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Trésor d’Archives n°51 – Grande fratrie mobilisée en 1914

L’article est un simple entrefilet dans le journal Le Pays Sarthois daté du dimanche 16 août 1914 :

« BELLES FAMILLES
Sept fils sous les drapeaux
Sept fils sous les drapeaux, voilà ce que donne à la France Mme Vve Roquelle, propriétaire du Grand Café de France, à Levallois : cinq sont fantassins, un chasseur alpin et un autre artilleur. »

De manière étonnante, aucun autre article autour de ce cas n’a été trouvé dans la presse. En raison des approximations et des discours patriotiques parfois excessifs que l’on trouve dans la presse tout au long du conflit, mais plus particulièrement au début, la prudence est de mise. Ce cas existe-t-il vraiment ?

  • La famille Roquelle

Pourtant, le cas semble réel. Il y a bien une famille Roquelle originaire de la Nièvre vivant à Levallois en 1914. Problème : contrairement à ce qu’indique l’article, le mari n’est pas décédé ! Il meurt en 1929 à l’âge de 83 ans à Château-Chinon.

La difficulté a été de retrouver tous ces frères, certes originaires de la Nièvre, mais ayant ensuite émigrés vers la Seine. De plus, un frère a son nom orthographié « Roquèle » quand les autres sont tous « Roquelle ».

On arrive bien à un total de sept frères comme le note l’article, mais le premier est mort en bas âge et aucun autre Roquelle ayant Jeanne Taupin comme mère n’a été trouvé.

Une piste pourrait être une association, dont on ne saura jamais si elle est volontaire, entre les fils et le gendre. En effet, l’aînée de la famille Roquelle est Marie, née le 31 juillet 1874 à Châtin dans la commune de naissance de sa mère. Elle se marie le 26 novembre 1903 à Paris dans le 19e arrondissement à Henri Clément Bourdiau. Natif de Clamecy dans la Nièvre en 1873, il est bien mobilisé en 1914.

La dame Roquelle est loin de donner sept fils à la mobilisation. Le graphique résumant le parcours de chacun le montre : le frère aîné est service auxiliaire et ne part pas en août quand le second n’intègre pas une unité combattante en raison de son obésité. Le « chasseur alpin » mentionné par le journal vient peut-être d’une confusion avec le frère engagé volontaire dans la Légion étrangère.

Vert foncé : Zone des armées ; Vert clair : Zone de l’intérieur ;
Gris foncé : tué ;

Deux frères tués et un blessé montrent que la guerre toucha durement la famille.

  • La suite de l’article…

L’article sur les sept fils Roquelle continue ainsi :

« Quinze frères à la guerre
Et il y a mieux, Mme Mercier, de Saint-Gelven (Côtes-du-Nord), a quinze fils à la guerre : deux aux dragons, deux dans l’artillerie, et onze autres se sont trouvés en même temps à Saint-Brieux (sic), mardi dernier, répondant à leur ordre de mobilisation.
Souhaitons aux mères de ces vaillants soldats de voir bientôt leurs fils revenir au complet et victorieux. »

Même en cherchant bien, la famille Le Mercier eut 16 enfants, dont 3 filles, ce qui ne peut donner 15 fils mobilisés. De plus, deux fils morts avant l’âge de deux ans, cela donne le nombre déjà impressionnant de 11 fils pouvant être mobilisé en août 1914. Peut-être faut-il y voir une nouvelle fois l’ajout des gendres ? Nous ne nous intéresserons qu’à ces onze fils.

Deux de ces fils n’ont encore jamais été sous l’uniforme, l’un car omis de la classe 1914 qui sera appelé en décembre avec la classe 1915 et l’autre de la classe 1915. Le total est donc de 9 fils mobilisables en août 1914.

Une fois encore, on constate l’exagération des propos rapportés par la presse sans qu’il soit possible de déterminer leur origine : affabulation de la famille ou de la population locale, volonté de grossir les traits dans une forme d’exaltation de la presse typique de cette période ?

Un article publié deux ans plus tard est bien plus réaliste concernant la mobilisation des fils Mercier / Le Mercier. Il confirme le nombre de 11 fils concernés.

Concours des grandes familles au front
La plus grande Famille (Association de chefs de famille de cinq enfants au moins), dont le secrétariat est à Paris, 24, rue du Mont-Thabor, a eu la très heureuse pensée d’organiser un concours des grandes familles au front.
Plus de mille familles ont pris part à ce concours.
La plus grande famille a déjà, une première fois, distribué des prix de 500 francs aux vingt familles qui avaient le plus grand nombre de fils sous les drapeaux. La générosité de nouveaux souscripteurs lui permet aujourd’hui de décerner dix nouveaux prix de 500 francs et de remettre aux familles auxquelles il n’est pas possible de donner un prix en argent, un diplôme qui demeurera un témoignage des services que ces familles ont rendus au pays pendant la Grande Guerre.
Nous sommes heureux de trouver parmi les lauréats auxquels La plus grande Famille a décerné des prix de 500 francs :

1° Mme veuve Le Mercier (Théodore) à Saint-Gelven (Côtes-du-Nord), qui a eu 16 enfants. Sur 13 enfants vivants, 11 garçons ont été mobilisés ; deux ont été tués, un troisième est disparu et un quatrième est prisonnier.
(…)

L’Ouest-Eclair n°6291 du lundi 23 octobre 1916, page 4/6.

L’observation du sort des frères Mercier / Le Mercier montre que les informations transmises à la presse en 1916 sont nettement plus fiables. Seuls les frères sont comptabilisés, correctement qui plus est. La seule inexactitude concerne les pertes : on dénombre un prisonnier, un disparu (pouvant être comptabilisé comme tué) et un tué.

Vert foncé : Zone des armées ; Vert clair : Zone de l’intérieur ;
Gris foncé : tué ; Gris clair : prisonnier.

Reste que le parcours de ces frères est loin d’être uniforme. Des cinq aînés, quatre furent mobilisés dans une unité territoriale quand le cinquième, service auxiliaire, ne connut que le dépôt. Trois furent renvoyés chez eux car pères de 6 enfants vivants. Le sort des plus jeunes fut plus difficile : pour les quatre cadets, deux tués, un prisonnier et un parcours marqué par une blessure et des maladies pour le dernier.

  • En guise de conclusion

Derrière les exagérations ou l’aspect spectaculaire voulu par le presse, se cachent des réalités. Au-delà de la simple recherche de la véracité de ces affirmations, ce sont des parcours individuels parfois tragiques qui sont mis en évidence. Ces cas de familles nombreuses, certes loin de la norme, n’en sont pas moins uniques. Comme l’indique l’article du blog www.genealanille.fr sur le concours des plus grandes familles au front, « les statistiques publiées par le ministère du Travail en janvier 1914 montrent que 45 familles ont 18 enfants ou plus ».

Une partie du nom de ces familles est donc aisément disponible, pour qui voudrait se lancer dans des recherches sur l’une ou l’autre de ces familles au grand nombre de fils mobilisés.

  • Remerciements :

À Thibaut Vallé qui a vérifié si d’autres frères Roquelle pouvaient être trouvés et a proposé la piste du gendre comme explication au nombre d’enfants mobilisés dans ce cas.

Pour en savoir plus sur les grandes familles mobilisées :

Un article bref mais complet sur le concours de « La grande famille » :
https://www.genealanille.fr/blog/2014/08/02/concours-grandes-familles-au-front

  • Notes :

Il n’existe par de fiche matricule pour François Marie Le Mercier, classe 1906. Seul un état nominatif de contrôle existe où le matricule indiqué est « 06-222-02146 ».

  • Sources :

Archives départementales de la Sarthe :

PER0 90 : Journal Le Pays Sarthois n°372 du dimanche 16 août 1914.

Sources de la famille Roquelle :

Archives de Paris :

D4R1 980 : fiche matricule de Pierre Roquèle, classe 1898, matricule 3913 au bureau de recrutement de Seine 2e bureau.

D4R1 1110 : fiche matricule de Louis Roquelle, classe 1901, matricule 1160 au bureau de recrutement de Seine 2e bureau.

D4R1 1212 : fiche matricule de Jean Roquelle, classe 1903, matricule 4066 au bureau de recrutement de Seine 2e bureau.

D4R1 1311 : fiche matricule de Claude Roquelle, classe 1905, matricule 4087 au bureau de recrutement de Seine 2e bureau.

D4R1 1411 : fiche matricule de Simon Roquelle, classe 1907, matricule 3310 au bureau de recrutement de Seine 2e bureau.

D4R1 753 : fiche matricule de Bourdiau Henri Clément, classe 1893, matricule 2766 au bureau de recrutement de Seine 3e bureau.
Attention : le nom est mal saisi dans la base de données. Il est indexé à « Boudain ».

19M 201 – Registre des mariages de la mairie du 19e arrondissement de Paris, novembre 1903. Acte 1270.

Archives de la Nièvre :

R 732 : fiche matricule de Paul Roquelle, classe 1909, matricule 744 au bureau de recrutement de Nevers.
https://archives.nievre.fr/ark:/60877/498zgqlsh5nj/01f7e7ff-c529-4f0c-bafc-97abe8406a28

6 M 082/1 : recensement de la commune de Corancy de 1881.
https://archives.nievre.fr/ark:/60877/kn71rgsb5v4z/a73a3fb7-c7fa-4fce-bba4-fecc9c6efb46

3 Q 5/707 : Tables de successions et absences, bureau de Château-Chinon, 1928-1938.
https://archives.nievre.fr/ark:/60877/ph51d97xz3qw/35bd45b2-00cc-453e-9975-76d394df6171

Sources de la famille Mercier :

Archives départementales de Cote d’Armor :

6 M 645 : recensement de population, listes nominatives Saint-Gelven, 1901.
https://v-recherche.archives.cotesdarmor.fr/series/M/6M/6M645/1901?img=AD0022_2MILN_0290_07_0105.jpg

1 R 1083 : fiche matricule de Le Mercier Jean Louis, classe 1895, matricule 2270 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1127 : fiche matricule de Le Mercier Louis Albert, classe 1899, matricule 160 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1139 : fiche matricule de Le Mercier Théodore Marie, classe 1900, matricule 505 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1149 : fiche matricule de Le Mercier Eugène Marie, classe 1601, matricule 1867 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1197 : état nominatif de contrôle de Le Mercier Sylvain Vincent Marie, classe 1904, matricule 1745 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1214 : état nominatif de contrôle de Mercier Julien Marie, classe 1905, matricule 1419 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1225 : état nominatif de contrôle de Le Mercier François Marie, classe 1906, matricule inconnu au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1995 : fiche matricule de Mercier Joseph Marie, classe 1910, matricule 1653 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1300 : fiche matricule de Le Mercier Mathurin Marie, classe 1911, matricule 344 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1450 : fiche matricule de Le Mercier Paul Marie, classe 1912, matricule 167 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.

1 R 1450 : fiche matricule de Le Mercier Henri Marie, classe 1915, matricule 151 au bureau de recrutement de Saint-Brieuc.


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