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Trésor d’Archives n°53 – Coup de pied de cheval

Une simple constatation par le Conseil de révision ne suffisait pas à permettre à un jeune conscrit d’être définitivement exempté de service militaire. Des vérifications étaient faites, des passages devant d’autres médecins réalisés. Le cas de Justin Robert en est une bonne illustration.

  • Un accident aux conséquences terribles

Sylvain Justin Robert est né le 20 février 1894 à Massals dans le canton de Villefranche-de-Rouergue. Sachant à peine lire et écrire, il devient cultivateur. Mais en 1912, il est victime d’un terrible accident. Il raconte :

« Au mois d’octobre 1912, alors que je travaillais à Frontignan (Hérault) pour le compte de M. Mion, j’ai reçu un coup de pied de cheval au front. Depuis cette époque j’ai des maux de tête et parfois je ne me sens pas toute ma lucidité d’esprit ; c’est pour ces motifs que j’ai demandé à être exempté du service militaire. »

Le conseil de révision a bien vu les stigmates du coup de pied du cheval et du traumatisme crânien consécutif : il porte une large cicatrice verticale partant du cuir chevelu à la naissance du nez. Le conseil a également reçu sa demande et fait procéder à une enquête de gendarmerie pour statuer sur son sort.

Le 18 avril 1914, deux gendarmes à cheval se rendent à Alban dans le Tarn, lieu du domicile de Justin Robert. Ils rencontrent son père.

« M. Robert (Joseph), 67 ans, métayer à Capel, commune d’Alban (Tarn) à 12 heures :
« Il y a dix huit mois, environ, mon fils Justin est allé travailler dans le département de l’Hérault, (j’ignore le lieu,) il est revenu deux mois après, disant qu’il lui était arrivé un accident, qu’il avait reçu un coup à la tête, mais qu’il ne se rappelait pas comment ça lui était arrivé. J’ai la conviction qu’il a reçu un coup de pied de cheval, il a encore une cicatrice au front, il a été soigné à l’hôpital de Montpellier.
Avant d’aller dans l’Hérault, mon fils était assez intelligent, il n’était qu’un peu dur d’oreilles. Maintenant il a souvent des troubles de cerveau et par moments il ne raisonne pas. Mon fils n’a jamais habité le canton d’Alban, par conséquent il n’y est pas connu ; il réside actuellement avec sa mère au Bousquet, commune d’Ambialet, canton de Villefranche (Tarn), il travaille aux mines du Frayssé.
J’ignorais que mon fils ait fait une réclamation pour l’exemption de son service militaire. À mon avis il est incapable de faire un soldat. »

Ne sait pas signer. »

L’enquête continue dans le lieu de résidence de Justin. Deux gendarmes à cheval se rendent au hameau du Bousquet dans la commune d’Ambialet dans le Tarn. Après avoir rencontré Justin Robert, ils interrogent plusieurs habitants du hameau :

« 2° M. Sacalais (Émile), 42 ans, surveillant aux mines du Frayssé (Tarn), déclare à 14 heures 45 : « Je connais très bien le conscrit Robert qui est sous mes ordres depuis deux mois environ, il n’est pas intelligent mais cependant je ne le crois pas impropre au service militaire. »
(…)
3° M. Bardy (Barthélemy), 52 ans, charpentier à Lacalm, Tarn, déclare à 15 heures :
« Je connais depuis 10 ans environ, le conscrit Robert, j’estime qu’il n’a pas toute sa lucidité d’esprit mais, quand j’étais sous les drapeaux, j’ai eu vu des soldats qui n’étaient pas plus intelligents que lui ».
(…)
5° M. Azaïs (Michel), 42 ans, adjoint au maire de la commune d’Ambialet, Tarn, déclare à 16 heures :
« Depuis 10 ans environ je connais le conscrit Robert, sans cependant dire qu’il est idiot, il ne paraît pas avoir toute sa lucidité d’esprit. A mon avis, je le crois impropre au service militaire. »
(…)
 »

Le gendarme termine par un avis personnel qui a pu compter dans la décision finale :

« Au cours de la conversation que nous avons tenue avec le conscrit Robert, nous n’avons rien remarqué d’anormal, toutes ses réponses ont été nettes et précises. À notre avis, ce jeune homme ne paraît pas être borné au point de ne pouvoir faire un soldat. »

  • Bon service armé

Suite à cette enquête, il reste considéré comme « Bon pour le service actif » et il est incorporé avec la classe 1914 en septembre 1914 au 24e régiment d’infanterie coloniale. Sans qu’il soit possible d’en avoir le détail, il est réformé n°2 par la commission spéciale de Perpignan le 18 décembre 1914 pour « débilité mentale ».

Il repasse pourtant devant le conseil de révision le 10 mai 1915 qui le classe une fois encore « Service armé ». Le 9 septembre 1915, il est incorporé au 122e RI. Il ne rejoint pas le front pour autant. Il est détaché dans une usine dans le Tarn. Il reste au dépôt du 2 mai 1916 à son passage au 133e RI en septembre. Il est déclaré d’abord « Service auxiliaire » par la commission de réforme de Bourges le 27 juin 1917, toujours pour « débilité mentale » puis déclaré inapte définitif à servir aux armées le 5 septembre 1917 toujours pour « débilité mentale » et « crises hypothymiques ». Il est finalement réformé n°2 une seconde fois le 18 janvier 1918. Les symptômes sont de plus en plus précis : vertiges, céphalées, bradycardie, hypermétropie.

Justin Robert est décédé le 6 mai 1953 à Rodez.

Archives départementales du Tarn :

1 R 1-570 : Dossiers individuels pour la classe 1913.
https://e-archives.tarn.fr/viewer/series/R_serie/1R_Lots/1R2_207?s=1R2_207_0157.jpg&e=1R2_207_0158.jpg&img=1R2_207_0157.jpg

1 R 2-207 : fiche matricule de Sylvain Justin Robert, classe 1914, matricule 1109 au bureau de recrutement d’Albi.

4 E 161/5 : Etat civil de la commune de Massals, naissance de l’année 1894.
https://e-archives.tarn.fr/viewer/series/E_serie/4E/EC000749/4E16100501?img=811610041.jpg

Gallica :

Recrutement de l’armée : instruction sur l’aptitude physique au service militaire, volume arrêté à la date du 15 décembre 1905. Paris, R. Chapelot, 1905. 68 pages.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6226095k


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