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16 – Dépôt du 42e RI, Besançon, 09/1914

Quelle étrange idée de mettre en avant dans cette rubrique une simple carte postale dont le recto ne représente même pas une scène militaire. Elle n’est pas la première et ne sera probablement pas la dernière. Ici, c’est un cachet et le texte que l’on va faire parler car ces documents témoignent aussi de certains aspects du conflit.

  • Au 42e RI de Belfort

Sur la partie « image » de cette carte postale, je ne développerai aucune explication : la vue d’une chapelle avant guerre n’appelle pas de commentaire particulier.
C’est la partie « correspondance » qui attire le regard : un long texte, une date, une oblitération, une adresse, un cachet.

Cette carte postale appartenait à une correspondance plus complète, dispersée, triée peut-être dès 1914. Qui sait ? Le soldat qui écrit indique qu’il envoie un courrier tous les deux jours. Ce qui était mis en avant pour sa vente n’était pas l’appartenance à une correspondance mais le tampon du régiment.
Le cachet indique « 42e régiment d’infanterie, Conseil d’administration ». Ce cachet montre qu’il s’agit bien d’une correspondance militaire bénéficiant de la franchise postale. Cela explique aussi l’absence de timbre malgré la présence d’oblitérations. 

Ce cachet pose un problème : comment peut-on expliquer que cet homme appartenant au 42e RI soit à Besançon alors que le régiment était caserné à Belfort avant guerre ? Il n’y a pas d’erreur. Le 42e RI fut bien mobilisé dans la ville défendue en 1870 par Denfert-Rochereau, mais son dépôt fut ensuite déplacé à Besançon, dans une zone moins exposée. Il s’agit donc d’une carte postale d’un soldat toujours au dépôt du 42e RI début septembre 1914, envoyée à sa famille.

  • Une guerre encore lointaine pour cette famille

Ce que raconte ce soldat dans sa carte a un intérêt pour percevoir la vision de la guerre que pouvait donner une famille dans ses écrits et celle vécue par un mobilisé depuis un dépôt.

« 1er septembre 1914
Mes biens chers parents,
Hier matin, j’ai reçu par Constance ce que vous avez eu l’amabilité de l’envoyer et ce dont je vous remercie vivement. Je suis bien content d’avoir mes chaussures. Merci très vivement pour le reste.
Encore une fois je suis surpris que vous ne receviez pas de nouvelles. J’écris régulièrement tous les 2 jours. Ici toujours la même vie il n’y a absolument rien de nouveau. Je ne comprends pas que maman ne soit pas venue avec Constance et Marie Mourey. Il n’y a pas à marcher et ça lui aurait changé les idées. Enfin puisque vous me savez bien et en bonne santé c’est l’essentiel. J’ai su que vous aviez entendu le canon par Mme Raspiller, Emile Cholley, les Pattegay etc… L’entendez-vous toujours ? Je ne pense pas. Nous avons un temps idéal et c’est bien préférable à la pluie pour tout. Décidément, la ville de Besançon ne me charme pas. Quelle triste cité ! Vous ne me dites pas ce que fait Victor. Si vous avez de ses nouvelles ! Avez-vous reçu la lettre dans laquelle je vous disais que j’avais mangé avec H. Coppey. Le bonjour à toute la famille et à vous tous mes plus gros baisers.
Marcel
Monsieur Alfred Ougier, Distillateur, Fougerolles, Haute-Saône ».

Le recensement de 1906 confirme qu’Alfred Ougier était distillateur à Fougerolles et qu’il avait un fils né en 1885. Ce fils était « voyageur » en 1906. Peut-être vendait-il les productions distillées par son père ?
On retrouve dans cet écrit l’atmosphère d’un conflit encore naissant, que l’arrière découvre et où les dépôts ont encore de nombreux réservistes attendant leur départ en renfort.

Comment expliquer sa présence au dépôt ? Peut-être était-il un homme du service auxiliaire ? Seule sa fiche matricule peut nous l’expliquer car nous n’en saurons pas plus avec le texte : « Ici, toujours la même vie, il n’y a absolument rien de nouveau ».

Trouver la fiche matricule de Marcel ne pose pas de problèmes particuliers, avec sa date de naissance découverte grâce au recensement. Document incontournable et indispensable, sa fiche est assez avare en informations : il est bien affecté au service armé depuis son engagement volontaire en 1904, mais suivant le sort de la classe 1903, il appartenait à ces classes qui ne furent pas envoyées immédiatement au front avec le régiment de réserve. Mais il ne le fut pas non plus après les hécatombes d’août, de septembre et d’octobre.
Son passage en novembre 1914 devant la commission de réforme de Besançon nous en donne une explication possible : il a des rhumatismes. Mais il pouvait aussi bénéficier d’un poste ou exercer une fonction indispensable au dépôt (que ce bénéfice vienne d’une réelle compétence ou soit le fruit d’une connaissance bienveillante). Sa fiche matricule indique qu’il était étudiant avant son service et qu’il était diplômé de l’école de commerce de Dijon : ce pourrait être une autre piste.
Quoi qu’il en soit, on ne perçoit absolument aucune inquiétude concernant un éventuel départ dans cet unique courrier.

Cela ne l’éloignera du service actif qu’un temps : dès le 17 août 1915, il est reconnu apte au service actif. Toutefois, rien dans sa fiche matricule ne permet de savoir s’il a connu le front. A-t-il entendu le canon autrement que de la manière lointaine évoquée par sa famille ? Car sa famille a entendu le canon et la nouvelle a fait le tour des connaissances jusqu’à arriver aux oreilles de Marcel par le biais de plusieurs personnes différentes. C’est dire, pour ces personnes, qu’il s’agissait d’un événement : ils avaient entendu la guerre. Fougerolles, où habite la famille de Marcel, se trouve à de trente kilomètres à vol d’oiseau de la zone des combats des Vosges. Il est probable que la famille ne note plus dans les courriers suivants avoir entendu le son du canon tant il tonnera souvent dans ce secteur.

Mais en ce mois d’août 1914, on cherche les premiers signes de la guerre qui est à la fois proche et lointaine.

  • Une famille proche

La mobilisation ne mettait pas fin aux contacts entre les hommes et leur famille. On vient de le voir, la correspondance était un premier moyen de pallier la séparation. Dans le cas de Marcel Ougier, étant dans un dépôt non loin de chez lui, il put aussi recevoir la visite de membres de sa famille.

La famille est venue voir Marcel à Besançon depuis Fougerolles, c’est d’ailleurs le sujet central de cette carte postale, mais il n’a pas été possible d’identifier « Constance et Marie Mourrey ». Des cousines ? Des tantes ? Le recensement de 1906 n’aide pas à le savoir, celui de 1911 n’est pas disponible en ligne et l’état civil postérieur à 1872 non plus. Il y a bien un Coppey Henri, décédé pendant la guerre, venant du village de Bouligney distant d’une quinzaine de kilomètres de Fougerolles, mais cela ne nous aide pas.
Si on ne connaît pas le lien entre Marcel et ces personnes, on sait par contre qu’il regrette l’absence de sa mère.

Sa famille lui a fait parvenir, entre autre, une paire de chaussures. Il en est fort satisfait, surtout si ses rhumatismes touchent cette partie de son corps. L’apport de chaussures personnelles de qualité équivalente à celle de l’armée était autorisé.

La dernière question importante posée par ce document est de savoir qui pouvait être ce Victor dont il demande des nouvelles ? S’agit-il d’un membre de sa famille ? Impossible de le dire avec les sources à notre disposition pour l’instant. Il y a bien un Victor Ougier né la même année dans le même village. Mais à part ce point commun, il est totalement impossible de dire qu’il s’agit de la bonne personne.

  • En guise de conclusion

Cette carte postale nous permet d’entrevoir quelques aspects de la vie du mobilisé, parmi beaucoup d’autres et au milieu d’immenses blancs. On arrive notamment à retrouver une famille grâce à une signature et une adresse. Elle est, hélas, isolée mais nous met face à quelques éléments anecdotiques de la vie d’une famille au début du conflit. Les premiers contacts avec la guerre pour un homme encore au dépôt et sa famille. Quand l’image ne parle pas, il est utile de s’intéresser à l’écrit. Dans ce cas, seuls les mots parlent et ils peuvent se révéler très riches.

  • Remerciements

A l’équipe des AD70 pour la promptitude et la qualité de leur réponse à ma demande de fiches matricules.

  • Sources :

Archives départementales de Haute-Saône, Recensement de Fougerolles, 16Num 245/5, vue 108/198. Document disponible sur le site des AD70.

Archives départementales de Haute-Saône, fiche matricule de Marcel Alphonse Ougier, classe 1905, matricule 354 au bureau de recrutement de Vesoul.

Archives départementales de Haute-Saône, fiche matricule de Victor Ernest Ougier, classe 1905, matricule 332 au bureau de recrutement de Vesoul.


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