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24 – 53e RIT, La Côte, 1914

Ces trois photo-cartes ont attiré mon attention car elles semblaient former une série et montraient des groupes d’hommes en grand nombre. La recherche à l’aide du JMO de l’unité, qu’il fut possible de déterminer grâce à une numérisation très précise, permit d’aller bien plus loin que je ne l’avais imaginé grâce à l’aide décisive de Patrice Pruniaux. Et ce, malgré l’absence de texte et l’état de conservation médiocre des cartes.

  • Déterminer où furent pris les clichés

Avant toute chose, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une série de clichés pris au même endroit, le même jour. On voit deux bâtiments et un croisement sur les deux premiers clichés et simplement le croisement et son poteau sur la troisième, l’appareil ayant été légèrement tourné.

Assemblées, les images donnent un aperçu général du paysage visible depuis cette hauteur.

« Et la différence au niveau de l’arrière plan alors ? Dans l’une on perçoit nettement une hauteur absente des deux autres ? » me direz-vous. Et bien c’est une question d’exposition : dans deux cas, on perçoit la hauteur très vaguement sur les clichés originaux. 

La taille des hommes sur les images n’a pas été un problème pour trouver à quel régiment ils appartenaient. Les chiffres des cols sont parfaitement lisibles.

Chiffres blancs pour tous les hommes qui ont tous un certain âge, il n’y a pas l’ombre d’un doute : ce sont des hommes du 53e régiment d’infanterie territoriale. Reste à savoir si ces clichés ont été pris avant la guerre ou au début pour essayer de trouver le lieu de leur prise grâce au JMO.

La présence des pattes de collet pour tous les hommes ainsi que des uniformes complets et corrects montrent qu’il ne s’agit pas de vieilles tenues du régiment d’active habituellement distribuées aux réservistes. De plus, ils sont tous équipés du manchon de toile bleu servant de couvre-képi, dont l’adoption date de 1912. Tout cela va dans le sens d’une photographie prise en 1914.

Grâce au JMO du 53e RIT, il est désormais possible d’aller plus loin. Plusieurs détails vont conduire à préciser encore ce que l’on peut déterminer grâce aux détails visibles.

  • Le 53e RIT à Belfort

Après sa mise sur pied, le 53e RIT embarque de Lons-le-Saunier et arrive à Belfort le 6 août. Ses bataillons prennent position au nord de la ville. Détail très intéressant, on apprend que le régiment reçoit ses mitrailleuses le 8 août mais les sections ne sont intégrées aux bataillons que le 12. Or, deux mitrailleuses sont visibles sur l’un des clichés. La photographie n’a donc pu être prise qu’après. D’autres détails, vus ultérieurement (uniforme des officiers, présence d’un officier mitrailleur) plaident même pour une datation au cours de la seconde quinzaine de septembre au plus tôt.

La végétation a encore des feuilles et des fleurs. Or, deux des trois bataillons du régiment quitte Belfort le 14 octobre, pour l’Alsace. Uniformes complets et identiques + végétation = au plus tard automne 1914, donc autour de Belfort.

Partant de cette hypothèse, j’ai contacté Patrice Pruniaux, que je sais être de Belfort, pour lui demander une piste pour trouver la localisation exacte du lieu où a été pris la série de photographies. Plus qu’une piste, c’est une localisation exacte qui m’a été donnée !

  • Le plaisir de localiser un panorama

Sans l’aide de Patrice, je n’aurais pas pu trouver. Les reliefs sont marqués, mais j’étais parti pour des reliefs plus importants qu’ils ne le sont en réalité.

Voici les positions occupées par le 53e RIT après son installation.

On peut se dire qu’il suffit d’observer les paysages des différents secteurs pour retrouver le lieu où fut prise la photographie. Si la méthode est correcte, elle se heurte à un écueil important: les troupes ne sont pas restées sur place pendant toute la période. Les marches, les exercices, les séances de tir dans les différents champs de tir autour de Belfort se sont succédés. Pour qui habite à 800 kilomètres s’ajoute la méconnaissance totale des lieux. D’où le contact avec une personne de Belfort.

Dans son message, Patrice Pruniaux m’indique que c’est le massif du Salbert qui est visible et que les éléments visibles lui font penser que les clichés ont été pris depuis une surélévation appelée « La Côte » à proximité de Sermamagny.

Une photographie aérienne de 1935 permet de confirmer les observations faites sur le panorama ainsi que la localisation du photographe proposée : une butte appelée « La Côte ». Légèrement en hauteur par rapport aux routes visibles, cela semble un positionnement tout à fait cohérent. Les traits rouges et verts indiquent la zone couverte par les photographies 1 et 3. Tout concorde.

  • Quelle compagnie ?

La proximité de « La Côte » avec Sermamagny est une piste sérieuse pour identifier la compagnie s’étant faite photographier, en théorie. En « théorie » car, comme il a déjà été dit, si on peut partir de l’hypothèse qu’il s’agit de celle qui était la plus proche de ce lieu, rien n’empêche une autre compagnie d’y avoir fait des exercices et de s’y être fait photographier.

Si c’est bien celle cantonnée à Sermamagny qui est photographiée, il s’agit alors de la 6e compagnie du 53e RIT. Son encadrement était formé du capitaine Magnus, du lieutenant Boichat (officier mitrailleur), des sous-lieutenants Legrand et Merlet, ce dernier étant arrivé le 12 septembre. Hélas, en l’absence de photographies de ces officiers ou même d’une description physique (par exemple grâce à un dossier de légion d’honneur), impossible d’avoir des certitudes sur leur présence sur une des photographies. C’est d’autant plus dommage car cela nous confirmerait qu’il s’agit de la 6e compagnie.

La 6e compagnie ne quitta pas Belfort en octobre mais seulement fin décembre 1914 pour rejoindre en Alsace les deux autres bataillons. C’est à cette occasion que le drapeau du régiment fut présenté aux hommes, car jamais la cérémonie n’avait pu être réalisée depuis la mobilisation, chaque compagnie étant séparée des autres comme nous l’avons vu sur la carte des positions du régiment.

  • Souvenir de la compagnie ?

Ce qui m’avait intéressé dans ces trois photographies, c’est qu’elles montraient des groupes d’hommes importants. Prises au même endroit, il s’avère qu’il s’agit de deux sections et d’une compagnie.

La compagnie est composée de quatre sections dont j’ai fait apparaître l’organisation sur l’image ci-dessous. J’ai numéroté les sections en partant de l’idée qu’elles avaient été placées en fonction de leur numéro, mais c’est sans certitude, évidemment.

Nous avons bien tous les éléments qui composent une compagnie : un capitaine à cheval, un cycliste (avec sa bicyclette et son uniforme spécifique). Certes, le nombre de soldats présents n’est pas aux effectifs de guerre, théoriquement 254 hommes. Ici, je n’en ai compté que 191 (36 à la 1ère section, 40 à la deuxième, 42 à la troisième, 46 à la 4e, plus 25 à la section de mitrailleuses, le cycliste et le capitaine). S’il était courant que les effectifs ne soient pas au complet, il est tout de même surprenant que l’écart soit si grand. Si on enlève les hommes de la section de mitrailleuses (

qui portent leur fusil Lebel dans le dos au contraire de tous les autres hommes qui le tiennent à la main, à l’exception du clairon et d’un voisin, l’effectif est à 50 % du total théorique ! Peut-être une partie de l’effectif était-il affecté à des travaux ? Je doute que ce ne soient que 4 demi-sections : il y a trop de sergents comme nous allons le voir (ils ne seraient que 4 dans le cas de 4 demi-sections).

Le capitaine, le cycliste et l’infirmier

Pour les quatre sections, sans tenir compte de la section de mitrailleuses, j’ai pu compter 5 sergents (pour 8 en théorie), le sergent-major et même quelques caporaux. Ces chiffres n’ont rien de définitif car nombre de manches ne sont pas visibles ce qui empêche d’identifier tous les grades.

Un sergent (à droite) et un caporal :

De gauche à droite, le sergent-major (avec son sabre), le caporal fourrier, deux sergents et un caporal.

De gauche à droite, ; un soldat dont on perçoit la médaille, deux soldats, le sergent fourrier, le clairon et le tambour dont on devine les instruments.

Au total, on compte avec certitude, en plus du capitaine, trois commandants de section. En raison du couvre-képi (sans fenêtre pour voir le grade à partir d’octobre), et des capotes sans marque de grade (suivant l’instruction du 18 septembre ? ), il n’est pas possible de déterminer qui est sous-lieutenant et qui est lieutenant parmi ces trois hommes, et même s’il l’un d’entre-eux ne serait pas un adjudant.

Le quatrième chef de section est peut-être cet homme qui ne porte pas de sac, mais il a un fusil. Serait-ce un adjudant, commandant la 2e section qui n’a pas d’officier à proximité ?

Et un seul homme porte un étui à pistolet, au milieu des mitrailleurs. Il s’agit certainement du commandant de la section de mitrailleuses. Est-ce le lieutenant Boichat ?

  • Deux sections de la compagnie ?

Ces deux sections appartiennent-elles à cette compagnie ? Si c’est le cas, certains visages doivent être visibles sur deux clichés, celui d’une section et celui de la compagnie. La première photographie montre une section composée de 36 hommes, dont un sous-lieutenant et deux sergents.

Ce sous-lieutenant est celui est qui juste à côté du capitaine sur la photographie de la compagnie. Il a simplement mis sa capote pour le cliché de la compagnie. Le sergent qui est à ses côtés a ajouté une fleur à sa boutonnière entre les deux photographies, ce qui fait penser que les sections ont été photographiées individuellement avant d’être réunies pour le cliché final.

J’aurais pu faire un parallèle pour chacun des 35 hommes dont on distingue le visage (le 36e est coupé), mais je me suis contenté de trois exemples pour appuyer la démonstration (les photographies du bas sont celles de la photographie de compagnie) :

Pour la seconde section photographiée, même travail. Mais cette fois, les parallèles seront nettement moins faciles à faire, bien qu’il y ait cette fois-ci 45 hommes. En effet, cette section se trouve être celle qui est à l’arrière plan, donc là où la photographie manque de netteté. On reconnaît toutefois un certain nombre d’hommes. Je me suis arrêté aux trois plus facilement identifiables, déjà évoqués dans l’article : l’officier dont la capote est à col rabattu, le clairon et le tambour. On note au passage que le tambour est le seul à ne pas avoir mis le couvre-képi sur les deux clichés.

Autre homme facilement identifiable : le médaillé.

On a donc bien deux des quatre sections. Peut-être celle de mitrailleuses et les deux autres ont-elles fait l’objet de clichés identiques ? Je n’en ai pas trouvé trace dans le lot.

  • Quelques détails

Je ne terminerai pas cette petite étude de ces images sans faire quelques gros plans supplémentaires. D’abord sur le seul homme dont le visage n’apparaît pas car il s’est baissé au moment où le photographe a figé cet instant.

Certains hommes se sont arrangés pour que le numéro du régiment soit malgré tout visible pour la photographie.

Qui a déposé ainsi sa bicyclette ? Le photographe ?

Qui est cette présence fantomatique derrière le groupe de la 1ère section ?

  • En guise de conclusion

Malgré l’absence de contexte, de lieu, et finalement de tout texte, ces trois photo-cartes ont parlé. Elles ont permis de retrouver où elles furent prises, mais pas la date exacte. Plusieurs éléments font penser à septembre (absence de fenêtres aux couvre-képis des officiers, officier mitrailleur arrivé début septembre), sans qu’il soit possible d’être plus précis. L’unité présente est aussi probablement trouvée : la 6e compagnie. Il devrait être possible de mettre un nom sur les visages des officiers.

Tout cela nous montre qu’avec un peu de recherche, on trouve parfois beaucoup à dire, et qu’un peu d’aide est un atout réel.

  • Remerciements :

Ils sont renouvelés à Patrice Pruniaux pour son aide déterminante dans la localisation des photographies. N’hésitez pas à consulter son blog sur les sapeurs-pompiers de Belfort. Il y est aussi question de la Première Guerre mondiale.

  • Sources :

– Anonyme, Historique du 53e Régiment territorial d’infanterie, Paris, éditions Henri Charles Lavauzelle, 1920. Disponible sur le site de la BDIC.

– JMO du 53e RIT, SHD 26 N 758/8. Accès direct au JMO sur le site Mémoire des Hommes.

– Carte au 1 : 80 000 des environs de Belfort (révision de 1896). BNF GED-4185. Accès direct sur Gallica.

– Photographie aérienne disponible sur le site Géoportail. Mission : IGNF_PVA_1-0__1935-08-22__C3620-0191_1935_NP12R676_6816

– LATOUR Jean-Claude (2013). « Août 1914. La compagnie d’infanterie », GBM 104, avril, mai, juin 2013, pages 9 à 20. L’article indispensable pour qui s’intéresse à l’organisation d’un e compagnie d’infanterie en août 1914 et pendant les premiers mois du conflit.

– DELPERIER Louis (2011) « 1914, La tenue des officiers d’infanterie », Les dossiers Militaria n°9, avril, mai, juin 2011, pages 4 à 19.

– DELPERIER Louis (2011) « 1914, le képi du poilu », Les dossiers Militaria n°8, janvier, février, mars 2011, pages 50 à 63.


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