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33 – 4e ETTEM, Chartres, octobre 1914

Les études sur des photographies publiées sur ce site portent essentiellement sur des fantassins, la variété du sujet ne permettant pas de s’intéresser vraiment aux autres armes. L’armée française comptait pourtant dans ses rangs des unités non combattantes aux sigles étranges : SCOA, ETEM, SSEM. Leurs rôles étaient indispensables à son bon fonctionnement.

  • Des hommes du Train

Cette photographie a été prise pendant la première quinzaine du mois d’octobre 1914. Ces 34 hommes sont bien des mobilisés. Pourtant, ils sont loin des violents combats qui se déroulent dans l’Oise, dans la Somme, dans le Nord dans ce que l’on a appelé la « Course à la mer », pour ne mentionner que cette partie du front. Tous ces hommes sont à Chartres, en Eure-et-Loir, et n’ont pas vocation à être envoyés au front en renfort pour combattre car ils appartiennent à un escadron du train des équipages militaires, ou ETEM, ainsi que le montre le tampon au verso de la photo carte. Il s’agit du cachet du vaguemestre du dépôt du 4e ETEM de Chartres, indispensable pour bénéficier de la gratuité du courrier pour un militaire.

Par escadron, il ne faut pas entendre la même chose que l’escadron des troupes combattantes de cavaliers composé d’une dizaine d’hommes. Ici, il s’agit bien d’hommes ayant un rapport avec les chevaux, mais dans le cadre du transport de ravitaillement, mais ils furent près de 4000 mobilisés au début de la guerre dans cet escadron ! De même, le train n’a rien à voir avec le chemin de fer ici. Cet escadron s’occupe de la logistique dans l’étendue de la 4e région militaire et fournit à partir de la mobilisation des unités pour la zone des armées.

Le 4e ETEM était caserné à Chartres avant-guerre et c’est là que son dépôt fut organisé. Il serait intéressant de retrouver où la photographie fut prise. Si ces hommes durent probablement rejoindre la caserne d’Aboville dite Cachemback (du nom du débitant de boisson le plus proche) où se trouvait le 4e ETEM avant-guerre, il est impossible à l’heure actuelle de conclure que c’est là qu’ils furent photographiés. En effet, c’est une recherche nécessitant des sources que je n’ai pas pour l’instant : l’architecture visible sur la photographie ne correspond à aucune de celles visibles sur les CPA des différents quartiers et casernes de Chartres observées. Rien ne dit qu’ils n’étaient pas cantonnés ailleurs ou que le photographe a placé ces hommes le long d’un bâtiment annexe invisible sur les CPA.

Un détail important est visible sur de nombreux képis : le numéro d’unité est blanc et ce n’est pas du blanc de craie. Il s’agit donc, en toute logique quand on voir l’âge de la majorité de ces hommes, de mobilisés appartenant à la 41e compagnie de l’escadron territorial du train des équipages militaires (ou 4e ETTEM).

Loin de porter l’uniforme de soldats mobilisés au front, la majorité des 2e classe sont en bourgeron et pantalon de treillis comme s’ils étaient convoqués pour une simple période d’exercices. Ils sont ainsi vêtus car c’est leur tenue de travail : ils ne sont pas simplement ici à attendre un éventuel envoi dans la zone des armées.

Un détail laisse à penser qu’il s’agit d’un mélange d’hommes de corvée et d’autres soldats présents à ce moment, ou formant une sous-unité spécifique : un homme tient un balai et un brigadier est aussi en tenue de travail.

Les sous-officiers portent les galons de grade comme dans toutes les unités montées (= où il y a des chevaux). De ce fait, on parle de brigadier (au lieu de caporal dans l’infanterie) et de maréchal des logis (pour le grade de sergent).

À l’exception du brigadier que nous venons de voir et d’un probable maréchal des logis dont on ne vit que la fausse jugulaire dorée au centre du deuxième rang de l’image ci-dessous, les sous-officiers sont eux en veste.

La distinction entre un brigadier et un maréchal des logis est aisément visible ici : sur l’image ci-dessous, on distingue même difficilement les galons du brigadier à gauche alors que le galon doré du maréchal des logis est nettement visible (à droite).

  • Toujours observer

La majorité des hommes a couvert son képi du manchon destiné à le rendre plus discret. Ce manchon est un accessoire récent puisqu’il a été introduit en 1913. La photographie permet d’observer des variantes dans les teintes. Pour faire apparaître le numéro cousu sur le képi, une douzaine d’hommes l’a relevé.

D’autres l’ont enlevé et l’un d’eux l’a même placé sur son genou.

Les accessoires sont classiques : quelques pipes, le quart, et la bouteille de bière ;

Les attitudes aussi : un brigadier a placé ses décorations sur son bourgeron, deux autres se serrent la main.

Plus étonnant, les chaussures d’un soldat ont un cloutage qui laisse songeur : le dessous de la semelle est entièrement cloutée, et de manière peu uniforme, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une paire de chaussures personnelle. Les mobilisés étaient invités à venir avec les leurs, qui leur étaient ensuite remboursées suivant leur qualité.

L’un de ces hommes a un geste moins courant sur les photographies : celui de verser un peu de tabac à priser sur sa main. Comme la croix l’indique, il s’agit de Clément Laury, l’auteur de la carte.

  • Clément Laury

« Chartres le 19 octobre 1914

Cher Parents
Je vous dirait que je suis toujours en bonne santé et je désir que ma carte vous trouve de même. Le bonjour de Chartres.
Laury Clément

Monsieur Georget au petit Belair de Foulletourte
(Sarthe) »

S’il ne dit rien sur son affectation à Chartres, il donne assez d’éléments pour permettre de trouver sa fiche matricule. Originaire de la Sarthe, département appartenant à la 4e région militaire, sa fiche matricule est accessible librement sur Internet. Que nous apprend-elle ?

L’homme photographié a 40 ans. Il est né en 1874 et a fait son service actif au 18e régiment de Dragons. Depuis sa seconde période d’exercices comme réserviste, il est affecté au 4e ETEM. Il y a fait aussi sa période d’exercices en tant que territorial. Le lien avec le cheval en tout cas est logique. La fiche matricule indique qu’il est conducteur lors de son recensement puis est devenu entrepreneur de battage (où il faut aussi conduire des chevaux).

Il est affecté à cette unité à la mobilisation, mais dans sa partie composée de soldats âgés (les territoriaux), donc au 4e ETTEM. Son affectation et son âge font qu’il n’est pas appelé début août mais le 17.

Les hommes sur cette image semblent tous être de la territoriale. Peut-être ont-ils suivi le même parcours que Clément, service actif dans la cavalerie puis passage dans l’ETEM ? Mais il aurait fallu avoir d’autres noms pour le vérifier.

  • Les « chers parents » :

Ce n’est pas la fiche matricule qui nous apprend qui ils sont mais le recensement de 1911 : Clément travaillait en 1906 comme jardinier et dans la même ferme vivait une domestique appelée Marie Georget. Ils se marièrent en 1911. Il a donc adressé cette photo carte à ses beaux-parents qui vivent dans la même commune que lui. Clément et son épouse habitent le bourg, route nationale, les beaux-parents occupant la ferme du Petit Belair.

  • Définitivement « embusqué » ?

Chartres ne fut qu’un passage pour Clément Laury. À partir du 2 décembre 1914, il passe au 356e régiment d’infanterie. Faut-il l’imaginer pour autant dans les tranchées du Bois Brûlé, du Bois le Prêtre ou de Verdun où combattit le régiment de fin 1914 à 1916 ? Probablement pas : par son âge et surtout par sa spécialité, il a dû être affecté au train régimentaire, à l’arrière de la zone des combats. À moins qu’il ne soit resté dans un dépôt. Rien, hélas, ne le dit dans la fiche matricule, comme elle ne disait rien sur son passage à Chartres.

Alors que le 356e RI s’installe à la forêt de Parroy, Clément est transféré au 20e ETEM et mis en sursis une première fois en 1917 puis définitivement en août 1918 en tant que batteur. Il est démobilisé le 31 décembre 1918 et rejoint Foulletourte, s’il n’y était pas depuis 1917.

  • En guise de conclusion

Un visage, un nom, un lieu permettent de compléter le parcours bien laconique proposé par la fiche matricule de cet homme ou par son message. Il est toujours possible d’approfondir plus, y compris le parcours de Clément : si les Archives départementales de la Sarthe avaient conservé un dossier d’ancien combattant, nous aurions pu déterminer son affectation réelle. Mais son nom ne commence ni par un B ni par un S, or seuls les dossiers des noms commençant par ces lettres ont été conservés à titre d’échantillon.

  • Sources :

– Fiche matricule de Clément Laury, classe 1894 matricule 1022 au bureau de recrutement du Mans. Archives départementales de la Sarthe, 1 R 1065.

– Recensement de la population de la commune de Cérans-Foulletourte, Archives départementales de la Sarthe, 2 Mi 289-10, vue 14/44.

– Anonyme, Historique du 4e escadron du train des équipages militaires (1914-1918), Chartres, Imprimerie Durand, sans date. Disponible sur Gallica.

  • Remerciements :

Un grand merci à monsieur Olivier Rondier et à monsieur Yves Cuzin, président de l’Historial Militaire de Chartres et d’Eure-et-Loir, pour leurs précisions sur la localisation de la caserne du 4e ETEM.


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