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39 – Nouvel an, Périgueux, 50e RI, 1910

Afin d’illustrer le travail sur les cibles peintes sur les murs des casernes, Yannick Le Gratiet m’a envoyé cette très belle photo carte. Mais elle se révèle riche et mérite bien plus que d’être utilisée comme simple illustration.

Collection Yannick Le Gratiet
  • Au 50e RI de Périgueux

Pas moins de 40 hommes se sont regroupés pour figurer sur ce cliché. Ils sont du 50e RI. Le numéro de régiment est parfaitement visible sur plus de la moitié des uniformes. Il faut dire que la craie du photographe a été abondamment utilisée, à la fois pour blanchir les chiffres et les galons, mais aussi pour écrire et dessiner.

Ces hommes appartiennent peut-être à la 4e compagnie car ils se trouvent devant une porte mentionnant cette unité. Toutefois, le choix peut être aussi le fruit du hasard.

Le bâtiment a une architecture caractéristique de la caserne Bugeaud à Périgueux : sous-bassement en pierre, crépi en partie peint en blanc et cibles avec silhouettes humaines très présentes.

Toutefois, c’est ce que l’on retrouve sur tous les bâtiments de la caserne autour de l’immense cour d’Iéna. Il est donc difficile de déterminer où fut prise la photographie en l’absence de toute autre détail, la ferronnerie de la fenêtre étant invisible sur les cartes postales de l’époque en raison de leur qualité d’impression médiocre.

Malgré l’absence de correspondance, il est possible de dater approximativement la prise de vue grâce aux nombreux indices laissés par ces joyeux conscrits.

  • La quille !

Le thème de cette photographie est on ne peut plus clair : la quille. Il s’agit d’une expression utilisée par les conscrits pour parler de ce qui est officiellement appelé « la libération ». Ce mot définit le moment où un homme est libéré du service actif et quitte la caserne.

La quille qui symbolise cette libération est visible de trois manières différentes : une quille en bois (posée sur le képi de l’homme se trouvant devant celui qui la tient!), une quille dessinée sur la porte, les indications ajoutées à la craie sur les vestes et les capotes indiquant le nombre de jours avant la quille. « 265 jours », « 265 au jus », mais on peut noter que le mot « quille » n’est pas utilisé. L’homme tenant la quille s’est amusé à écrire également 265 sur sa veste, ce qui n’est visible qu’en zoomant sur l’image !

Ce qui est plus original, c’est le moment où ces hommes ont décidé de célébrer l’approche de la quille et de se faire photographier (l’un expliquant probablement l’autre) : « Priez pour 1909 défunt », « Vive 1910 », ces deux indications montrent que l’année 1909 vient de s’achever, que l’année 1910, synonyme de libération, commence.

Cette idée est confirmée par le nombre de jours qui les sépare de leur libération : 265 jours, pour une libération autour du 25 septembre cette année là, cela donne une photographie réalisée le 4 ou le 5 janvier 1910.

Cette indication nous apprend également qu’il s’agit d’hommes de la classe 1907, incorporée en octobre 1908. Il ne s’agit donc pas ici d’une la fête pour célébrer le départ de la classe 1909 qui est intervenue plus de deux mois auparavant mais bien cette nouvelle année qui annonce la fin du service actif. Toutefois, un détail reste énigmatique et a du mal à s’intégrer dans cette explication.

  • Seul au milieu du groupe

Mais que fait cet homme en tenue civile au milieu du groupe ? Est-il sur le départ ? S’est-il habillé ainsi pour symboliser le départ prochain de ces hommes vers la vie civile ? Cet homme est-il tout simplement un militaire ? Les questions ne manquent pas !

Pour la dernière question, la réponse est probablement oui : il porte la cravate réglementaire et il en est probablement de même pour la chemise. Je crois deviner des brodequins. Il ne semble ni plus jeune ni plus vieux que ses voisins. Il a placé sa main gauche sur un képi arborant le pompon de la tenue de sortie : aurait-on pris ce soin pour un civil ? Ne pourrait-on y voir le symbole du prochain retour à la vie civile de ces hommes. Mais n’ayant pas encore observé cette mise en scène, j’en resterai à un conditionnel.

  • De nombreux détails à observer

Le sens de leur geste ou de leur mise en scène est choisi, mais certains nous échappent.

En ce qui concerne la mise en scène, commençons pas ces deux ustensiles posés au premier plan, devant l’homme habillé en civil. Que viennent faire un seau en toile modèle 1881 à droite et une sorte d’arrosoir à gauche ? Probablement à symboliser le « jus », le café, car l’arrosoir est une cafetière d’ordinaire et le seau en toile modèle 1881 servait à transporter les liquides.

Quel est cet objet que cet homme montre ostensiblement ? Un cahier de chansons ? Un calendrier ? A-t-il écrit dessus ? En retravaillant l’image, en faisant un négatif de la zone, de l’écriture apparaît nettement, mais il faudrait une numérisation de la zone à 1200 dpi pour espérer y voir, peut-être, plus clair.

Sur l’image ci-dessous, l’homme de gauche tient un cigarillo et non la traditionnelle cigarette. Celui de droite montre ce qui pourrait bien être un biscuit, en lien avec le quart qu’il tient de la main gauche.

Sur l’image ci-dessous, à part faire rire celui qui regarde l’image, pourquoi ces deux hommes ont-ils posé ainsi ?

Le jeune homme qui suit a sa tenue de sortie avec les épaulettes et un prix de tir. Elle semble d’ailleurs un peu plus foncée que les tenues voisines. Par contre, alors que d’autres ont le pompon du képi de la tenue de sortie, lui a un képi classique et dans l’autre main un bonnet de police plié.

Pour terminer, un caporal goguenard, qui, comme les autres caporaux et première classe a blanchi ses galons (pas de sergent, dont le képi aurait eu une jugulaire dorée), arbore ce qui doit être une broche ressemblant de loin à un balai… Ici aussi, une numérisation plus fine aiderait à interpréter correctement ce qui est visible.

  • En guise de conclusion

Initialement prévue pour être une simple illustration sur les cibles peintes, cette photographie s’est révélée très riche, montrant une vision originale de la fête de la nouvelle année et de l’attente de la quille.

Certains détails restent énigmatiques, mais on peut constater une nouvelle fois la richesse de tels documents et l’imagination des conscrits dans le choix de leur pose, de leur message.

  • Remerciements :

C’est aussi l’occasion non seulement de le remercier pour l’autorisation de travailler sur cette image, mais aussi d’attirer l’attention des lecteurs sur le travail que Yannick Le Gratiet. Commencées depuis longtemps, ses recherches sur les GVC viennent de donner naissance à un site internet. Ce site est à découvrir : qualité des documents, des articles, et surtout un travail qui s’annonce comme le plus complet jamais réalisé sur la question, tout simplement.


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