Quand j’ai vu ce visage, j’ai tout de suite reconnu un homme que j’avais rencontré au détour d’une étude d’image, il y a déjà un an et demi. Quand j’ai vu ce visage, j’ai échafaudé une interprétation du contexte qu’il va falloir sérieusement revoir à l’aune de cette seconde image.
La première photographie :
La seconde photographie :
- Le même homme
Cela ne fait pas l’ombre d’un doute : le sous-lieutenant est bien le même sur les deux clichés. Son visage est très facilement reconnaissable.
Il est une fois de plus entouré d’un groupe d’hommes d’un certain âge, cette fois-ci exclusivement des sergents dont on reconnaît le galon doré sur la manche et la fausse jugulaire dorée du képi. Parmi ces hommes, trois autres étaient déjà présents sur le premier cliché : ce qui fait penser qu’il s’agit d’une série de photographies prises à une même occasion, autour de Falaise en 1913 comme pour la première.
Mais ce n’est pas le plus remarquable. En observant attentivement cette série de portraits peut-être avez-vous trouvé ce qui ne va pas…
Ces hommes ne sont absolument pas du 74e RI. La numérisation de meilleure qualité a permis de rendre bien visible le numéro du régiment sur le col : 5. Il s’agit clairement d’hommes du 5e régiment d’infanterie.
Cela remet en cause une partie des hypothèses formulées lors de recherche sur la première image, à savoir notamment qu’il s’agit de réservistes encadrés par le 74e RI. En effet, non seulement des hommes visibles sur les deux clichés sont du 5e RI, mais c’est en fait le numéro de col qui apparaît sur la première image aussi !
- Le 5e RI
Ce régiment appartient bien au IIIe Corps d’armée, comme le 74e RI, mais pas dans la même division d’infanterie : le 5e est à la 6e DI quand le 74e est à la 5e DI. Comment expliquer la présence d’hommes de ces deux unités sur ces deux clichés ?
Cela devient la question centrale, l’hypothèse de l’accueil de réservistes n’étant pas remise en question par la nouvelle image. La seconde photographie semble même la confirmer : les sous-officiers sont en train de manger, comme les hommes que l’on discerne à l’arrière-plan. Ils sont sur un terrain nu, un champ de manœuvre ou pendant une halte au cours d’une marche. L’homme au centre de l’image ci-dessous a encore sa musette ouverte quand son voisin à gauche est en train de gratter au couteau un fond de boite de conserve. Le fameux repas tiré du sac.
Les hommes sont regroupés à proximité d’un cheval (probablement celui d’un officier) et d’une voiture à cheval discernable sur la gauche.
La seconde photographie confirme aussi un autre élément de la première étude : sa localisation probable : à Falaise, ou en tout cas non loin. En effet, si la portion centrale du 5e RI est à Paris, on trouve un dépôt de l’unité à Falaise. Et si la seconde n’a pas reçu de correspondance, la première photo-carte était postée depuis Falaise, en 1913.
Tout cela ne répond pas à la question sur la présence de cet officier du 74e RI au milieu d’hommes dont l’uniforme est du 5e RI.
- Une présence incongrue ?
Plusieurs scénarios sont possibles pour expliquer la présence de cet officier, certaines plus plausibles que d’autres.
– Cet officier vient d’être affecté au 5e RI et n’a pas encore fait refaire son uniforme. Ce n’est pourtant pas là le plus compliqué ni le plus long, ce qui me fait dire que cette hypothèse me paraît pour le moins douteuse.
– Cet officier fait la liaison avec ce dépôt pour une raison inconnue. Pourquoi dans le dépôt d’un régiment d’une autre division, si éloigné ?
– Cet homme fait-il un stage ?
– Cet officier pourrait être en subsistance au 5e RI afin de renforcer l’encadrement de ces réservistes. Sa présence serait alors temporaire et ne nécessiterait pas de changement de numéro sur l’uniforme. N’ayant jamais rencontré le cas, pour l’instant, ce n’est qu’une piste.
Une piste pourrait venir de l’identification de l’officier. A défaut d’un album du 74e RI donnant son nom, on peut commencer par émettre l’hypothèse que ce Paul écrit à son épouse. S’agit-il de Paul Poirson ? Pas d’officier décédé avec cette identité au cours du conflit. Un tour dans les registres des dossiers des officiers au SHD n’a pas donné plus de résultat, comme la base Léonore des récipiendaires de la Légion d’honneur. Fausse piste.
- En guise de conclusion
Cette nouvelle photographie, complémentaire de la première, a permis d’y voir un peu plus clair sur son contexte probable. Mais elle est loin de suffire à expliquer la présence d’un officier du 74e RI dans un groupe du 5e RI à Falaise.
La réponse viendra peut-être d’un autre cliché. Il faut savoir être patient, avancer par étape, et ne jamais oublier que tant qu’une idée n’est pas démontrée, elle ne reste qu’une hypothèse.
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