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Trésors d’archives n°38 – Tessier, froussard ou simulateur ?

    L’histoire du soldat Tessier connaît quelques rebondissements. Pour un homme dont le parcours militaire était pratiquement sans ombre, la mobilisation marque un changement brutal.

  • Une jeunesse sans trop d’histoires

    Fils unique né dans une famille à Château-du-Loir dans la Sarthe en 1879, Paul Tessier suit des études à Tours avant de s’engager volontairement au 66e RI pour trois ans. Il devient caporal en février 1901 puis sergent en 1902. Il se rengage pour un an puis pour deux ans. Nommé sergent-fourrier en novembre 1903, il redevient sergent en mars 1904 puis quitte l’armée en novembre 1905.

    Entre 1905 et 1914, il s’installe successivement à Tours, Le Lude, Epernay avant de finalement fixer sa résidence à Paris en mai 1914. Il y travaille comme employé d’assurances.

    En raison de ses rengagements, il est dispensé des périodes d’exercices à l’exception de celle comme territorial. Il est appelé au 117e RI du Mans en juin 1914. Il est ensuite mobilisé au 28e RIT, toujours au Mans.

    Malgré son grade et son expérience, il ne part ni avec le 28e RIT ou avec le 317e RI. Au contraire, il est interné dans l’asile d’aliénés du Mans quelques jours après son arrivée à la caserne.

  • Que cache la frousse ?

    L’enquête réalisée au moment de son internement est instructive concernant ses années d’avant-guerre.

« Sa mère nous dit qu’il a toujours été très nerveux. Élevé par un père phobique (neurasthénique qui s’est suicidé : pendaison il y a 6 mois), très craintif. « Froussard, pusillanime et versatile ».

Pensa faire des études de médecine. (…) est employé du contentieux de la Cie Abeille. Après avoir fait qq études de droit.

A Paris où il était depuis 6 mois s’est lié avec une femme avec laquelle il cohabite qu’il redoute et par qui il s’est laissé entièrement dominer.

Très effrayé par la mobilisation. Voit des dangers de mort partout par tous et pour tous. Reçu chez des cousins il y donnait le spectacle d’un navrant désespéré. Ne parlant rien moins que de se détruire pour échapper aux dangers environnants. »


    Il n’arrive que le 16 août 1914 au dépôt d’après sa fiche matricule. Il s’agit clairement de la date d’enregistrement car le dossier médical d’entrée à l’asile d’aliénés du Mans nous apprend qu’il a passé la nuit du 15 au 16 à la caserne et ses camarades s’en souviennent.

« Le Médecin Aide-Major de 1ère cl. Meyer déclare que le Sergent Tessier Paul, de la 14e Cie du dépôt est atteint de troubles psychiques graves, consistant en mélancolie à type anxieux avec idées de suicide. D’ailleurs les antécédents de ce malade sont mauvais, père suicidé il y a 6 mois. D’autre part, la compagnie a dû la nuit du 15 au 16 août faire organiser une surveillance étroite autour de lui.

Dans ces conditions, ce malade est exposé personnellement à obéir à ses idées de suicide, et il constitue pour les camarades une cause de danger et de trouble. »

Le Médecin Major chef de service Meyer revoit Tessier le 21 août et ordonne sont évacuation vers l’asile spécial. Il y arrive le 21, pesant 60 kg.

Le certificat de 24 heures rédigé le 22 août indique « Est atteint de dépression mélancolique avec préoccupation obsédante, insomnie, tendance à l’anxiété ; pas d’hallucination nette. A maintenir en observation. »

Le 25 août, il se frappe la tête avec sa cuiller. Il passe une nuit d’insomnie maintenu dans son lit. Le 27, il est nourri à la sonde.

Dans le certificat de quinzaine réalisé le 15 septembre, le docteur note « Est atteint de stupeur mélancolique avec mutisme à peu près complet, accès de désespoir, tendance à l’anxiété, refus fréquent d’aliments. À maintenir. »

Malgré une amélioration, le 18 septembre il cache une fourchette dans sa manche et le 23 « A jeté le chat au visage de N. Guittet qui a été griffé, subitement et sans motif. Aujourd’hui nie les faits, ne se souvient pas, brusque indifférent. » 

    Le 1er octobre, il frappe son camarade qui faisait du bruit la nuit. C’est une des dernières entrées de son dossier.

    Il obtient son certificat à fin de sortie le 19 février 1915 : « Est atteint de dépression mélancolique avec obsession, tendance à l’anxiété, impulsions violentes, est actuellement guéri et peut être remis à sa mère qui le réclame et s’est déjà présentée à l’asile. Entré comme militaire, Tessier est réformé depuis le 24 Sept. 1914. »

    Il rentre alors à Paris et reprend la vie civile.

  • Rebondissement :

    Le dossier médical contient une coupure de presse collée. Extraite du Petit Parisien du 23 avril 1915, elle nous donne des nouvelles de Paul.


UN TRISTE PERSONNAGE
Paul Tessier, âgé de trente-cinq ans, ancien employé d’assurances, qui comparaissait hier devant le tribunal correctionnel, était poursuivi pour violences envers Mme H…, la mère de sa maîtresse ; il fut condamné à quatre mois de prison. Mais là n’est pas l’intérêt de cette affaire. Il réside dans une lettre, saisie par le parquet, où le misérable étale son infamie. Dans ce factum, long de douze pages, Paul Tessier raconte, avec force détails, l’odieuse comédie qu’il joua pour se faire réformer. Sergent au 28e, il avait été pris, dès son arrivée au corps, au Mans, d’une « frousse » intense, selon sa propre expression. Il ne voulait pas, ainsi qu’il l’avait déclaré à sa maîtresse, se faire trouer la peau. Il simula donc, de son propre aveu, une neurasthénie intense. Il refusa de manger et on dut, pour le substanter, lui introduire dans l’œsophage des aliments à l’aide d’un tube en caoutchouc. Parfois, il essaya de mordre au cours de cette opération l’infirmière qui le soignait. Puis, il se plongea dans un mutisme obstiné. « Ce que je me suis payé leur tête », écrivait-il à sa maîtresse. Son procédé réussit en effet. Paul Tessier reconnu frappé de mélancolie, fut interné à l’asile du Mans, puis, le 24 septembre, il était définitivement réformé par congé n°2, comme atteint d’aliénation mentale.




    Les « aveux » de Tessier semblent devoir être relativisés. Ne s’agit-il pas en fait de propos d’une personne malade ? Peut-être la suite de son parcours donne-t-elle quelques clefs de compréhension.

    Sa condamnation par le tribunal de la Seine pour coups et blessures volontaires n’aide pas. Par contre, il passe à nouveau devant une Commission spéciale le 19 novembre 1915 et reste réformé pour aliénation mentale. Ainsi de nouveaux médecins confirment l’aliénation. En cas de simulation avérée, il aurait été déclaré bon pour le service armé à n’en pas douter. Il ne repasse pas devant une commission médicale par la suite car il meurt à Paris le 29 avril 1916. Aucun document consulté n’indique s’il se suicida ou si sa mort fut naturelle.

  • Sources

Archives départementales de la Sarthe : https://archives.sarthe.fr/

– H17 Q14 (série 1X, cote non actualisée) : registre des entrées asile d’aliénés du Mans.

– 1 R 1110 : fiche matricule de Tessier Paul Jules Marie, classe 1899, matricule 1499 au bureau de recrutement du Mans.

– 5Mi 73_36-37 : état civil de Château-du-Loir, naissances 1877-1887.

Archives de Paris

14D 283 : état civil du 14e arrondissement de Paris, acte de décès n°1993, vue 20/31.

Gallica

Le Petit Parisien, 23 avril 1915. Accès direct à l’article : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k565414x/f2.item.zoom

Ce texte respecte les délais de communication des archives publiques fixées par le code du patrimoine (ordonnance n° 2004-178 du 20 février 2004), modifié par la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 : 25 ans après le décès ou 120 ans après la naissance pour les documents contenant des renseignements médicaux.

Mise en ligne de la page : 2 avril 2023.


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