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Trésors d’Archives n°20 – Le crime de Villiers-Charlemagne

    En troisième page du journal local La Gazette de Château-Gontier du 24 juin 1917 figure un petit article sobrement intitulé « Le Crime de Villiers-Charlemagne ». Si le rapport avec le conflit n’apparaît pas tout de suite, il est pourtant réel.

Mardi dernier, le caporal Woog, chef de service de garde de prisonniers de guerre à la Fosse, commune de Villiers-Charlemagne, a déchargé un coup de revolver sur un domestique de ferme nommé Gruau Victor et l’a tué. Woog Julien, 43 ans, avait sous sa surveillance un prisonnier mécanicien qu’il avait autorisé plusieurs fois à réparer les machines agricoles de la ferme voisine. Gruau, domestique chez madame veuve Beaumont, cultivatrice à la Fosse, commune de Villiers-Charlemagne, alla souvent trouver le prisonnier dans son campement, sans autorisation. Mardi dernier, vers une heure et demie, Gruau est entré dans le local où les prisonniers prenaient leur repas. Le caporal lui fit remarquer qu’il n’avait pas le droit d’agir ainsi. Cependant il autorisa le prisonnier à partir avec le domestique réparer une faucheuse. Vers deux heures, heure du travail, le chef de surveillance fit remarquer à la fermière qu’il ne pouvait lui laisser son mécanicien plus longtemps. Alors le domestique fit entrer le prisonnier dans une écurie pour lui offrir une cigarette. « Je les ai suivis, déclara le caporal. Le domestique parut mécontent. » Le soir, vers cinq heures, le caporal Voog (sic) alla à Villiers, avec la voiture à âne de madame Beaumont, chercher le pain des prisonniers. Il était accompagné du soldat Marchand. « Nous sommes rentrés vers huit heures, raconte le caporal Woog. A notre arrivée, le domestique nous cria que depuis le matin nous étions ivres. » En même temps, il se jeta sur Marchand et le terrassa ; avec l’aide des soldats Colas et Lepage, le caporal put soustraire des mains de son agresseur le soldat Marchand qui se réfugia au cantonnement. Aussitôt, Gruau se jeta sur le caporal et le terrassa aussi à quatre reprises différentes. « Mes hommes, ajoute le chef de détachement, parvinrent à me débarrasser de lui. Je suis allé sur le champ trouver la fermière de la Fosse et lui dire ce qui venait de se passer. Mme Beaumont me répondit : « Demain, cet homme s’en ira de chez moi. » Craignant d’être à nouveau attaqué, le caporal alla chercher son revolver, puis se mit à table avec ses hommes. Ne se tenant pas pour quitte, Gruau revint à la charge et s’approchant du caporal lui dit : « Viens ici, fainéant, que je te crève ». Le caporal répondit : « Tenez-vous tranquille et allez vous coucher ». Le domestique le frappa de nouveau. Le caporal parvenu à se débarrasser de son agresseur, l’invita au calme. Mais le domestique passa outre et continua ses insultes. Alors le caporal, énervé et se croyant en légitime défense, tira son revolver de l’étui et s’adressant au domestique : »Faites attention, n’oubliez pas dans quel cas vous vous mettez ». Malgré cet avertissement, Gruau essaya de frapper, mais le caporal put sauter par dessus le banc et déchargea son revolver à bout portant en plein ventre du domestique. La mort fut instantanée. Une demi-heure après le caporal aperçut le feu dans les vêtements de la victime et l’éteignit. Le caporal Woog est natif de Fellernigen (Alsace-Lorraine) de nationalité française. On lui reproche, dans cette affaire, d’avoir cédé à un mouvement très nerveux. Du reste, il affirme regretter son acte. La justice militaire se rendit sur les lieux jeudi matin et fit aussitôt l’autopsie du domestique. Gruau Victor, né à la Bazouge-de-Chemeré, était âgé de 33 ans. Il était depuis quinze jours ou trois semaines environ domestique à la ferme de la Fosse. Mardi tout l’après-midi, Gruau aurait travaillé, paraît-il, dans la cave, et la fermière déclara qu’elle croyait que son domestique était un peu échauffé. Or, d’après la rumeur publique, Gruau aurait été d’un caractère très violent, surtout quand il était ivre. Les obsèques de la victime eurent lieu vendredi matin en l’église de Villiers-Charlemagne.

Le journal L’Ouest Éclair publia un article très proche le même jour, concluant : « Cette malheureuse affaire aura son épilogue devant le conseil de guerre ».

Dès lecture de ce dernier article, Julien Woog demande un droit de réponse à l’Ouest-Éclair :

« Nous avons reçu la lettre suivante : « Le Mans, 24 juin 1917. J’ai sous les yeux l’article intitulé « Le drame de Villiers-Charlemagne » et paru dans votre numéro d’hier, 23 courant. Ce n’est qu’après avoir été l’objet de violences aussi sauvages que brutales cinq fois répétées dans l’espace d’une heure et non, comme votre article paraît le suggérer, que j’ai été obligé de faire usage de mon arme, tant pour assurer ma sécurité personnelle que pour faire respecter les règlements militaires, et encore dois-je vous dire que mon intention primordiale n’était nullement de tuer, mais simplement de mettre hors d’état de nuire. Je vous prie donc, ainsi que la loi m’y autorise, d’insérer ma protestation dans votre prochain numéro, sous les mêmes titres et caractères. Recevez, Monsieur le Rédacteur, mes salutations.
J. WOOG Caporal au cadre des P.G., Le Mans
 »

À défaut d’avoir accès à des pièces de procédure, il est possible d’en savoir un peu plus sur les différents protagonistes.

Victor Grau fut journalier toute sa vie. Il ne fut pas mobilisé en raison de problèmes de santé qui expliquent sa présence dans une ferme pendant la guerre.

Nommé caporal le 10 mars 1917 alors qu’il était au dépôt du 103e RI, Julien Woog fut affecté le 1er avril au 4e Groupe de Prisonniers de Guerre. Cette affaire intervint donc moins de trois mois après son affectation comme gardien de prisonniers. Il ne fut probablement pas condamné pour cet homicide. Sa fiche matricule ne porte aucune mention d’une condamnation, même rayée car amnistiée. Il ne fut pas non plus cassé de son grade, ce qui n’aurait pas manqué d’être noté. Au contraire, il fut même promu sergent le 23 décembre 1918, un mois avant sa démobilisation.

Le prisonnier allemand Blitz n’a pas été retrouvé dans le fichier du CICR.

  • Source

AD75, D4R1 844 : Fiche matricule de Woog Julien, classe 1895 au 3e bureau de la Seine, matricule 116.

AD53, R1476 : fiche matricule de Gruau Victor, classe 1898 au bureau de recrutement de Laval, matricule 1508.

Journal Ouest-Éclair, n° 6440, édition du 24 juin 1917, page 3.
Accès direct à l’article dans Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k493633t/f3.item.r=Villiers-Charlemagne%201917%20Woog.zoom

n° 6442, édition du 26 juin 1917, page 3.

IGN Mission C1619-0021_1958_F1319-1619_0266, cliché n°266 du 14 juin 1958.

Mise en ligne de la page : 21 février 2021.


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