Aller au contenu

Trésors d’archives n°29 – Jules Hesbault & Auguste Huberneau

    Jules Hesbault et Auguste Huberdeau sont deux jeunes hommes de la commune de Le Guédeniau dans le Maine-et-Loire. Ils se connaissent depuis l’enfance. En 1913 leurs numéros sur la liste cantonale et leurs matricules au recrutement se suivent. Ils sont appelés ensemble sous les drapeaux au 32e RI de Tours.

    Dans la correspondance d’Auguste Huberdeau, déposée aux Archives départementales du Maine-et-Loire (AD49), il est fait plusieurs fois allusion à son ami Jules. Les deux hommes ne sont pas partis ensemble : Jules est à la 4e compagnie (1er bataillon) quand Auguste, fraîchement nommé caporal est à la 5e (2e bataillon).

  • Ce qu’Auguste ne dit pas

« Erberviller 2 septembre 1914.

(…) Je suis également très content que vous ayez reçu mes photographies, je regrette que Hesnault ne se soit pas fait photographié en même temps, nous y avions été en même temps, puis le photographe n’étant pas là j’y avais retourné le soir à 10 heures, et il m’avait photographié à l’électricité mais Hesnault était couché et je ne crois pas qu’il s’était fait photographié pauvre et brave enfant. (…) »

    Alors que son ami Jules est absent des précédentes lettres, pourquoi apparaît-il ici, pour émettre le regret qu’il ne se soit pas fait photographier ? Pourquoi écrire « ce pauvre et brave enfant » ? Le courrier suivant donne un début d’explication.

« 4 Septembre

(…) je puis vous dire de source sure que Hesnault a été grièvement blessé le 25 août, je crains même qu’il ne soit blessé que trop gravement, nous ne pouvons pas avoir des nouvelles des blessés (…) »

    Ainsi, quand il écrit le 2 septembre, il sait déjà pour son ami. D’où l’expression du regret que sa famille n’ait pas un portrait récent de leur fils. Pourtant, Auguste n’a pas dit la vérité à sa famille concernant le sort de son ami. Il lui faut encore plus de quinze jours pour l’écrire à ses parents :

« Vendredi 18 septembre

Chers Parents,

(…) Chers Parents je crois que c’est pour vous un devoir de prévenir les parents de Hesnault que leur fils Jules a été tué au champ d’honneur au combat de Herbéviller le 25 août par un éclat d’obus dans la tête la mort a du être instantanée, je l’ai vu de mes deux yeux et je lui ai donné le dernier adieu de sa pauvre et aimable famille qui le regrettera éternellement. Je vous prie de prendre les précautions nécessaires pour les avertir de la triste nouvelle. J’avais averti qu’il n’était que grièvement blessé. (…) »

    Les parents de Jules écrivent alors à Auguste qui répond dans la longue lettre qui suit. Auguste cherche d’ailleurs dès le début de sa lettre à justifier son silence.

« Environs du Camp de Châlons, 4 octobre 1914

Bien chers amis,

Je viens de recevoir une lettre de chez vous hier, je crois que vous avez appris la triste nouvelle auparavant que je ne vous l’ai écrit cependant je crois que je l’avais écrit à mes parents qu’il était gravement blessé quelques jours après sa mort, mais il est probable qu’ils n’avaient pas eu ma lettre car j’en envoie beaucoup mais je crois que l’on en reçoit que la moitié il y en a beaucoup d’égarées.

Voici en résumé comment est mort votre Cher fils, mon ami et camarade d’enfance. Le 24 août nous campions le soir dans les bois placés derrière Herbéviller à quelques kilomètres de l’ennemi pour prendre l’offensive le lendemain matin l’arrêter et le reculer s’il était possible car l’ennemi était à 18 kilomètres de Nancy, il était grand temps de l’arrêter. En arrivant le soir nous entendions clairement la fusillade qui donnait à notre droite, c’était le 114 Allemands,la fusillade continuait encore dans la nuit ; nous eûmes le pressentiment que le lendemain il se passerait quelque chose pour nous, enfin le silence se rétablit et nous nous endormîmes. Le lendemain matin 25 août, jour fatal, de très bonne heure le 1er Bataillon qui était à notre droite se portait à l’attaque et fusillait à 4 heures du matin ; nous pénétrâmes dans la plaine à leur gauche sans recevoir de coup de canon ni de coup de feu ; du côté du 1er Bataillon, la fusillade faisait rage, une batterie d’Artillerie ennemie criblait leurs emplacements d’obus, car malheureusement nous n’avions pas encore de batterie d’Artillerie pour répondre à la leur et leurs 6 pièces massacraient nos camarades à la petite distance de 1400 mètres ainsi que des mitrailleuses placées dans le clocher d’Herbéviller balayaient la plaine et cependant les compagnies avançaient et c’est auprès du cimetière que votre Cher fils trouva la mort glorieuse. Quant à nous, nous avancions à la gauche de Herbéviller et à 8 heures nous commencions à recevoir un feu bien nourri, l’artillerie allait également pointer son tir sur nous quand une de nos batteries vint se placer derrière nous et écrasait la leur alors nous n’avions plus que le feu d’infanterie mais toute l’infanterie allemande était sur nous puisque le 1er Bataillon s’était replié et notre artillerie n’avait plus de munitions, c’est là que Léger fut blessé, nous combattions depuis 3 heures et nous fûmes obligés de reculer faute de cartouches. Le lendemain 26 août nous revinment (sic) sur les emplacements car l’ennemi s’était reculé également et le soir nous fûmes rassemblés avec le 1er Bataillon et c’est là que j’appris le malheur qui avait arrivé à Jules. Le lendemain nous restions sur place tout en faisant quelques tranchées, d’autres enterraient les morts ; ayant appris dans quelle direction avait donné la 4e Compagnie j’ai eu l’idée d’aller voir où il était tombé j’en étais éloigné guère qu’à 1 km 1/2 et il ne tombait que quelques obus ça et là je résolus de chercher une déconvenue (sic) pour avoir la permission de m’absenter ; j’y réussi malgré que les officiers ne voulaient pas que l’on quitte nos compagnies, sitôt je partis dans la plaine et cherchai à retrouver parmi les centaines de morts Français et Allemands, mon si cher camarade d’enfance. Je passai à côté de lui et repassai je ne le voyais pas je commençais à en être découragé lorsque un officier et un caporal de la 4e Compagnie venaient en faire l’appel au bord d’une fosse commune ils étaient environ 25, les noms se succédaient afin son nom vint j’en fus ému jusqu’au cœur et l’appel terminé alors je peu contempler le camarade d’enfance, d’école et de régiment, il était à mes pieds inanimé, un éclat d’obus lui avait frappé le crâne, au-dessus du front, en un instant toute notre jeunesse me passa devant les yeux comme un miroir. Je résolus de ne pas pleurer mais malgré tout le cœur m’étouffait et j’y serais resté plus longtemps si je n’avais pas été rappelé au devoir par l’éclatement de deux ou trois obus aux emplacements de nos compagnies. Je saisis la médaille qui était à son cou, où est écrit son nom et je ne pris pas le temps de le fouiller pour en emporter d’autres souvenirs pensant que ce serait bientôt mon tour et c’est le seul souvenir que je puis vous emporter si je l’en retourne. Par conséquent si je puis m’en retourner je ne puis vous emporter à mon grand regret que cette petite médaille que j’ai conservé jusqu’à ce moment et que je tâcherai de ne pas perdre. Chers Amis je comprends combien vous avez du être ému en apprenant une si triste nouvelle, je regrette de ne pas avoir pu vous le faire parvenir plus tôt, ça vous aurait évité d’être si longtemps dans l’inquiétude. Je comprends combien c’est triste pour les pauvres parents d’élever des enfants jusqu’à 20 ans pour les sacrifier à la mitraille.

Votre ami qui vous serre la main et à toute la famille bonne santé à tous en attendant le retour s’il est possible pour aller vous voir.

Auguste Huberdeau »

  • Destin commun

    Auguste Hiberneau n’eut pas l’occasion de donner la médaille nominative de Jules à ses parents. Nommé sergent le 17 octobre, il fut à son tour tué au combat le 4 novembre 1914 à Zonnebecke en Belgique.

    Après avoir partagé les bancs de l’école, la caserne de régiment, le nom des deux amis figurent, à peu de distance, sur le monuments aux morts de leur pays de Le Guédeniau.

    Leur corps a-t-il été rapatrié ? Ils ne figurent pas en tout cas dans les Nécropoles nationales. La médaille nominative était-elle la plaque d’identification de son ami, ce qui aurait pu poser problème lors de l’exhumation et l’identification du corps de Jules ?

    Une dernière question est en lien avec les deux photographies conservées d’Auguste, à chaque fois clairement identifié. Son ami Jules est-il aussi présent sur l’une d’entre-elles ?

  • Sources

Archives départementales du Maine-et-Loire : https://archives.maine-et-loire.fr/

1 J 5172 : Fonds isolés, documents concernant Auguste Huberdeau.

1 R 895 : Fiche matricule d’Hesbault Jules Louis, classe 1913, matricule 1034 au bureau de recrutement d’Angers.

1 R 895 : Fiche matricule d’Huberneau Auguste Louis, classe 1913, matricule 1035 au bureau de recrutement d’Angers.

Mise en ligne de la page : 17 septembre 2022.


Revenir à la page précédente

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *