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Trésors d’archives n°25 – Histoire du divorce d’un soldat.

    Les journaux sont une source importante d’informations et de pistes de recherche. C’est exactement ce qu’il s’est passé quand j’ai trouvé cette publication judiciaire dans le Courrier de Mamers du 12 mai 1918.

  • Publication liée à un divorce

Étude de Me Hardy, avoué à Mamers
Assistant judiciaire
Admission du 17 juin 1916

DIVORCE
Extrait

D’un jugement rendu par défaut par le Tribunal Civil de première instance de Mamers, le 26 novembre 1917, enregistré et signifié :

A la requête de Monsieur Julien-Léon-Joseph PEAN, journalier, demeurant au Gué, commune de Bonnétable, mobilisé caporal au 315e Régiment d’Infanterie, C. M. 5, secteur postal 119 ci-devant et actuellement caporal au 369e Régiment d’Infanterie, C. M. 4, 1ère section, secteur postal 149.

Contre :

Madame Eugénie-Jeanne LECHENE, épouse dudit Monsieur Julien Péan, avec lequel elle est domiciliée de droit à Bonnétable, mais résidant séparément en fait, à Paris, rue des Cévennes, numéro 40.

Il appert :

Que le divorce a été prononcé d’entre les époux PEAN-LECHENE, au profit du mari.

La présente insertion est ainsi faite en vertu d’une ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal Civil de Mamers, le 6 mai 1918, enregistré, et ce en conformité de l’article 247 § 3 du code civil, modifié par la loi du 18 Avril 1886.

Pour extrait,
Pour Me HARDY, mobilisé,
Le suppléant : Louis CHABRUN
« 

    Julien Péan (dont la fiche matricule indique Louis comme deuxième prénom, mais tous les recoupements montrent qu’il s’agit bien de la même personne) a bien été mobilisé au 115e RI dont le 315e est le régiment de réserve. Devenu caporal le 21 février 1916, il fut transféré début décembre 1917 au 369e RI lors de la dissolution du 315e RI.

    Ces quelques éléments m’ont donné envie d’en savoir plus, non par voyeurisme, mais parce qu’il circule de nombreuses anecdotes sur les causes de divorces au cours du conflit. Je voulais savoir si celui-ci avait un lien direct avec la guerre. Précision importante : les documents transcrits respectent les conditions de publication (100 ans après la décision de justice).

  • Décision de justice

Péan c/ sa femme
Divorce. Accueilli. N°140

Entre Péan Julien journalier à Bonnétable ; pouvoir de l’assistant judiciaire par décision du bureau de Mamers en date du 17 juin 1916 ; demandeur : Me Hardy substitué par Me Chabrun son suppléant légal ; et sa femme née Eugénie Lechêne résidant à Paris rue des Cévennes n°40 défenderesse défaillante. La Cour appelée : le tribunal après avoir entendu l’avoué du demandeur en ces conclusions et plaidoiries, oui ensuite Me Vetiblaid procureur de la République en ses conclusions orales et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu que Péan a contracté mariage le treize avril 1907 avec Eugénie Jeanne Lechêne devant l’officier de l’état civil de la commune de Saint-Georges du Rosay ; que deux enfants, Léon âgé de neuf ans et Yvonne âgée de 4 ans sont nés issus de ce mariage. Attendu qu’il résulte des renseignements fournis au tribunal que depuis la mobilisation de son mari, la conduite de la dame Péan est devenue mauvaise, et qu’elle menait avec des militaires qu’elle recevait à toutes heures au domicile conjugal, une vie de débauche ; que plusieurs fois délaissant ses enfants elle s’est rendue à Chartres pour voir un de ses amants. Attendu que le sept février 1916, le demandeur étant allé en permission, trouva le soir un soldat installé au domicile conjugal qu’il eut beaucoup de peine à l’en faire déloger, et que celui-ci l’accabla d’injures ; que la dame Péan se joignit à lui pour injurier son mari, que ces scènes se sont plusieurs fois renouvelées pendant le congé du demandeur. Attendu qu’après le départ de son mari, la dame Péan, qui s’était vu, en raison de son inconduite, retirer son allocation militaire, a, de concert avec son amant, enlevé tout le mobilier du domicile conjugal, qu’elle l’a ensuite vendu, et qu’abandonnant ses enfants qui avaient trouvé asile chez leur grand-mère paternelle, elle a quitté Bonnétable pour se rendre à Paris. Attendu que tous ces faits constituant les injures graves prévues par la loi ; et ne justifient que trop la demande en divorce du demandeur et qu’il y a lieu d’y faire droit. Attendu qu’assignée à ces fins devant ce tribunal, suivant exploit de Marchand, huissier à Pantin, en date du trente juin 1917, enregistré ; la dame Péan n’a pas constitué avoué, et que les délais d’ajournement sont expirés. Attendu que les formalités prescrites par les décrets des dix août et quinze décembre 1914 et onze mars 1915 ont été remplis. Par ces motifs, donne défaut contre la dame Péan qui ne comparait ni personne pour elle quoi que régulièrement assignée, et pour le profit. Prononce au profit du demandeur le divorce d’entre lui et la dame Eugénie Jeanne Lechêne, son épouse. En conséquence ordonne la transcription du jugement à intervenir sur les registres de l’État Civil du lieu où le mariage a été célébré, et que mention en sera faite en marge de l’acte de mariage des époux Péan-Lechêne, conformément à la loi. Révoque et annule tous donc et avantages que le demandeur aurait pu faire à son épouse et maintient de plus fort au contraire ceux à lui faits par celle-ci. Ordonne la liquidation de la Communauté ayant existé entre les époux Péan-Lechêne, ou des reprises de la femme suivant le cas. Commet maître Hiault, notaire à Nogent-le-Bernard pour procéder à ces opérations et Me Sieur Chevalier Juge délégué pour faire rapport en cas de difficultés. Confie de plus fort au demandeur la garde des deux enfants issus du mariage avec faculté de les remettre à sa mère et condamne la dame Péan (…) et payer au demandeur une somme de vingt francs par mois pour contribuer à leur entretien. Condamne la dame Péan en tous les dépens lesquels liquidés provisoirement à la somme de un franc, seront recouverts par le Trésor, conformément à la loi. Et commet l’huissier instrumentaire signifier à la dame Péan le présent jugement. Ainsi fait et prononcé publiquement comme ci-dessus.

    Les circonstances qui ont conduit au divorce aux torts exclusifs de l’épouse sont on ne peut plus claires. On notera d’ailleurs l’utilisation du « trop » dans la phrase « ne justifient que trop la demande en divorce du demandeur » et le fait que dans un premier temps l’allocation militaire en raison de sa conduite avait été enlevée à l’épouse.

    Si on ne sait pas ce que devint Eugénie Lechêne, on a quelques éléments pour suivre Julien Péan.

  • Après le divorce

    Une fois le divorce prononcé, une publication dans la presse locale fut ordonnée comme l’atteste l’article transcrit en tête de cet article. Il s’agissait probablement de rendre public le divorce, la situation ne devant pas être inconnue dans la commune.

    Julien Péan revint à la vie civile le 4 mars 1919. Il n’eut aucune blessure tout au long du conflit, mais fut évacué un mois en juillet-août 1917 pour maladie.

    Son retour à la vie civile n’est connu que par bribes. Il s’installa à Vivoin en 1921, accompagné d’une nouvelle compagne qu’il épousa dans la commune le 19 avril 1920. Marcelline Laporte est la veuve de Clément Filoche, mort de maladie en avril 1915 alors qu’il était affecté au 13e RIT.

    La famille est alors composée de cinq enfants, Yvonne, Léon mais aussi les trois enfants de son épouse, Marcel (1908), Casimir (1913) et Albert (1915). La fiche matricule semble indiquer qu’un sixième enfant naquit avant 1928, date de la libération définitive des obligations militaires de Julien.

  • En guise de conclusion

    Il ne s’agit évidemment pas de faire une généralité à partir d’un seul cas mais d’illustrer une réalité qui n’est pas isolée au regard des autres cas présents dans les archives judiciaires. Toutefois, il convient également de ne pas voir le soldat uniquement comme victime.

  • Sources

Archives départementales de la Sarthe

– Per 11, Le courrier de Mamers, numéro du dimanche 18 mai 1918.

– 3 U 519 : registre du tribunal de première instance de Mamers, 1917-1918.

– 1 R 1148 : Fiche matricule de Julien Louis Joseph Péan, classe 1904, matricule 494 au bureau de recrutement du Mamers.

http://archives.sarthe.fr/ark:/13339/s00586a378e656e2/58d55dcbedc27

– 5 Mi 28_34 : Acte de naissance de Julien Léon Joseph Péan, commune de Beaufay, 1884.

– 2 Mi 289_81 : Recensement de la commune de Vivoin, 1921. Vue 48.

– 2 Mi 289_21 : Recensement de la commune de Dangeul, 1926, vue 50.

– 2 Mi 418_32 : état civil de Vivoin 1883-1892, acte de naissance de Laporte Marcelline, 26 avril 1884. Vue 35.

Mise en ligne de la page : 6 juin 2021.


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