Les lettres, les témoignages de sympathie sont deux marques reçues lors du décès d’un proche. Ici, Jacques Conteau et M. Leray-Tremblais ont décidé de le faire en poésie. Ils écrivent à l’occasion du décès de Marcel Peltier, natif de Château-Gontier dans la Mayenne.
- Marcel Peltier
Né en 1891 à Château-Gontier, Marcel Peltier n’habite déjà plus chez ses parents lorsqu’il passe devant le conseil de révision en 1912. Il travaille à Paris comme employé de commerce sur le fameux Quai des Orfèvres. Il est ajourné un an pour faiblesse, adénite inguinale. Dès l’année suivante, reconnu apte au service armé, il n’attend pas son appel et s’engage volontairement à la mairie de Château-Gontier pour trois ans. Il rejoint le 93e Régiment d’Infanterie (RI) deux jours plus tard, le 17 mars 1913.
Il suit le peloton des élèves caporaux et obtient ce grade le 19 décembre 1913. Parti au front, il devient sergent le 7 octobre 1914. Sa citation nous explique les circonstances de sa mort, le JMO étant pratiquement vide pour cette période. Il se porte volontaire pour commander une patrouille. Elle se heurte aux Allemands. Sur les cinq hommes partis, seuls deux reviennent, les autres ayant été tués, y compris le sergent Peltier.
La nouvelle arrive rapidement à Château-Gontier, dans une maison déjà endolorie par le décès récent de madame Béguin, mère de Marcel. Le journal la Gazette de Château-Gontier annonce le décès dans son édition du 29 novembre : « Château-Gontier. – Marcel Peltier, sergent au 93e d’infanterie, tué le 20 novembre à Aveluy, près d’Albert. Parti en reconnaissance avec quatre de ses camarades, deux seulement revinrent, les trois autres furent tués ; ». La citation précise juste qu’il était volontaire pour mener cette patrouille.
- Première poésie
Ce premier texte est manuscrit. On y observe quelques petites ratures et maladresses dans la mise en forme. Il a été rédigé par Jacques Couteau. L’identité de ce dernier n’est pas connue avec certitude. Un « Jacques Couteau », jeune soldat de la classe 1915 en Eure-et-Loir, mais comment prouver de qui il s’agit ? A-t-il de la famille en Mayenne ou a-t-il fréquenté un même établissement que Marcel ? Les seuls points communs semblent leur foi et le fait que le Jacques qui écrit sous-entend qu’il ira se battre aussi. Il n’est donc pas possible d’aller plus loin que la simple émission de cette hypothèse.
Voir la biographie de Jacques Couteau dans le Livre d’Or de l’institution de Chartres : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9301229/f128.item.r=%22Jacques%20Couteau%22
Au Champ et Honneur
Hommage à notre ami défunt Marcel Peltier
Il est tombé premier, premier d’entre les braves
Qui a donné au pays notre commun foyer
Son âme de héros a rompu ses entraves
Laissant au champ d’honneur son corps chevalier.
Et le sang généreux qu’épanche sa blessure
Sang qu’il avait offert simplement sans façon
Vint s’ajouter aussi, pour combler la mesure
Qu’à la France le Ciel demande pour rançon.
Et nous, ses survivants dans la lutte géante
Fiers de ce qu’il a fait, nous serons ses égaux
Sa tombe à chaque pas, devant nous est béante,
Mais la tombe n’est rien, à qui meurt en héros.
Si c’est du sang des fils, des époux et des frères
Que l’urne doit s’emplir pour le tribut sacré,
Si les fleurs d’orphelins, de femmes et de mères
Doivent couler encore un flot démesuré
S’il faut pour notre part fournir d’autres victimes,
Chacun de nous est prêt à se sacrifier
Quels que soient nos amours, nos peines sont infimes
Nous pouvons être forts car nous savons prier.
Écoutez ces sanglots qui nous réclament : Vengeance
Quand donc notre drapeau sera-t-il triomphant ?
C’est le sang de nos morts qui nous crie : En avant !
C’est pour Dieu, pour le Droit, la Liberté, la France !
Jacques Couteau
- Second poème
Il est l’œuvre cette fois-ci de monsieur Leray. Il précise « Leray-Tremblais » comme il le dédie « à Monsieur Peltier-Béguin », reprenant à chaque fois le nom de l’époux suivi de celui de l’épouse.
A Monsieur Peltier-Béguin Hommage à son fils
à Marcel (crayon à papier)
Ne pleurez plus
Ne pleurez plus ce fils tombé plein de jeunesse
Sublime fleur lancée en l’un de ses printemps,
Son âme, de là-haut, vous dit : la peine oppresse,
Père, ne pleurez plus, ici je vous attends.
Il s’est battu sans peur, comme savent se battre
Ceux dont le cœur bien né parle fort et bien haut
Et sans jamais laisser son courage s’abattre
Le regard grave et fier, fixé sur le Drapeau.
Il a versé son sang pour la France meurtrie,
Son destin fut béni, ne plaignez pas son sort
Lys pur, ornant l’autel sanglant de la Patrie,
Son âme est dans la joie, elle a vaincu la mort
Le parfum de sa fleur, de cette âme d’élite
Embaume, en parfumant le pays tout entier
Ainsi, la rose quand l’hiver se précipite
Se meurt, en embaumant la plaine et le sentier
Notre cité paisible, en ces jours tout entière
Se joint à votre Deuil, pleurant ses fils aimés
Et le sein de la France est le grand cimetière
Où les jeunes héros dorment comme embaumés.
Dans les sillons humains, l’impassible Camarde,
Vient faucher, sans merci, soldats, jeunes et vieux,
Mais leur ange gardien, qui, d’en-haut, les regarde,
Vient pour cueillir leur âme et l’emporter aux cieux.
A ceux-là qui sont morts pour la grande Patrie,
Comme l’a dit Hugo, le maître vénéré :
Il faut qu’à leurs tombeaux la foule vienne et prie,
Elle y vient à genoux, ce devoir est sacré.
Valeureux artisans de la proche Victoire,
Ils ont conquis la gloire et l’immortalité ;
Leur souvenir, grandi, vivra dans la mémoire,
Tel celui des héros, fleurs de l’Antiquité.
Ces braves défenseurs, chevaliers de la France,
Tombés au champ d’honneur, bien loin de nous là-bas,
En admirant leur calme et sublime vaillance,
Oh ! Comme on les salue, avec respect, front bas.
Votre fils, dont la vie, hélas, fut éphémère,
Sur terre, aura passé, sans ressentir les coups
Du noir et froid destin. Il va trouver sa mère,
Il l’a rejointe au ciel, où tous deux prient pour vous.
Fils de ce beau pays que ne voit pas d’esclaves.
Il était simple et bon ; son grand et noble cœur
Avait été forgé sur l’enclume des braves,
Son père lui traçait le sentier de l’honneur,
Sur son front grave et doux que la gloire décore,
Luit l’auréole auguste et pure du martyr,
Comme un linceul pieux l’étendard tricolore,
Vient de ses plis rayés sur son corps le vêtir.
Et la France endeuillée, à pas lents, sur sa tombe,
Viendra s’agenouiller, lui dira : Mon enfant
Merci, puis sa main douce, ainsi qu’une colombe,
Soudain, le bénira dans un geste éloquent.
Son être est tout entier « auréolé » de gloire,
Et son âme a gagné le séjour des élus ;
Sa voix qui donne au loin comme un champ de victoire,
Vous dit : Ne pleurez plus, père, ne pleurez plus.
M. Leray-Tremblais
Château-Gontier, le 8 Décembre 1914
Cette fois-ci, l’auteur de ce poème marqué par sa foi et son patriotisme est identifié, grâce à sa signature caractéristique. Il s’agit de François Eugène Leray, époux de Marie Désirée Augustine Tremblais. Il était négociant et habitait à Château-Gontier. Il a eu au moins un fils, Léandre Marius en 1899. Louis Charles Peltier était représentant de commerce, dans le même secteur donc que monsieur Leray, sans qu’il soit possible d’en dire plus sur les relations qui reliaient ces deux familles.
- En guise de conclusion
Si ces poèmes marquent une forme de deuil, la caisse dans laquelle ils se trouvaient a fait perdre l’essentiel au-delà du message. L’identité d’un des deux auteurs est hypothétique et ces deux documents nous rappellent la masse d’informations perdues : les liens sociaux entre les personnes n’en est qu’un exemple particulièrement visible ici.
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- Sources
Archives départementales de la Mayenne :
R 1972 : fiche matricule de PELTIER Marcel, classe 1911, matricule 167 au bureau de recrutement de Mayenne.
https://chercher-archives.lamayenne.fr/archives-en-ligne/ark:/37963/r28506nw2ctk/f261
4 E 66/106 : état civil de la commune de Château-Gontier, naissances 1899. Vue 45/209.
https://chercher-archives.lamayenne.fr/archives-en-ligne/ark:/37963/r7407iud4bwk/f45
4 E 66/98 : état civil de la commune de Château-Gontier, naissances 1891. Vue 15/207.
https://chercher-archives.lamayenne.fr/archives-en-ligne/ark:/37963/r73986utx19k/f15
Service Historique de la Défense :
SHD 26 N 669/9 : JMO du 93e RI (volume 1).
Mise en ligne de la page : 27 juin 2021.