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Trésors d’archives 44 – Adjudants du 4e RIC punis, 1915

Les cartons du SHD recèlent des documents ouvrant sur des instantanés de la guerre ignorés des autres sources. Dans le cas présent, ni les JMO, inexistants, ni les fiches matricules, dont l’une est vide, ne laissent imaginer comment deux adjudants furent punis.

  • La punition du sergent Georgeay et ses conséquences

La 4e Brigade d’infanterie coloniale est stationnée en Champagne. Ses deux régiments, le 4e et le 8e RIC sont en ligne du côté de la main de Massiges.

« Le 26 Mai 1915

Rapport du S/ Lieutenant Mangé commandant la 9e Cie du 4e Régiment Colonial au sujet des punitions infligées à l’adjudant-chef Nicoli et à l’adjudant Brouck de la 9e Compagnie.

Le 25 Mai 1915 à 7h40, pendant l’occupation de la tranchée R, au cours d’une ronde, le S/ Lieut. Mangé constate que le sergent Georgeay, de quart de 4 à 8h d’après le billet de service fourni par l’adj. chef Nicoli, chef de peloton sommeillait.

Il le fit appeler à son poste de commandement et lui signifia une punition de 4 jours d’arrêts de rigueur. Rentré à la borne 16 et voulant user d’indulgence envers ce gradé encore jeune, il changea le 26 matin cette punition en 6 jours d’arrêts simples avec le motif suivant « Dans la tranchée, se reposait pendant l’heure de quart ».

Vers 9h45 le sergent Georgeay vint me trouver et me dit que s’il se reposait, c’est qu’il y avait été autorisé par son chef de section, l’adj. chef Nicoli. Ses dires étant reconnus exacts, je lui levais sa punition et lui renouvelais mes recommandations. Il me fit promesse de mieux faire à l’avenir.

A dix heures, le S/ Lieutenant Boutry de jour, se rendit près des s/ officiers pour leur dire ce qu’il voulait au sujet du nettoyage des cases et abords, et faire part à l’adjudant Brouck que la Cie devait fournir à 13 heures une corvée de 1 caporal et 10 soldats.

Vers midi, l’Adjudant Brouck se présenta à la case du Cdt de la Cie et lui demanda en quoi consistaient les fonctions qu’on voulait lui faire faire. Il lui fut répondu « Les fonctions d’adjudant de Compagnie ». Sa réponse fut « Alors, je demande à voir le Colonel pour changer de compagnie » et il ajouta : « du reste, je veux quitter la Compagnie avant qu’il arrive des histoires ». Interrogé sur ses paroles, il finit, après des réticences, à dire « Oui, si vous aviez maintenu la punition de Georgeay, tous les sous-officiers auraient réclamé au Colonel » insinua que je ferais mieux, pour moi, de ne pas faire d’histoire.

Mais, voulant immédiatement élucider ce qui avait pu se passer parmi les sous-officiers je convoquais devant le S/ Lieutenant Boudry

1° Le sergent Georgeay

D. Ce matin je vous avais puni de 6 j. d’arrêts simples ?

R. Oui, mon Lieutenant.

D. A la suite de vos explications j’ai levé votre punition ?

R. Oui, mon Lieutenant.

D. Est-il exact que si je n’avais pas levé votre punition, les sous-officiers auraient réclamé au Colonel ?

R. Je ne sais pas mon Lieutenant.

2° L’adjudant Nicoli

D. Vous savez que j’avais puni le sergent Georgeay de votre Section ?

R. Oui, c’est même moi qui vous l’ai envoyé pour vous dire que je l’avais autorisé à se reposer parce qu’il avait beaucoup veillé la nuit.

D. Pour cette raison, j’ai levé sa punition. Dites-moi ce qui se serait passé si je ne l’avais pas levée ?

R. Sourires !

D. L’adjudant Brouck vient de me dire que les sous-officiers auraient réclamé au Colonel ?

R. Sourires !

3° L’adjudant Brouck

D. Brouck, voulez-vous répéter, devant l’adjudant-chef Nicoli ce que vous m’avez dit tout à l’heure ?

R. Bien, oui Nicoli. Il vaut mieux dire la vérité. C’est même moi qui ai commencé à dire « C’est pour faire passer un s/ officier au Conseil de Guerre ».

D. à Nicoli : C’est bien exact ce que dit Brouck ?

R. Eh, bien Oui (sic). J’aime mieux tout vous dire, les hommes voient bien que vous avez peur et ils disent bien que vous ne méritez pas la citation que vous avez eu (sic) l’autre jour etc.

D. à Nicoli : Je vais réunir la compagnie au plus tôt emmenez-moi ici les hommes qui croient que j’ai peur !

R. Il faudrait que j’emmène toute ma section, « Réponse accompagnée d’un sourire méchant ».

Sans être interrogé l’adjudant Brouck dit alors « Eh, bien oui (sic), vous savez, on a déjà tiré sur Esposito, sur Guérand et sur d’autres… »

Je fis alors remarquer à l’adjudant-chef Nicoli et à l’adjudant Brouck qu’ils étaient grandement coupables de tolérer de tels propos chez leurs subordonnés sans au moins en rendre compte à leur Cdt de Cie. J’ajoutais de plus à Nicoli que j’étais persuadé que loin de les combattre il les encourageait.

L’adjudant-chef Nicoli dit alors « Tu entends ce qu’il dit devant un officier », « C’est moi qui les encourage » et ajouta « Vous n’avez plus besoin de moi ».

Je les congédiais tous deux.

En conséquence j’inflige les punitions suivantes :

Adjudant-chef Nicoli 8 jours d’arrêts de rigueur « Par son attitude et ses paroles nées de sentiments d’orgueil et d’envie entretient dans une partie de la compagnie et en particulier parmi les sous-officiers un état d’indiscipline latente qui, à la faveur des circonstances, pourrait se développer et avoir les conséquences les plus graves » et demande que cette punition soit augmentée.

A l’annonce de cette punition l’adjudant Brouck se rendit au bureau du Colonel sans autorisation et sans avoir vu son chef de Bataillon. Le Colonel le congédia et fit appeler le Cdt de la Cie pour lui dire qu’il ne voulait pas qu’un adjudant se présente de cette façon à son bureau. Le Cdt de la Cie fut, de ce fait, amené à donner des explications verbales au Colonel.

Signé Mangé

————

4ème REGIMENT D’INFANTERIE COLONIALE

ORDRE DU REGIMENT N°81

Par application des dispositions du Décret du 9 septembre 1914, Le Lieut.-Colonel Commandant le Régiment rétrograde au grade de sergent :

l’Adjudant-chef NICOLI, Dom, Simon Mle 1/6785 de la 9ème Compagnie, pour :

« Attitude et paroles indisciplinées à l’égard de ses chefs ».

Le sergent NICOLI passera au 8ème Colonial.

L’adjudant BROUCK Louis, N° Mle 1/3314, de la 9ème Compagnie,

8 jours d’arrêts de rigueur,

« A tenu des propos inconsidérés pouvant porter préjudice à la bonne discipline ».

L’adjudant Brouck sera placé à la 2ème Compagnie.

Borne 16, le 27 mai 1915

Le Lieut.-Colonel PRUNEAU, Cdt le 4me Colonial,

Signé : PRUNEAU

N° 619 PC – Transmis à M. le Général Commandant la 2me Division Col. à titre de compte-rendu.

Sous réserve de votre approbation, j’ai décidé de faire passer dès maintenant le sergent NICOLI au 8ème Colonial.

Borne 16, le 27 mai 1915

Le Général TETART, Commandant la 4e Brigade Colon.,

Signé Tétard

Approuvé

29 mai 1915,

le Gl Cdt la 2e Dion

Signature »

C’est un aspect peu visible des relations possibles dans un régiment qui est mis en évidence dans ce rapport : la défiance vis-à-vis d’un officier.

L’absence de JMO pour les 4e, 8e RIC et 4e Brigade d’Infanterie coloniale qui les regroupe à cette période empêche d’en savoir plus. Le JMO de la 2e DIC s’intéresse à une échelle bien plus éloignée et n’est donc d’aucune utilité ici.

Grâce au JMO du 3e bataillon du 4e RIC, seul conservé, on apprend seulement que le sous-lieutenant Mangé a bien obtenu peu de temps auparavant la citation à l’ordre de la division suivante pour son action le 22 avril 1915 : « Conduisant en 1ère ligne un peloton de renfort qui devait effectuer la liaison par le feu et l’outil entre 2 Cies séparées par un terrain découvert et bouleversé par une explosion de mines allemandes. A exécuté sa mission avec courage, énergie et sang-froid sous un feu presque continu, souvent violent de mitrailleuses et de canon revolver. A su tracer à chacun son devoir et obtenir de sa troupe le maximum de résultat. »

Le lieutenant Esposito, aussi mentionné dans le rapport, obtient lui à cette occasion la Légion d’honneur.

Ce JMO permet d’affirmer qu’en décembre 1914, Mangé n’est ni à la 9e compagnie ni au 3e bataillon. Il est fort probable qu’il n’arriva au bataillon qu’après la perte de la quasi totalité des officiers lors des combats du 5 février 1915. C’est donc un officier récemment arrivé dont l’autorité est remise en question.

La réaction des supérieurs du sous-lieutenant Mangé est clairement un soutien à l’officier. Les deux adjudants sont déplacés au minimum voire rétrogradé pour Nicoli.

  • Trois destins

Le sous-lieutenant Mangé a eu un parcours assez classique. Engagé volontaire en 1894 à l’âge de 20 ans, il gravit un à un les échelons. Caporal en 1895, sergent en 1896. Après plusieurs rengagements, il termine adjudant-chef en 1913 et démissionne le 10 mai 1914. Sa vie civile est de courte durée. Il rejoint le 127e RI à la mobilisation sans qu’il soit possible de dire s’il fut affecté en unité combattante. Sa fiche matricule s’achève avec son passage au 409e RI le 9 mars 1915. Il était probablement un tout jeune sous-lieutenant au moment de son arrivée au 4e colonial et de sa participation aux combats du 22 avril pour lequel il obtient sa citation. Il est tué au combat de Massiges le 25 septembre 1915.

Pour Louis Brouck, retrouver sa trace ne fut pas compliqué, mais sa fiche matricule dans son département de naissance est vide et il n’en a pas dans le département où il devrait en avoir une. L’hypothèse est que c’est une fiche de la liste matricule qui a été établie et n’est pas conservée.

En tout cas, son parcours de jeunesse est compliqué : né à Tours, il réside à Cherbourg et, bien qu’orphelin, est domicilié dans le canton de Villeneuve-sur-Lot.

Il s’engage au 5e RIC le 5 mars 1901. Ensuite, on ne dispose de sources que pour sa punition. Il décède, comme le sous-lieutenant Mangé, au combat le 25 septembre 1915 à Massiges.

Nicoli Don Simon, natif de San Gavino en Corse s’est engagé à 19 ans au 1er RIC. Sergent le 1er novembre 1912, il signe plusieurs rengagements. En campagne au Tonkin de mars 1910 à juin 1913, il rentre à la Métropole pour maladie.

Il arrive dans la zone des Armées le 9 août 1914 avec le 4e RIC. Il devient adjudant le 8 septembre 1914 suite aux pertes importantes des premiers combats. Le 17 avril, il devient adjudant-chef. Mais il est rétrogradé dans les circonstances narrées par les documents dès le 27 mai 1915. Transféré au 8e RIC, il est à nouveau promu adjudant le 1er octobre 1915. Blessé le 5 novembre 1915 à Massiges, il est évacué. Après plusieurs affectations à l’arrière, il retourne au front et obtient une très belle citation pour sa participation aux combats du 18 juillet 1918 : « a entraîné ses hommes à l’attaque des positions allemandes avec la plus grande bravoure et le plus grand sang-froid ». Il obtient la Médaille militaire, la Croix de guerre avec Palme et avec étoile de bronze. Il poursuit sa carrière en 1919-1921 à Madagascar avant de se retirer. Il subit les conséquences de sa blessure : son épaule a des raideurs qui en découlent. Il est renvoyé dans ses foyers le 27 novembre 1921 et termine sa vie en Corse.

Difficile de savoir la raison pour laquelle Nicoli eut une telle défiance vis-à-vis du sous-lieutenant Mangé. En tout cas le peu que nous apprend sa fiche matricule semble aller dans le sens d’un événement unique.

  • En guise de conclusion

Sans pouvoir remplacer les JMO manquants, ce type de rapport apporte un éclairage qui conduit à toujours avoir en tête que ce que disent les JMO, les récits des événements d’une unité ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Mais même avec un rapport aussi détaillé, rédigé par l’un des acteurs, on ne peut qu’observer sa vision des faits, en rien leur cause réelle, la véracité des dires des uns et des autres.

  • Sources :

Archives départementales de Corse :

– 9 NUM 48/1946 : Fiche matricule de Nicoli Don Simon, classe 1907, matricule 1946 au bureau de recrutement d’Ajaccio.

Archives départementales du Lot et Garonne :

– 1 R 606 : Fiche matricule de Brouck Louis, classe 1901, matricule 407M au bureau de recrutement de Marmande.

Archives départementales du Nord :

– 1 R 2424 : fiche matricule de Mangé Victor Hyacinthe Honoré, classe 1894, matricule 5528 au bureau de recrutement de Lille.
https://archivesdepartementales.lenord.fr/ark:/33518/4xghl9ptw2rd/11d7664d-6cac-4cf8-beeb-abbdfff83b58

Archives nationales :

F9/5055 : Registre d’état civil du 4e Régiment d’Infanterie Coloniale, acte 469 et acte 491.
https://www.geneanet.org/registres/view/182008/60

https://www.geneanet.org/registres/view/182007/78

Service Historique de la Défense :

GR 24 N 2945 : décisions de la 2e DIC.

GR 26 N 467/3 : JMO de la 2e Division d’Infanterie Coloniale (4 avril au 12 octobre 1915).

GR 26 N 864/1 : JMO du 3e bataillon du 4e RIC (10 août 1914 au 11 mai 1915).


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