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12 – Camp de Bourges, 1904, F. Heller écrit.

Un homme écrit à une femme d’un camp au début du XXe siècle. Nous avons son nom, certes, mais c’est bien le seul élément concret de ces cartes. Une fois encore, ce document va se révéler avare en informations, défaut partagé peut-être par son auteur ! Pour une fois, l’originalité ne vient pas seulement de l’image, mais elle vient aussi de la carte en elle-même. Pour ces images devrais-je dire plutôt écrire, vu qu’il y en a deux !

  • F. Heyler

La qualité des clichés et la prise de vue générale ne permettent pas de déterminer à quelle unité appartiennent les hommes visibles.

De plus, souvent un simple nom et les rares informations données par la carte conduisent à une impasse. F. Heyler qui écrit à Madame Heyler. Je me suis demandé s’il s’agissait de sa mère ou de son épouse. Seule piste : la commune où vit cette madame Heyler à Perrier dans le Puy-de-Dôme.

Et pour une fois, la recherche a été fructueuse et permet même quelques certitudes. Une seule mention de Heyler dans l’état civil de Perrier. Pour un mariage à Perrier en juin 1900. L’acte de mariage étant numérisé et accessible depuis le site des Archives départementales du Puy-de-Dôme (2), les informations ont donné les éléments suivants : Jean-Marie Fernand Heyler s’est marié dans cette commune avec Marie Victorine Moing le 28 juin 1900. Comment s’assurer qu’il s’agit bien du bon homme ? « F » pour « Ferdinand », ça colle, d’autant plus qu’il était fréquent d’utiliser son second prénom comme prénom usuel. La confirmation définitive vient de la signature du marié :

« F Heyler » comme sur la carte. Et il ne peut y avoir confusion avec son père qui signe avec un « M ». L’acte de mariage nous donne aussi une indication fort intéressante pour déterminer à quelle arme il appartenait au moment où il est allé au camp à Bourges.

« (…) Jean-Marie Fernand Heyler, âgé de vingt-quatre ans, étant né le deux mars mil huit cent soixante seize à Clermont F. ainsi que le constate l’extrait de son acte de naissance dûment produit, maréchal des logis au 16e Régiment d’artillerie, en garnison à Clermont-F., lequel a obtenu l’autorisation de mariage des membres du conseil d’administration dudit régiment le deux juin courant (…)« 

Un artilleur ! Le problème, en l’absence de la fiche matricule, est maintenant de savoir ce qu’il faisait à Bourges en 1904.

  • Au camp de Bourges :

Fernand est un artilleur. Il est né le 29 février 1876, une date qui nous apprend, outre qu’il ne pouvait fêter son anniversaire qu’une fois tous les quatre ans et que ce n’est pas la date qui figure dans l’acte de mariage, qu’il aurait dû appartenir à la classe 1896. En 1900, sa classe n’avait pas encore achevé son service militaire, mais cette classe 1896 a fait, théoriquement, sa première période d’exercices en 1903. Or la carte est datée de 1904. La première explication qui me vient à l’esprit est que Fernand était peut-être un engagé volontaire. En effet, le fait qu’il soit maréchal des logis n’est pas une preuve en soi, par contre il a un père qui était militaire de carrière dans l’artillerie : à 40 ans, lors de la naissance de son fils, il était affecté au 31e RA à Clermont-Ferrand. Le fils a pu suivre l’exemple de son père. Cela expliquerait sa présence à Bourges en 1904, mais seule la fiche matricule pourra donner quelques certitudes à ce propos. Encore faut-il la trouver.

S’il était artilleur, sa présence au camp de Bourges a du sens : il a pu y aller pour une école de tir avec son régiment comme dans cet exemple ci-dessous. Sur l’image ci-dessous, on remarque les bâtiments au fond qui ressemblent à ceux de la première carte. Grâce à Jérôme Charraud, il a été possible de déterminer que Fernand se trouvait au camp d’Avord et que les deux photographies ont donc été prises dans ce camp.

  • Scènes de vie au camp

Ces deux photographies montrent deux aspects de la vie au camp d’Avord. Sur la première, les matelas et polochons sont sortis et les hommes s’affairent autour.


Est-ce le matin lors de la réglementaire sortie de ces effets de la tente ? Au moment de l’arrivée au camp pour préparer la première nuit sous la tente ?

En observant avec attention, on note qu’un groupe d’hommes regarde dans la même direction. Ces artilleurs sont à l’écoute des consignes données. Cette hypothèse pourrait être confirmée par un soldat tenant une botte de paille à la main et semblant expliquer la manière de remplir le matelas.

La différence de comportement, entre ceux qui écoutent et les autres, pourrait s’expliquer par le fait que des « bleus » soient mélangés à des « anciens ». Certains en tout cas sont déjà à leur aise… ou finissent symboliquement leur nuit en étant confortablement installés sur leur matelas.


La seconde image, au premier abord, ne montre pas grand chose : des tentes à gauche, un vaste bâtiment à droite, peut-être une vue arrière de l’un de ceux visibles sur la première. Un contraste médiocre pourrait nous faire passer à côté d’un élément intéressant. Scanner réglé sur 3200 dpi pour mieux visualiser la zone dans l’ombre à droite.

  • Un lieu dédié au repos

Il semble que la seconde image nous montre un lieu particuliers du camp : on y voit un bâtiment accolé au plus grand, d’où sort un long tuyau de cheminée. A côté se découpe difficilement un élément qui avait son importance pour les hommes de l’époque : la roulotte d’une cantinière (3).

« Mme Vincent, cantinière … d’artillerie« . La mention figurant sur la bâche au-dessus de la roulotte peut être mise en relation avec l’appartenance de Fernand à une unité d’artillerie. Dommage qu’un pli nous cache l’unité à laquelle cette cantinière est rattachée. En effet, comme l’indique le 1er volume du Larousse du XXe siècle page 1005, 1928.

« Chaque cantinière reçoit une commission délivrée par le conseil d’administration du régiment. Il y a en général une cantinière par bataillon. Ce sont habituellement des femmes ou veuves remariées de militaires commissionnés du corps (…). La voiture de cantinière, d’un modèle spécial, fait partie du train régimentaire. »

  • Fernand est-il sur une des images ?

L’hypothèse n’est pas à exclure, même s’il est impossible d’être affirmatif à 100% en l’absence de portrait pour comparer. Seul un homme sur le premier cliché semble avoir vu le photographe (ce qui permet d’ailleurs d’avoir une scène très vivante à l’inverse des photographies posées) et deux posent clairement sur la seconde.

Sur la première, tous les hommes sont en uniforme de travail (bourgeron, pantalon de treillis) à l’exception de quelques soldats pouvant être des gradés (dans l’infanterie, les sergent n’ont pas de tenue de travail, à l’inverse des simples soldats et des caporaux ; peut-être en est-il de même dans l’artillerie). Ce détail à son importance puisque nous savons qu’en 1900 notre homme est maréchal des logis. Cependant, sur ce premier cliché, aucune marque de grade n’est discernable sur cet homme qui pose alors que la marque du grade de maréchal des logis, doré, devrait être visible.

Sur le second cliché, l’homme à gauche semble être un maréchal des logis. Est-ce Fernand ?

  • Fernand, un dangereux récidiviste ?

Évidemment, pas au sens criminel. Il a simplement affranchi insuffisamment les deux cartes, espérant peut-être que cela passerait au milieu du nombreux courrier qui circulait à l’époque. C’était mal connaître la rigueur du postier qui tria ou qui distribua les cartes. En effet, le tarif à 5 centimes n’est valable que pour cinq mots + signature. Même si le texte est postérieur, il reprend la réglementation antérieure à décembre 1904 (depuis 1902) :

« 4° Les conseils, renseignements, même très généraux, tels que :

A vendredi, à voir, beau pays, bien arrivé, ça va bien, charmante journée, il pleut, promenade des Glycines, revenez vite, etc., sont interdits ; (…)

Surtaxes : (…)

2° Portant mention de cinq mots irréguliers, à découvert, 0 fr. 10, sous bande ou sous enveloppe, 0 fr. 20;

3° Portant plus de cinq mots : à découvert, 0 fr. 10; sous enveloppe, 0 fr. 20 ; (…)« 

Les textes personnels de 5 mots ne seront autorisés qu’à partir de 1909.

Fernand a tout faux : plus de 5 mots, textes personnels. Dans la première, il demande des nouvelles, dans la seconde il informe de l’envoi des photographies. La sanction est immédiate : plus de 5 mots, cela veut dire tarif normal de la carte postal, soit 10 centimes. Il n’en a payé que 5, donc il en manque 5. Le courrier est taxé d’un montant double de l’insuffisance d’affranchissement soit (10-5)x2 = 10 centimes. Taxe payée par le destinataire. Bonne surprise pour madame !

Parties de Bourges le 14 mai 1904, elles arrivent à Issoire le lendemain puis à Perrier dans la journée. C’est là qu’elles sont taxées.

Ces deux cartes étaient-elles les seules envoyées ou y en avait-il d’autres ? Aucune indication ne permet de le dire, et si c’était le cas, le temps, la dispersion de la série a fait son œuvre.

  • Un ancien modèle de cartes postales

Même si depuis novembre 1903, écrire au verso à gauche des cartes est autorisé en France, ces deux cartes sont du modèle précédent : le verso est exclusivement réservé à l’adresse, le texte devant être rédigé au recto dans une partie laissée blanche afin de recevoir la correspondance. Cependant, on imagine mal le photographe mettre à la poubelle sont stock de papier « carte postale » acheté auprès de la fameuse société Lumière de Lyon en raison de l’autorisation d’un nouveau modèle. Ce nouveau modèle va rapidement remplacer l’ancien, au rythme de la disparition des stocks anciens.

  • En guise de conclusion (1, avril 2011)

Il est probablement encore possible de faire parler ces deux cartes, avant de se lamenter une fois de plus sur la perte définitive de tant d’informations sur cet instant de vie fixé sur papier. A quelle unité appartiennent les hommes visibles ? Fernand Heyler est-il parmi eux ? Que faisaient-ils dans ce camp ? Où localiser avec précision les différents bâtiments visibles ? A quoi servaient ces bâtiments ?

  • La fiche matricule de Fernand Heyler

Thibaut Vallé a une fois encore aidé à en savoir plus en me signalant la mise en ligne de la fiche matricule de Fernand Heyler par les Archives départementales du Puy-de-Dôme. Grâce à ce document, on avance dans la compréhension du contexte des photographies.

Enfant de troupe, Ferdinand Heyler s’engage le lendemain de ses 18 ans. C’est au 16e Régiment d’artillerie qu’il fait sa carrière, devenant brigadier puis maréchal des logis dès le 29 juillet 1895. En 1902, il est sous-chef mécanicien. Il devient receveur buraliste de 1ère classe le 22 avril 1909 et il quitte l’armée le 1er juin 1909. Il s’installe à Ris (dans le Puy-de-Dôme) puis à Massiac (dans le Cantal) en 1913.
Ces quelques éléments permettent de dire que lorsque les photographies ont été prises et les cartes envoyées, Fernand Heyler était encore au 16e Régiment d’artillerie, comme lors de son mariage.

Mobilisé à compter du 7 août 1914, il n’est envoyé dans la zone des armées que le 17 décembre 1916. Il revient dans la zone de l’intérieur dès le 15 juin 1917 en étant affecté au 13 escadron du train. Il s’engage à nouveau à la fin du conflit. Il choisir le 113e Régiment d’artillerie lourde avant de revenir au 16e Régiment d’artillerie. Il devient garde magasin au corps puis adjudant gardien de batterie jusqu’au 28 février 1936, date où il est atteint par la limite d’âge.

  • En guise de conclusion (2, mars 2018)

Même si la majorité des questions posées dans la précédente conclusion restent sans réponse, au moins la fiche matricule a-t-elle permis de préciser le parcours de Ferdinand Heyler et le contexte général des photographies.

  • Sources :

Archives départementales du Puy-de-Dôme :
R 3376 : Fiche matricule de Fernand Heyler, classe 1896, matricule 1992 au bureau de recrutement de Clermont-Ferrand. Vue 308 à 310/320. Consultée le 5 mars 2018.

Archives départementales du Puy-de-Dôme. État civil en ligne.

  • Pour approfondir :

On trouve peu d’éléments sur le net concernant le camp d’Avord. Par contre, pour toute recherche qui tourne autour des unités stationnées dans le département voisin de l’Indre, il y a deux sites et surtout un blog tenus par Jérôme Charraud. Outre le parcours des unités, vous y trouverez des parcours de mobilisés très riches et de nombreuses illustrations. Sur le Cher, juste une référence sur Bourges, l’encyclopédie de Bourges, toujours en construction et qui ne possède pas encore d’article sur Avord.

Pour compléter ces quelques mots sur les cantinières, lire l’article à ce sujet proposant texte et illustrations, sur le blog du 149e RI de Denis Delavois.

Complément sur la taxation des courriers sur un très beau site dont une rubrique porte sur ce thème à l’aide de nombreux exemples illustrés.

Complément sur l’histoire des cartes postales en France sur cette page d’un site riche et bien illustré.


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