il va récupérer son grade en deux étapes : d’abord en avril 1918, il redevient caporal : ensuite en juin 1918, il redevient sergent. Il gagne une seconde citation en septembre 1918. Cité à l’ordre du 10e groupe de bataillons de chasseurs n°36 du 12 septembre 1918 : « Agent de liaison entre le PC et la compagnie, n’a pas cessé pendant les combats du 8 août au 8 septembre 1918 de montrer le plus complet mépris du danger pour porter rapidement des ordres malgré les violents tirs de mitrailleuses et d’artillerie ennemie. Croix de guerre, Étoile de bronze. »

Il obtient la Médaille militaire par le décret du 17 juillet 1934 (Journal Officiel du 2 octobre 1934).

  • Les photographies

Les éléments de la biographie d’Alphonse donnent des éléments de datation. Son grade, ses chevrons de présence dans la zone des Armées, sa décoration.

Sachant qu’il n’a eu sa seconde décoration qu’en septembre 1918, on peut dater tous les clichés entre cette date et avril 1915, lorsqu’il obtient sa première citation. Pour affiner un peu, il est sergent sur les deux clichés. Il ne l’a été que pendant deux périodes : juin 1916-août 1917 et après juin 1918.

Ainsi, le cliché avec son épouse et son bébé, où il possède deux chevrons de présence a été faite après août 1916 et avant décembre.

J’ai l’impression que son galon de sergent a été placé par dessus celui de caporal. Tout cela semble cohérent avec la naissance d’un enfant en 1916, toutefois il peut s’agir d’un tissu ajouté car les galons semblent avoir le même tissu sombre en-dessous.

La seconde est plus difficile à dater. La moustache et la coiffure ne sont pas les mêmes, mais pas de chevrons ou d’éléments datables avec certitude.

  • En guise de conclusion

Si l’enquête autour de ces deux clichés est bien avancée, il reste possible d’en savoir plus sur cette famille. En effet, le métier de forain était très réglementé et surveillé par les préfectures. Il y a peu de doutes qu’un dossier concernant au moins le père et certains enfants se trouve dans les archives départementales d’un ou même de plusieurs départements. Si pousser la recherche dans cette direction nous éloigne du propos de ce site et de la période étudiée, cela nous montre qu’il reste possible dans de nombreux cas d’en apprendre plus, parfois en partant de la profession.

  • Remerciements :

Ils vont tous à Thibaut Vallé qui a permis de rendre à ces personnes leur identité et leur histoire, bien incomplète j’en conviens. Mais c’est déjà tellement plus que les quelques mots inscrits au dos des photographie.

  • Sources :

BLANCHET Gustave :

Naissance : AD 02, côte 5Mi0906, vue 7.
Mariage : AD 51, côte 2E534/454, vue 42.
Matricule : AD 51, 1R1140, classe 1888, matricule 1189 au bureau de recrutement de Reims, vue 203.

PARADIS Marguerite :

Naissance : AD 51, côte 3E2_389_6, vue 37.

BLANCHET Achille :

Naissance : AD 08, côte 2E320 10, vue 5.
Matricule : AD 51, 1R1334, classe 1908, matricule 920 au bureau de recrutement de Reims, vue 311.

BLANCHET Alphonse :

Naissance : AD 51, côte 2E649/13 vue 6.
Matricule : AD 08, 1R269, classe 1913, matricule 926 au bureau de recrutement de Mézières-Reims, vue 51.

BLANCHET Maria :

Naissance : AD 51, côte 2E59/10, vue 41.

BLANCHET Octave Paul

Naissance : AD 08, côte 2E339 9 vue 147.
Matricule : AD 08, côte 1R343, classe 1920, matricule 1117 au bureau de recrutement de Mézières-Reims, vue 189.


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