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39 – 81e RI, Pyrénées-Orientales ?, 1917

La curiosité pousse à parfois acquérir des documents dont il est impossible de dire plus que ce qu’ils montrent, à savoir ici un regroupement de soldats pendant la guerre. Aucun élément identifiable ne permettant d’aller plus loin (pas de correspondance ou de numéro de régiment lisible), cette photo carte dormait depuis plus de deux ans dans mon album des documents « en attente ». J’avais espoir de découvrir une piste comme celle qui m’a permis de trouver où avaient été photographiés ces territoriaux en 1914. J’avais, peu après l’achat, réalisé une première ébauche de texte, mais mes observations étaient si peu précises que j’avais mis le tout de côté.

  • De jeunes recrues pendant la guerre

L’étude de la numérisation réalisée ne permit que quelques constats : beaucoup de ces hommes sont jeunes et appartiennent à une des classes appelées au cours de la guerre. Leur visage est glabre.

On trouve aussi des visages plus âgés, mais cela n’a rien de surprenant dans un dépôt : les évacués, les hommes revenant de blessure passaient par le dépôt et en attendant le retour au front, ils suivaient l’instruction comme n’importe quel soldat. Il peut s’agir également d’hommes précédemment affectés au service auxiliaire, ajournés ou récupérés suite à un passage devant le conseil de révision ou une commission médicale qui suivent l’instruction en même temps que la nouvelle classe appelée. Le faible nombre d’hommes paraissant plus âgés laisse penser que c’est cette seconde hypothèse la plus probable.

L’encadrement est essentiellement composé d’hommes ayant déjà connu le front comme le prouvent leurs chevrons de présence dans la zone des armées. C’est d’ailleurs un élément de datation important : leur présence fixe la prise de la photographie postérieurement à juillet 1916 (Circulaire du 25 juillet 1916, insérée au Journal Officiel du 28 juillet 1916 page 6700), mois où ils furent créés. Il n’est pas possible d’être plus précis car celui qui en porte le plus n’en a que trois, soit deux ans de présence dans la zone des armées, ce qui aboutit à août 1916 au plus tôt, sachant qu’il peut être dans la zone intérieure depuis plusieurs mois.

Cette date permet également d’affirmer qu’il ne peut s’agir que d’hommes des classes 1917 (en fin d’instruction), 1918 ou 1919.

Mais la recherche aurait dû s’arrêter là. En effet, il est impossible de lire le moindre numéro de régiment et de trouver une localisation, en plus de l’absence de toute correspondance. Le tout laissait imaginer que cette recherche serait vaine. Or, la mise en ligne des documents numérisés sur Européana a apporté non une simple aide, mais la réponse à de nombreuses questions !

  • Le soldat Dadie

Pendant la mise en ligne des documents sur le site Européana, je scrutais régulièrement les nouveautés et, par hasard, j’ai entrevu une miniature d’image dans la page de recherche qui a immédiatement attiré mon attention. Aucun doute, il s’agissait de la même image que ma photographie muette.

En réalité, ce n’est pas exactement la même : le lieu est strictement le même mais la scène est légèrement différente. Les compagnies se succèdent au premier plan comme le montrent les deux images suivantes : on voit clairement que si trois officiers restent au premier rang, on a avancé d’un rang les autres hommes entre la première et la seconde photographie. Il est donc probable que la série comporte quatre photographies, une par compagnie.

Et cette nouvelle photographie est localisée et datée !

Son verso a été écrit par le soldat Dadie, jeune recrue de la classe 1918 du bureau de recrutement de Perpignan.

« Cher parants

je vous envois ces quelques mot de carte pour vous faire savoir que j’ai reçu la lettre mais Maintenan n’écrivé plus j’usqu une nouvelle a dresse excusez moi si je fait pas plus long parce que j’ai du travail monté le sac à dot »

Ce n’est pas ce texte qui nous est le plus utile, à part pour montrer les difficultés d’écriture de celui qui écrivait. Par contre, la carte est oblitérée depuis la commune de Corneilla-del-Vercoul, dans le département des Pyrénées-Orientales. C’est un indice très important donnant une zone de recherche plus restreinte afin de trouver le lieu où elle fut prise. Enfin, plus restreinte, tout est relatif : on sait qu’il était dans ce secteur, mais la recherche s’étend en fait sur plusieurs communes…

Ensuite, cette oblitération donne deux autres informations : la carte est partie en franchise militaire puisque non timbrée et surtout elle date approximativement l’image : 17 juin 1917. Sachant que la classe 1918 fait ses classes approximativement depuis avril 1917, elle n’a donc pu être prise qu’entre avril et juin 1917.

Une autre photo-carte a été envoyée par Jean à sa famille. Il la date de mai 1918, mais il s’agit très probablement d’une erreur de sa part. En effet, les tenues sont exactement les mêmes que celles montrant chaque compagnie et ce n’est pas celle portée au front ou à la CID.

Pour le confirmer, il n’est pas encore possible de consulter sa fiche matricule, ces documents n’étant consultables en ligne que jusqu’à la classe 1912 sur le site des Archives départementales des Pyrénées-Orientales.

Cette photographie est de qualité identique à la première et semble indiquer qu’un photographe suivant les militaires à l’exercice et leur proposait ses services. Détail très intéressant, il note : « une carte comme sa coûte 6 sous ».

Strictement aucun indice n’est visible permettant d’identifier le régiment, une fois encore. Mais la photo carte envoyée nous le révèle involontairement. Ou plutôt son rédacteur le note en se trompant dans l’adresse du destinataire ! Tous les écrits du soldat Dadie le montrent : il avait de grosses difficultés pour écrire, que ce soit dans la graphie ou dans la construction. Peut-être a-t-il écrit mécaniquement… son adresse au lieu de celle de son père qui porte le même prénom que lui ?

Quoi qu’il en soit, nous savons qu’il est au 81e RI.

Cette affectation au 81e RI est confirmée par la dernière photographie envoyée en novembre 1917. On voit Jean poser avec deux camarades en tenue un peu plus soignée. Le départ pour le front approche car il écrit qu’il se fera à nouveau photographier quand il sera habillé de neuf.

Ils posent devant une toile ne recouvrant qu’un peu les pavés du sol. Ce détail a son importance : il est possible de mettre en relation ce cliché avec un autre disponible sur le site du Chtimiste, preuve que nos trois hommes ne furent pas les seuls photographiés à cet endroit. Quant à dire que ces photographies furent prises le même jour, je n’irai pas jusque là.

En l’absence de sa fiche matricule, il n’est pas possible de dire avec certitude quand il quitta le Sud. Le JMO du 9e bataillon du 81e RI indique qu’il reçoit un second contingent de soldats de la classe 1918 le 17 décembre 1917 (dont 489 soldats) venant du 81e RI. Il est possible que Jean soit arrivé dans la zone des Armées à cette occasion, même si on ne peut exclure pour l’instant qu’il y soit arrivé dans un autre régiment. Seule certitude : sa carte de novembre nous montre qu’il n’a pas été envoyé avec le premier renfort de la classe 1918 qui quitta le Sud en octobre 1917.

Un renfort de 95 soldats quitte le 9e bataillon le 10 juin 1918 pour le CID du 158e RI. Or, la dernière information disponible concernant Jean Dadie est qu’il est affecté au 158e RI, quand il décède le 22 novembre 1918 des suites de « maladie contractée en service ». Cette chronologie ne peut être validée pour l’instant faute de fiche matricule.

  • En guise de conclusion

Il ne faut jamais désespérer face à une photographie. Il y a évidemment des images dont on ne pourra jamais rien dire, les informations s’étant perdues avec le temps et aucun indice ne permettant d’en savoir plus. Mais il arrive aussi que, par recoupement, grâce à des aides extérieures, ou la découverte d’un document identique, on parvienne à enfin faire parler une image. C’est exactement ce qui s’est passé ici. Toutefois, il reste encore des zones d’ombre qu’il est possible d’éclaircir, mais les recherches entreprises jusqu’à présent n’ont pas permis d’en savoir plus : une aide extérieure serait fort utile pour déterminer le lieu où la photographie a été prise. Si vous avez une piste, n’hésitez pas à me contacter.

  • Sources :

Première photographie : collection de l’auteur.

Toutes les autres photographies proviennent du site Européana, dossier 10758. Accès direct au dossier.

JMO du 9e bataillon du 81e RI, SHD 16 N 664/14.


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