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28 – 12e cuirassiers, 1914, Rambouillet

Chaque photographie conduit à observer, s’interroger, parfois trouver, souvent se confronter à un mur faute d’éléments d’identification ou de sources. Un dernier cas conduit à rester toujours prudent : les faux-amis.

  • Un faux ami

J’ai pris cette photo-carte sans faire vraiment attention. De mauvaise qualité, légèrement floue sur la quasi-totalité de sa surface, sans texte, c’est le style d’image que j’aime bien regarder après numérisation car elle peut se révéler plus riche qu’il n’y paraît.

Dans un premier temps, j’ai essayé de déterminer si cette photographie avait été prise juste avant la guerre ou au tout début. Ces soldats portent la capote modèle 1877 mais le port des bandes molletières plaide pour une date postérieure à la mobilisation.

Cette possibilité est confortée par l’ardoise visible. On y lit « campagne 1914 ».

Le fait qu’un homme porte des gants (le soldat de 1ère classe debout sur le premier gros plan) et qu’un autre en tienne (toujours sur le premier gros plan, à gauche) laisse penser que le cliché a été pris pendant l’hiver, en fin d’année.

On aurait donc pu imaginer une photographie de fantassins avant-guerre, mais il s’agit bien d’une photographie prise au cours du conflit, et ce ne sont pas des fantassins au sens premier du terme !

  • 12e RI ?

Le numéro du régiment n’est discernable que sur le képi du sous-lieutenant (ici entre un 1ère classe et un maréchal des logis à droite) : 12.

Mais un détail pose problème : l’armement qui est d’une taille réduite par rapport au classique Lebel de l’infanterie. Une fois encore, malgré sa piètre lisibilité, l’ardoise nous donne l’information : « 12e cuirassiers ». Heureusement qu’il y a cette indication, car les indices sur les uniformes sont ténus : tous les képis sont recouverts du couvre-képi, il y a bien un liseré sur un pantalon (toujours sur le 1ère classe debout à droite) et des pattes de collet foncées (mais illisibles en raison de la piètre qualité de l’image et d’une couleur ressemblant au gris foncé de l’infanterie… sur une photographie).

Ce sont donc des cavaliers ! Théoriquement équipés de carabines de cuirassiers modèle 1890, ce sont ici des mousquetons modèle 1892 pouvant être équipés d’un sabre-baïonnette. On les reconnaît grâce au canon nettement plus long que sur la carabine, mais c’est une arme plus courte que le Lebel de l’infanterie ! Ce n’est pas sans donner une impression étrange quand on regarde la photographie.

Fin 1914, l’armée française fait feu de tous bois pour envoyer des troupes en ligne suite aux pertes sévères depuis le début de la campagne : hommes âgés, mais aussi cavaliers démontés. C’est ce qui explique la tenue de ces cavaliers qui ne se distingue pas de celle des fantassins. Les cavaliers ont été rééquipés pour leur nouvelle mission : une arme avec baïonnette, des cartouchières, la capote et même le képi. Les jambières ont été abandonnées au profit des bandes molletières.

Ce qui est étonnant, c’est qu’à une époque où les troupes d’infanterie sont équipées de manière fort disparate, ces 29 hommes ont reçu des tenues neuves complètes. On ne retrouve même pas l’improvisation qui a été la réalité dans d’autres unités de cavalerie, à savoir le casque conservé, des effets disparates…

Nous avons une période, une unité, reste à déterminer si la date peut être précisée et si la localisation peut être trouvée.

  • En campagne avec le 12e cuirassiers

Le JMO est très utile pour essayer de déterminer la date et le lieu de la prise de vue, et de savoir quand le 12e cuirassiers est-il doté de troupes équipées comme des fantassins.

La première mention dans le JMO du 12e cuirassiers de cavaliers envoyés dans les tranchées de première ligne date du 9 décembre 1914 : « Là, le Régiment met pied à terre et 1 homme sur 2 ramènent les chevaux ». Mais ce sont encore des cavaliers mettant pied à terre, donc équipés comme des cavaliers et non comme des fantassins.

Un autre élément est important pour dater la photographie : « 23 décembre : le Rég. change des carabines contre des mousquetons d’Artillerie avec baïonnette ». Nos hommes ayant ledit mousqueton, elle ne peut donc avoir été prise qu’après le 23 décembre 1914.

Une autre mention dans le JMO aide à affiner la datation. Le 1er janvier 1915, il donne l’organigramme du régiment. Y apparaît un escadron à pied (et non de cavaliers ayant mis pied à terre). Mis en place fin 1914 à partir d’hommes du dépôt, composé de 160 hommes et commandé par le capitaine Belgrand, les hommes de notre photographie sont peut-être réunis autour du sous-lieutenant Bricoux ou du sous-lieutenant Arnoux qui sont aussi officiers dans cet escadron. Il n’y a aucune certitude, mais il paraîtrait logique que cet escadron ait été équipé en priorité pour l’envoi aux tranchées. Cependant, l’historique explique : « Réuni aux autres escadrons à pied de la division, il formait le « groupe léger » de la 7e division de cavalerie. On employait en général cette unité avec le groupe cycliste ou avec des unités d’infanterie. Dans les premiers jours de son existence, le groupe léger avait sur les routes un aspect bizarre qui venait des tenues dépareillées et de l’équipement de fortune de ces cavaliers étonnés de faire la guerre en fantassins. » Le JMO de la 7e division de cavalerie indique que cette réunion se fit le 30 décembre 1914. Tout cela fait de plus en plus douter d’une prise de vue datant de 1914.

Si l’on part du principe que si la photographie avait été prise en 1915, l’ardoise aurait eu pour inscription « campagne 1914-1915 » comme on le voit souvent, cela donne une photographie prise dans le courant de la dernière semaine de décembre 1914. Toutefois, elle aurait aussi très bien pu être prise un peu plus tard car il n’y a évidemment pas de certitude sur la précision de l’ardoise.

Fin décembre, le régiment est encore en Belgique, autour de Izenberghe, avant d’aller presque tout le mois de janvier cantonner à la frontière, côté français, dans la commune d’Houstkerque.

Savoir quand a été mis en place cet escadron nous aiderait probablement à dater la photographie car  ces hommes ont un équipement neuf. Ce pourrait être une photographie à l’occasion de la distribution, dans un lieu de repos.

Mais une fois encore, tout cela repose sur l’hypothèse qu’il s’agit des cavaliers de l’escadron à pied, ce qui n’est absolument pas une certitude.

  • En guise de conclusion (1)

Beaucoup d’hypothèses, peu de certitudes, toutefois, ce cliché a le mérite d’illustrer le début du combat à pied des cavaliers comme fantassins. Ce qui aboutit en 1916 à la mise ne place des régiments de cuirassiers à pied, les fameux Cuir à pied, dont le 12e régiment de cuirassiers.


  • Photographie localisée !

C’est en se basant sur un cliché pris à Rambouillet après-guerre que Monsieur Cronier V. m’a contacté. 

En effet, l’architecture de la photographie envoyée est identique à celle du cliché analysé. Cela met fin à l’hypothèse qui était proposée : Il ne s’agit donc pas d’un cliché de cavaliers dans la zone des Armées, mais d’une photographie probablement prise peu avant un départ du dépôt du 12e régiment de cuirassiers.

Le cliché montre un bâtiment du quartier de la Vénerie à Rambouillet, lieu de casernement du 12e régiment de cuirassiers (avant de devenir celui du 4e hussards après-guerre comme on le voit sur le cliché ci-dessus).

Cette carte postale montre qu’effectivement, l’architecture des bâtiments correspond exactement à ce qui est visible sur le cliché. On peut même imaginer où se trouvait le groupe (zone bleue).

  • En guise de conclusion (2)

Preuve que la prudence est toujours de mise dès l’instant que l’on énonce une hypothèse : j’étais parti sur un cliché pris dans la zone des Armées. Maintenant qu’il est localisé, son contexte change du tout au tout : il ne s’agit pas de l’escadron mis en place au front mais d’un groupe de cavaliers en partance pour le front. Cinq ans après sa mise en ligne, la recherche autour de ce cliché a bien avancé, mais d’autres éléments manquent encore pour contextualiser ce document : quelle date précise ? quel contexte précis ?

  • Remerciements :

À monsieur Cronier V. pour son aide et l’envoi de documents.

  • Source :

JMO du 12e régiment de cuirassiers, SHD 26N877/16.

JMO de la 7e division de cavalerie, SHD 26N488/1.

Anonyme, Historique du 12e cuirassiers, s.n., sans date. 71 pages.

Archives départementales des Yvelines, 3Fi202 33.


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