Quotidiennement, la presse était la principale source d’informations. Toutefois, comme les soldats avaient leurs « tinettes », les journalistes faisaient feu de tout bois pour pouvoir écrire, sans utiliser toujours des sources très fiables…
- Journal Le Matin, 27 août 1914
ON LES RECUEILLE
ON LES NOURRIT
Et ils sont arrogants !
On sait que, dès le deuxième jour de la mobilisation, les Allemands et Autrichiens trouvés à Paris et qu’on put arrêter furent, par groupes, envoyés dans la région de l’Ouest. On devait là les cantonner et les astreindre à des travaux déterminés.
Or, à peine arrivés, les cantonnés – cette race sans vergogne n’a décidément pas le sentiment de la pudeur – se mirent à déambuler par la ville, raillant, bafouant, vitupérant sans discrétion. Les habitants en furent gênés.
Bien mieux. Les intrus surent se faire allouer les meilleures tâches et les plus profitables, alors que les indigènes n’avaient, eux, à exécuter que les besognes moindres.
L’abus fut à ce point criant, à Niort notamment, que la municipalité se réunit d’urgence pour édicter des mesures préservatrices contre ces hôtes encombrants.
D’autre part, nos recevons d’un lecteur une lettre qui prouve que le département des Deux-Sèvres n’est pas seul à souffrir de la présence, trop présente, de ces brutes.
À Sées, chef-lieu de canton de l’Orne, qui compte près de quatre mille habitants, une bande d’« Austro-Boches » a été « remisée ». Dès l’arrivée, et suivant la méthode, la horde, logée au petit séminaire, prit possession de la ville, houspillant les habitants, parlant très haut, prenant ouvertement des croquis, exigeant avec arrogance des renseignements et jouant au cerf-volant « dont peut-être ils usent comme un signal », nous écrit ce correspondant.
Et durant ce temps, nos soldats bravent la mitraille, nos frères se font supplicier et nous, ici, nous souffrons d’être séparés et d’attendre.
Il y a là comme une iniquité, en tout cas une inconvenance. Nous payons cher, à cette heure surtout, le droit d’être entre nous, chez nous.
Si l’on veut nous y imposer la présence d’ennemis assez lâches pour se dérober au devoir d’aller servir chez eux, qu’on les force à se terrer, qu’on les oblige à gagner durement le pain qu’on consent encore à leur donner.
Pas de grâce, pas de merci pour ces âmes viles que leur lâcheté avilit davantage.
Les mots de l’article sont très forts : les habitants des communes recevant des civils allemands et autrichiens deviennent des « indigènes » face à des colonisateurs. S’en suit une série de qualificatifs péjoratifs, « harde », « lâches », « âmes viles », ou au contraire mélioratifs pour les Français qui sont braves, suppliciés. Le ton est particulièrement excessif, partisan, dans la logique des articles du moment. Il n’est pas du goût du préfet de l’Orne.
- Lettre du préfet de l’Orne au Ministre
Une première lettre datée du 12 septembre 1914 commence comme celle qui fut rédigée le 15, transcrite ci-dessous. Elle diffère par les dates et surtout dans la seconde partie qui insiste sur le départ des étrangers de l’Orne depuis une dizaine de jours. La lettre du 15 est plus longue et développe dans sa seconde moitié le cas d’une enfant agressée à Sées.
Alençon, le 15 Septembre 1914
Le préfet de l’Orne
à Monsieur le Ministre de l’Intérieur
(Direction de la Sûreté Générale)
Bordeaux
Par dépêche du 8 septembre courant, vous me faites connaître qu’un anonyme, ayant eu l’occasion de séjourner à Sées (Orne), signale certaines exactions qui seraient imputables aux individus, de nationalité Austro-Allemande évacués sur cette localité ; au dire de l’anonyme l’un des étrangers aurait violé une petite fille de cinq ans ; au surplus les habitants vivraient dans une perpétuelle inquiétude.
En conséquence, vous m’invitez à faire procéder d’urgence à une enquête destinée à vérifier le bien fondé de l’information qui vous est parvenue et à vous en transmettre le résultat le plus tôt possible.
J’ai l’honneur de vous adresser les renseignements que vous avez bien voulu me demander.
Ainsi que je vous l’ai fait savoir à divers reprises, notamment le 12 septembre courant, l’attitude des étrangers Allemands et Austro-Hongrois, évacués dans mon département, a toujours été extrêmement correcte.
À aucune époque et à aucun point de vue, l’Administration n’a eu à sévir contre les étrangers. Il ne s’est, d’ailleurs, produit aucun incident entre ceux-ci et la population.
À Sées, spécialement, les habitants et les étrangers ont vécu en parfaite harmonie pendant 18 jours environ que les Austro-Allemands ont résidé dans cette localité. Loin de ressentir une perpétuelle inquiétude, comme le prétend l’anonyme, les habitants de Sées, par l’organe de la Municipalité, ont demandé le renvoi à Alençon du détachement de troupes que mon administration avait envoyé, à l’origine, dans cette ville, pour la surveillance et la garde des étrangers.
L’auteur de la lettre anonyme dont il s’agit est vraisemblablement le même Monsieur qui a inondé de sa prose, haineuse et mensongère, tous les journaux de mon département ainsi que le journal « Le Matin » de Paris.
J’ai eu l’honneur de protester auprès de vous contre l’entrefilet paru dans « le Matin », par mon rapport du 29 août dernier.
J’estime encore une fois qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter aux indications contenues dans la lettre anonyme, indications qui sont entièrement inexactes, en ce qui concerne l’attitude des évacués Austro-Allemands dans mon département.
Dans la même lettre, l’on signale également le fait qu’un étranger aurait violé une petite fille de cinq ans, à Sées.
Présenté sous cette forme, le fait est encore inexact.
Un Autrichien réfugié à Sées s’est rendu coupable, non de viol, mais d’un attentat à la pudeur sur un enfant. Arrêté aussitôt, le prévenu, nommé Valente, qui du reste ne paraîssait pas jouir de la plénitude de ses facultés mentales, a été immédiatement déféré à l’autorité judiciaire.
Je ne crois mieux faire que vous communiquer le rapport que vient de me remettre, sur l’état de l’information ouverte contre cet individu, M. le Juge d’Instruction près le Tribunal Correctionnel d’Alençon.
En résumé, il y a lieu de repousser dédaigneusement les critiques adressées par des gens qui, n’ayant pas le courage de se faire connaître, portent sans cause et sans motif, tant auprès de l’administration que par la voie de la Presse, des accusations mensongères et, en tout cas, lorsqu’il y a une petite parcelle de vérité, sciemment et manifestement exagérées.
Le Préfet de l’Orne
R. Leneveu
- Lettre du préfet des Deux-Sèvres au ministre
Le préfet des Deux-Sèvres n’a pas manqué de réagir de son côté à cet article, dès le 29 août.
Niort, le 29 Août 1914
Le Préfet du Département des Deux-Sèvres
à Monsieur le Ministre de l’Intérieur.
[…]
En ce qu concerne les 400 allemands évacués à Niort au sujet desquels deux journaux parisiens ont cru devoir avant-hier publier des articles d’une certaine importance, je n’ai pas besoin, je pense, de vous dire qu’il n’y a là simplement que l’écho d’une querelle de politique locale.
Ces étrangers qui n’ont jamais cessé d’être surveillés de la façon la plus scrupuleuse ont été par mes soins, depuis quelques jours, internés étroitement et soumis à un régime semblable à celui des prisonniers de guerre.
[…]
Comme son collège de l’Orne, le préfet Rang des Adrets nie en bloc les allégations de la presse parisienne.
Le cas de Nicolas Valente, « sujet austro-hongrois » est connu du préfet par un courrier envoyé la veille par le juge d’instruction.
Pas un mot dans les éditions du journal « Le Matin » des informations données par les courriers anonymes. Peut-être la série M des Archives départementales de l’Orne possède-t-elle quelques informations complémentaires sur cette affaire ?
- Sources
Le Matin, jeudi 27 août 1914, n° 11139.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k571000z/f2.item, consulté le 26 juillet 2019.
Archives nationales :
– F/7/12936
https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_053748/c-bxzy8bo4r—b73gjophuia5/FRAN_0168_0779_L, consulté le 26 juillet 2019.
– F/7/12939
https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_053748/c-4d2r8lmjw—1is5ci0jjpxn3/FRAN_0168_2450_L, consulté le 26 juillet 2019
Mise en ligne de la page : 10 janvier 2021.