BERGER Gérard, Une lettre par jour, correspondance de Joannès Berger, poilu forézien, avec sa famille (1913-1919). Epoque II, de Léger à Saint-Dié, septembre 1915 à août 1916. Paris, éditions L’Harmattan, 2016.
Le titre est déjà symptomatique et résume ce qui est de loin le principal problème de cet ouvrage : l’auteur de la publication (que je distingue de l’auteur des lettres) n’arrive décidément pas à aller à l’essentiel. La correspondance transcrite est intéressante, c’est un fait. Elle est riche, à la fois factuelle et plaisante à parcourir et à étudier en raison de sa fréquence. Mais l’auteur n’a strictement rien changé par rapport au tome 1. Je ne vais pas reprendre mon argumentaire critique ici, simplement je vais pointer du doigt les principaux points qui me paraissent problématiques dans la présente édition, même s’il s’agit pour l’essentiel des mêmes que dans le premier volume :
– la présentation de chaque lettre est inutilement longue. Quel est l’intérêt de donner la taille des carreaux du papier ? On pourrait me reprocher de m’arrêter sur un détail, qui n’est en fait pour moi qu’un révélateur. Est-ce vraiment un détail quand certaines présentations sont au final plus longues que la lettre elle-même ?
– Le nombre de notes de bas de page est tout bonnement ahurissant. La 4e de couverture en annonce fièrement « plus de 1400 ». Il y en a exactement 1442… Je n’ai pas osé calculer combien cela en fait par lettre. Comme dans le premier tome, la majorité sont des réflexions que l’auteur se fait à lui-même et, sans être méchant, n’intéressent que lui : les « Intéressante information… » n’apportent rien ; beaucoup paraphrasent la lettre, d’autres sont des formules faisant référence à une autre lettre. Quelques-unes sont même erronées. Voici quelques exemples pour illustrer :
– la note 1262 indique que le terme « épatant » pour parler d’une tranchée est incongru. Pourtant la tranchée dans laquelle est Joannès est si confortable quand on la compare à celles qu’il a connues avant sa maladie qu’au contraire l’expression est parfaitement à propos.
– dans la note 989, l’auteur fait une longue présentation de l’origine du nom « Hotchkiss », oubliant seulement pour le lecteur de préciser qu’il s’agit en 1914 du modèle de mitrailleuse le plus utilisé par la France !
Il y a pourtant matière, non à multiplier les notes de bas de page, mais bien à les utiliser pour analyser. Certains points sont laissés de côté alors qu’eux auraient mérité des éclaircissements. La note 967 essaie de trouver une explication à l’apprentissage d’un deuxième modèle de mitrailleuse. L’auteur se demande si c’est une arme allemande ou alliée. La correspondance réfute juste après l’hypothèse d’une arme capturée. Il y avait juste deux modèles de mitrailleuses françaises en 1916.
– Si l’auteur épluche littéralement tout ce qui est écrit, il ne le fait pas pour les mentions concernant les combats de son régiment au front. Pourtant, les énormités sont réelles et auraient mérité… une note pour éclairer le lecteur, par exemple, pour la prise de Vaux page 215. La note 1024 n’éclaire pas le lecteur sur le rôle du 149e RI. Le régiment se bat pour la défense du village de Vaux, et non le fort.
Les seules notes vraiment utiles sont celles qui expliquent qui sont les personnes citées.
– La seule photographie de Joannès Berger est reléguée au milieu des documents en annexe. Mais il y a pire à mes yeux : Joannès Berger se fait photographier pendant son stage de mitrailleur. Inutile de chercher dans les annexes, la photographie n’y figure pas. Une note de bas de page nous apprend que l’auteur en a une qui ressemble à ce qui est décrit, mais il manque la mitrailleuse. Dans le doute, autant ne pas la publier…
– Toujours pas de cartes mais des précisions géographiques dans les notes de bas de page.
– Le prix est devenu exorbitant : 40 euros ! Merci à mon complice Denis d’avoir accepté de partager les frais. Ce prix rend d’autant plus insupportables la lourdeur et l’inutilité de certains éléments de présentation et autres notes de bas de page. Je reviendrai sur la question du prix.
– Il n’y a plus d’introduction ! Tant pis pour ceux qui n’ont pas lu le tome 1. Pas un seul mot de présentation, aucun rappel de la situation, seulement quelques éléments noyés dans les notes de bas de page.
- Pourquoi s’entêter à lire ce livre ?
Par son parcours, Joannès nous permet de suivre des étapes souvent rencontrées par les soldats et régulièrement passées sous silence dans leurs témoignages ou correspondance : l’hôpital puis le dépôt.
Il passe de longs mois dans un hôpital à Léger avant de passer une période qu’il cherche à prolonger au maximum au dépôt. M’intéressant particulièrement à ce thème, j’ai été très attentif à ce qu’il a écrit. On y suit ses différentes affectations (de la 28e compagnie des inaptes – à retourner au front – à la 27e, compagnie de départ), ses différentes activités (marches, confection de matelas, corvées). Arrivé début janvier 1916, il passe une visite médicale et est considéré comme mobilisable le 20 février. Il ne retourne toutefois au front qu’en juin. En effet, il obtient un stage de mitrailleur d’un mois, ce qui va lui permettre de repousser d’autant son départ.
De retour mi-mai 1916 au dépôt, il est affecté au 163e RI et se retrouve dans les Vosges, dans un secteur relativement calme. Le livre s’achève sur sa blessure.
- En guise de conclusion
Malgré la masse de critiques, ce témoignage mérite d’être découvert. Il permet de suivre le parcours d’un homme et une partie des activités quotidiennes d’un militaire au dépôt ou lors d’un stage d’instruction de mitrailleur. Mais les choix éditoriaux nuisent à cette découverte. Comment un éditeur peut-il ne pas dire à son auteur que ses choix ne sont probablement pas les meilleurs, surtout à ce prix ? Probablement une maison d’édition qui se contente de publier ce que l’auteur propose, les risques financiers étant pris par l’auteur.
Quand les choix conduisent à étendre sur 5 volumes cette correspondance assez simple, moins riche que nombre d’autres, il faut se poser des questions. Un volume regroupant les correspondances, épargnant au lecteur tout l’appareil descriptif et les notes de bas de page et un volume d’analyse (d’ailleurs prévu) auraient largement suffi. Le prix aurait été plus raisonnablement acceptable.
Là, je doute vraiment qu’il trouve un lectorat conséquent. D’ailleurs je n’achèterai pas le tome 3 s’il reprend la même forme. J’imagine que si l’auteur lisait ces lignes, il en serait fort marri, surtout quand on imagine le temps considérable mis à faire tout ce travail.