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11 – Soldat du 57e RI, Libourne, 1914

Le régiment de l’homme sur cette photo-carte a été découvert de manière fortuite : ce qui attira mon regard sur ce document, ce fut d’abord la mention ajoutée par le photographe « Pendant la guerre 1914 », puis ce mur peint en blanc derrière. Finalement, un nom, c’est la possibilité d’identifier l’expéditeur. La richesse du texte a permis d’aller un peu plus loin et d’ouvrir des pistes.

  • Un soldat du 57e RI

J’ai l’habitude de terminer mes recherches par les sites pouvant aider à approfondir l’étude. Cette fois-ci, je vais commencer par cela ! Je suis heureux de pouvoir consacrer une petite recherche à un homme du 57e RI tant je suis admiratif du travail entrepris par Bernard Labarbe depuis plusieurs années sur ce régiment. Partant du parcours de son grand-père, il a réalisé un travail remarquable sur ce régiment en 1914 et sur ses morts pour la France tout au long du conflit. Puisse cette courte recherche être un encouragement pour Bernard afin qu’il poursuive son œuvre.

Retour à la photo-carte. Elle est riche à la fois par l’image et par le texte. L’interprétation de l’image serait d’ailleurs difficile, voire piégeuse, s’il n’y avait le texte. En effet, cet homme portant l’uniforme du début du conflit, on pourrait en déduire qu’il s’agit d’un classe 14 au dépôt, faisant ses classes.

Toutefois, son insigne de bon tireur laisse penser qu’il s’agit d’un homme mobilisé dès août 1914. Un instructeur (il semble avoir une marque de grade sur la poitrine, caporal ?) ? Son jeune âge peut s’accorder avec une des classes au service juste avant la mobilisation. Heureusement, le texte est là pour nous permettre de dépasser le stade des hypothèses.

  • « Binette de la guerre de 1914 »

La carte nous donne l’identité et des détails nécessaires pour être sûr qu’il ne s’agit pas d’un classe 1914. Louis Glenadel est à la 29e compagnie du dépôt de Libourne en novembre 1914. La raison de sa présence en ce lieu à ce moment est clairement expliquée. Il écrit : « ce qui fait que si je dois repartir un jour« . Ce mot « repartir » montre qu’il a déjà été présent au front. La correspondance nous apprend aussi qu’affecté à la 30e compagnie du dépôt, il a été « versé à la 29e » où sont les hommes inaptes à partir au front dans l’immédiat.
Comment expliquer sa présence au dépôt ? Simplement par une évacuation de la zone des Armées, mais pour quel motif ? Blessure ? Maladie ? Impossible de le dire tant que nous ne disposerons pas de sa fiche matricule qui, elle, pourrait peut-être nous donner quelques certitudes.
Mon intime conviction est qu’il a probablement été blessé au cours des premiers combats du régiment : les pertes ont été importantes. Cela permet-il d’expliquer qu’il porte sur sa capote un prix de tir, élément qui n’est plus porté au front ? Blessé légèrement, de retour au dépôt, on lui donne un uniforme à moins que ce ne soit tout simplement le sien.

  • Une seule certitude

Louis Glenadel est retourné au front et sa phrase « mais nous sommes biens forcés d’accepter l’inévitable, si terrible que ce soit« . Phrase prophétique à sa sœur : il est tué au combat de Vauxbuin dans l’Aisne le 1er juin 1918. Il fait partie des 98 tués du 57e RI ce jour là.

Il est présent dans le tableau récapitulatif des pertes du régiment réalisé par Bernard Labarbe, qui n’a pas retrouvé sa sépulture.

  • Une correspondance

Si la correspondance est un outil à utiliser avec précaution quant aux conclusions auxquelles on peut arriver, c’est une documentation qui nous en apprend pourtant déjà beaucoup sur un homme que l’on ne connait pas. Les choix de ce lui qui écrit sont aussi des indices sur qui il était.

« 15 Novembre 1914 (Chère sœur) Votre lettre m’a fait bien plaisir quoique désirant de meilleures nouvelles de votre santé, mais nous sommes bien forcés d’accepter l’inévitable, si terrible que ce soit. J’ai reçu d’Albert une lettre du 12 courant m’annonçant que pour l’instant il se trouvait à peu près à l’abri, et le texte de sa lettre n’a rien d’un esprit découragé quoique pas exalté. Mon changement de compagnie l’avait inquiété et il me demandait la raison, je l’ai rassuré immédiatement à ce sujet, car si j’ai changé de compagnie c’est parce que la 30e était une compagnie de départ et comme je ne suis pas apte à repartir j’ai du être versé à la 29e. Je suis heureux que mes roses que je crois inventées par mon imagination, vous les avez reçues quand même complétant ainsi le désir que j’avais de vous être agréable. Vous nous êtes privée hélas, mais pour une cause si grande que je ne puis que vous admirer. Quant à la coupure du journal, je l’avais vu moi-même et pensais vous le faire connaître ; en conséquence nous avons tous avant de repartir au feu une permission de 7 jours pour dire au revoir à nos parents.
Ce qui fait que si je dois repartir un jour je pourrai venir vous embrasser avant mon départ. J’espère que vous me tiendrez au courant de votre guérison ainsi que des lettres d’Albert. Vous ne me parlez pas de nos Parents dans votre dernière lettre ? … Embrassez bien la petite Nénette pour moi. Je termine en vous envoyant mes baisers les plus affectueux et en me présentant à vous avec Binette de la guerre de 1914.
Bons baisers
Louis
Glenadel 29e Comp. de dépôt, 57e Libourne.

A Inès Glenadel, Domme, Dordogne, le 15 Novembre, Louis« 

Ici, Louis écrit à sa sœur Inès. Il lui parle de la famille, des connaissances. La guerre est aussi un sujet d’échange, Louis répondant à un courrier de sa sœur qu’il évoque. Ainsi, ils parlent d’Albert que Louis ne trouve pas exalté, mais pas non plus découragé comme l’a écrit sa sœur. Tout cela n’est pas sans rappeler certaines querelles entre historiens… Il est question d’un article indiquant sans aucun doute que les soldats ont droit à une permission de 7 jours avant de repartir au front. Les modalités d’obtention de cette permission permettrait de savoir pour quelle raison Louis est revenu au dépôt. Ces informations permettent de croiser les informations obtenues par d’autres sources. Chaque détail compte.
En effet, il est possible ici d’en savoir un peu plus sur Louis et sa famille grâce à l’état civil.  Peut-être vit-elle avec Albert ? A moins qu’il soit un ami ? Un cousin ? Les possibilités sont nombreuses et dépassent largement le cadre de cette petite recherche.

Cet Albert n’est en tout cas pas le second frère de Louis : ce frère est prénommé Baptiste et est né à Peyriac le 8 décembre 1883. Il eut une autre sœur Françoise née en 1885. La seule dont la date de naissance n’a pas été trouvée est Inès, ce qui empêche de savoir si cet Albert était son mari. Les archives peuvent être un complément très riche au texte de cette carte. Un visage, un état civil, un destin. Bien peu finalement sur une vie.

  • En guise de conclusion (1, janvier 2012)

Cette simple photo-carte permet déjà de mettre un visage sur un nom, de découvrir sa famille, de retracer un parcours pour l’instant hautement hypothétique. La fiche matricule nous aiderait à y voir plus clair sur ce parcours. Même si cette photo-carte parle bien peu (une goutte d’eau dans l’océan d’une vie), par ce qu’elle nous apprend, elle est déjà très riche.


  • Un destin retrouvé

La mise en ligne de la fiche matricule de Louis Glenadel a permis de trouver quelques éléments complémentaires et surtout de confirmer la raison de sa présence au dépôt.

Louis est devenu caporal le 7 septembre 1914 mais a été blessé par éclat d’obus au genou le 28 septembre 1914. Son parcours ensuite n’est connu que par quelques bribes, comme c’est souvent le cas pour les soldats tués. Il a été décoré après être devenu mitrailleur.

Valet de chambre à Paris il s’est engagé volontairement en avril 1913 pour trois ans, devançant de 6 mois son incorporation. C’est cet engagement qui explique la LM dans la fiche du site « Mémoire des hommes ». Il partit alors pour le 57e RI, sans que l’on sache a raison de ce choix d’affectation. Nous connaissons la suite.

  • Sources et compléments :

Blog de Bernard Labarbe sur le 57e RI en 1914.

SGA Mémoire des Hommes.

JMO du 57e RI, SHD 26N646/7.

Archives départementales de Dordogne :

5 Mi 5102/250, acte de naissance de Louis Glénadel, vue 2/4. 5 Mi 51102/214, vue 714, acte de naissance de Baptiste. 5 Mi 51102/222 vue 215, acte de naissance de Françoise.

2 R 1068. Fiche matricule de Glenadel Louis, classe 1912, matricule 516 au bureau de recrutement de Bergerac.


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