Aller au contenu

42 – 46e RI, Fontainebleau, après 1908 (1)

Il y a les séries de photographies « statiques », où les hommes passent devant le photographe qui ne bouge pas son appareil. Et puis il y a des séries dynamiques, où le photographe se déplace et nous permet de découvrir un aspect de la vie militaire à plusieurs moments, ou plusieurs aspects d’une même journée. Dans le cas de cette série de huit photographies, on y découvre plusieurs étapes d’une marche effectuée par un bataillon. Arriver à en avoir la certitude n’a pas été aussi simple que ne le laisse penser cette phrase. Car cette série est dépareillée, sans légende, sans date, à la finesse insuffisante pour voir les numéros de régiment, il fallait donc réussir à démontrer l’intuition initiale.

L’étendue de la recherche a conduit à un article dont la taille est le double des plus longs déjà réalisés ! De ce fait, j’ai décidé de le découper en deux parties afin d’en faciliter la lecture, sinon indigeste sur un écran. Dans la présente page, je développe la recherche du régiment et de certains lieux montrés par les photographies. Dans l’article suivant seront abordées la narration obtenue à l’aide des images ainsi que l’étude de certains détails.

  • Un régiment à identifier

Ce ne fut pas le plus compliqué, mais cette information conditionnait toute la suite de la recherche. À quel régiment appartiennent ces hommes ? Cette série, hélas, se caractérise par l’impossibilité, quelle que soit la finesse de la numérisation, d’obtenir de forts grossissements. Le grain de l’image est trop important. On le perçoit nettement sur les trois exemples ci-dessous, extrait chacun d’une photo-carte.

Par chance, malgré une qualité identique, les photographies prises au moment du repas nous donnent la précieuse information : il s’agit d’hommes du 46e RI.

Les photographies ont été achetées dans un même lot. On observe plusieurs fois les mêmes hommes :

De ce fait, on peut en conclure que ces huit images montrent des hommes du 46e RI, d’autant plus qu’un détail significatif est commun à plusieurs, en plus des marques de colle et de carton noir qui prouvent qu’elles ont été arrachées à un même album : le bidon !

Ce bidon n’est pas n’importe quel bidon : il s’agit d’un bidon d’essai en aluminium « à quart adhérent » modèle 1892. Si l’on en croit l’ouvrage de Dekerle et Mirouze, repris par le site de la Caverne du Dragon qui a exposé sur une page un tel bidon, il fut distribué en 1908 à l’occasion des manœuvres de la Loire (dénommées « Manœuvres du Centre » dans les documents du ministère de la Guerre).

Cette information est très précieuse : elle nous donne tout simplement une date avant laquelle les photographies n’ont pas pu être prises ! Elles ne peuvent dater d’avant 1908. Il est probable que cet équipement ait été conservé et distribué aux hommes après cette date, ce qui empêche donc, en l’absence d’autres informations, d’être plus précis qu’un « après 1908 », qui est quand même mieux que pas de date du tout. L’usure des bidons laisse penser qu’ils ne sont plus neufs et donc que ces images sont postérieures à 1908 ; à moins que cette usure n’ait été très rapide.

Pour revenir au bidon, l’homme nous montre deux de ses spécificités : son volume réduit (1 litre), qui allait avec la tentative de réduction du poids de l’équipement du fantassin à cette époque, et le quart incorporé, plus précisément qui s’emboîte avec le fond du bidon. On voit également le bouchon du bidon, attaché très probablement avec une ficelle, pendre sous la main du soldat.

Mais dans certaines photographies de la série, celles des soldats en marche par exemple, les bidons visibles ne sont pas les modèles d’essai 1892 mais le classique bidon modèle 1877. D’autres photographies montrent que suivant la section à laquelle on appartenait, on pouvait disposer d’un modèle ou de l’autre. Le fait de ne pas voir le bidon d’essai ne remet donc pas en cause l’insertion de cette photographie dans le lot. Mieux encore, une autre photographie prise au moment de ce repas montre un bidon modèle 1892 pendre entre des fusils alors que tous les hommes visibles disposent d’un quart classique et donc d’un bidon modèle 1877.

La datation est confirmée par les pattes d’épaule à bourrelet modèle 1908 à un rouleau. Ils sont visibles sur toutes les photographies.

  • Un lieu à identifier

Je n’ai pas la prétention de retracer le parcours de cette marche. Toutefois, identifier la ville puis les lieux permettrait d’en trouver au moins quelques étapes et surtout pouvoir replacer chronologiquement les clichés.

Si aucun numéro de col n’avait été visible, il aurait fallu chercher dans les vues de places de villes celle qui ressemblait à celle-ci. Autant dire, un labeur dont se pose la question du rapport temps passé/résultat. Par chance, ce petit « 46 » discernable réduit les possibilités. Le 46e régiment d’infanterie était caserné à Paris et à Fontainebleau. Des bois, un tramway, j’ai tout de suite pensé à Fontainebleau qui avait effectivement un tramway depuis 1896 (voir article dans Wikipédia) et les fameuses forêts aux alentours. La carte de la ville m’a rapidement donné des indices confirmant mon idée grâce à l’étude de deux photographies.

– La première est celle où les hommes marchent dans une ville.

Cet espace ressemble à une place. On note la présence de la ligne de tramway et de bâtiments à l’architecture caractéristique – comme une grande maison avec une verrière – dont le rez-de-chaussée est presque toujours un commerce. Certaines enseignes bien visibles – comme le restaurant « À l’espérance » – sont des indices importants aussi, dont une pharmacie dans le bâtiment avec trois fenêtres et deux étages visible à l’arrière-plan.

En observant un plan de la ville datant du début du XXe siècle, on peut suivre le tracé du tramway. Trois places sont traversées par la ligne. C’est là que les numérisations de cartes postales par les Archives départementales de Seine-et-Marne vont se révéler capitales.

La Place de l’étape aux vins ressemble beaucoup à celle de la photographie : ligne de tramway, largeur de la rue, mais le bâtiment au fond, s’il a bien trois fenêtres, a par contre trois étages.

En observant une photographie prise en contre-champ, on obtient ce point de vue :

La pharmacie est présente, la ligne de tramway, le restaurant « À l’espérance » , la maison avec la grande verrière.

Sur notre photographie, les hommes sont en train de tourner sur leur gauche. Maintenant que le lieu est trouvé, on peut aisément savoir dans quelle direction ils vont avec un plan et déterminer la position du photographe.

Pour en terminer avec cette photographie, il reste à répondre à la question : où vont-ils ? Une carte ou une photographie aérienne suffit à le comprendre : ils rentrent à la caserne.

– Pour la seconde photographie « localisable », j’ai utilisé la même méthodologie.

La voie de tramway est toujours visible et on peut observer une maison à l’arrière-plan. La recherche aurait probablement été infructueuse s’il n’y avait pas eu un détail qui a permis de trouver : les deux rambardes métalliques.

Tous ces indices m’ont permis de trouver la localisation exacte : le pont qui passe par-dessus la voie de chemin de fer.

Une carte postale confirme la localisation : elle montre les mêmes rambardes métalliques avenue du chemin de fer, avenue qui mène au pont où la photographie a été prise.

  • En guise conclusion

Localiser avec exactitude les lieux permet de remettre dans l’ordre cette série de photographies, sans qu’il soit possible d’être plus précis pour les autres. On a ainsi une vision d’un des exercices les plus pratiqués à l’époque : la marche.

  • Sources :

– LATOUR Jean-Claude (2013). « Août 1914. La compagnie d’infanterie », GBM 104, avril, mai, juin 2013, pages 9 à 20. L’article indispensable pour qui s’intéresse à l’organisation d’une compagnie d’infanterie en août 1914 et pendant les premiers mois du conflit.

– LATOUR Jean-Claude (2013). « Août 1914. Le bataillon d’infanterie », GBM 105, juillet, août, septembre 2013, pages 13 à 20. Complément tout aussi indispensable du précédent article.

– Dekerle S., Mirouze L., L’Armée française dans la Première Guerre mondiale – Uniformes, équipements, armements, Tome 1 1914, Vienne (Autriche), Editions Verlag, 2007. Page 100.

Concernant le bidon d’un litre d’essai en aluminium, voir l’article sur cet objet sur le site de la Caverne du Dragon.

Archives départementales de Seine-et-Marne :
AD77 – 2FI3155 FONTAINEBLEAU. PLACE DE L’ETAPE AUX VINS
AD77 – 2FI3156 FONTAINEBLEAU. LA PLACE DE L’ETAPE
AD77 – 2FI3158 FONTAINEBLEAU. LA PLACE DE L’ETAPE
AD77 – 2FI3159 FONTAINEBLEAU. LA PLACE DE L’ETAPE

Extrait de : Nouvelle carte cycliste de la forêt de Fontainebleau. 1/40 000 / Dressée et gravée par A. Degruelle, éditions Giraud (Melun), 1900. Source : BNF, département Cartes et plans, GE C-2677. Accès direct sur Gallica :

Suite de l’étude : une marche en forêt de Fontainebleau ICI


Retour à la galerie des recherches sur les photographies d’avant 1914

Étiquettes:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *