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Trésor d’archives n°64 – Intercession pour passer interprète

Quand les recours légaux sont inutiles, en l’absence de six enfants vivants par exemple, certains mobilisés activaient leurs réseaux afin de quitter leur affectation. C’est ce que fit le sergent Roger de la 13e compagnie de dépôt du 27e RIT de Mamers.

  • Faire valoir une compétence

Difficile de savoir si la missive de la mairie de La Ferté-Bernard provient d’un courrier du sergent Roger ou s’il s’agit d’une initiative amicale. En tout cas, le portrait du sergent est très flatteur, parlant couramment allemand, maîtrisant l’anglais. Plus étonnante est l’allusion au capitaine de la compagnie pour lequel le sous-entendu est clair et fait appel à une réputation – mauvaise – qui a dépassé les murs du dépôt. L’aspect politique n’est pas absent du courrier : il y est question du député Caillaux et de l’engagement politique du sergent.

Mairie de la Ferté-Bernard (Sarthe)
La Ferté-Bernard, le 13 Août 1915.

Monsieur le Préfet,

On m’a affirmé que des prisonniers devaient venir ces jours-ci pour terminer le tramway et au cas où vous auriez besoin d’un interprète soit pour ce travail soir pour la camp que vous préparez au Mans, je viens vous recommander un de mes meilleurs amis, Monsieur Roger Florent Henri Classe 1893 Sergent fourrier 13e Cie du 27e regt à Mamers.
C’est un garçon d’une intelligence supérieure, excellent républicain et qui est certainement appelé à jouer un rôle politique ici.
Ancien sergent fourrier au 4e Zouaves où il a servi 4 années et commencé à parler arabe.
A habité l’Allemagne deux années faisant la correspondance dans une maison de commission de Hambourg.
Parle également très bien l’Anglais, il pourrait très bien être comptable dans un camp de prisonniers.
Il est dans la compagnie du fameux capitaine Montmiron et désire a tout prix le quitter.
Je l’ai recommandé également à M. Caillaux qui a dû en parler au général Faurie.

Espérant une solution favorable, je vous prie d’agréer l’assurance de mon entier dévouement.

Signature

Le courrier part le 13 août 1915 et arrive le lendemain à la préfecture du Mans.

La lettre suivante n’a pas d’auteur identifié. Il s’agit d’un brouillon, peut-être du cabinet du préfet, ce qui expliquerait sa présence dans cette liasse.

Le Mans le 15 août 15

M. le Général Faurie
Ct de la 4e Région
Mon Cher Général
(à titre personnel)

J’ai l’honneur d’appeler votre bienveillante attention sur M. Roger Florent Henri (classe 1893), sergent fourrier à la 13e Cie du 27e Régt Tal à Mamers, en vue de sa nomination à l’emploi d’interprète.
Très intelligent, parlant couramment l’Anglais & l’Allemand, M. Roger s’acquitterait parfaitement desdites fonctions & pourrait tenir la comptabilité dans un camp de prisonniers allemands.

Je vous serais reconnaissant si vous vouliez bien le cas échéant accueillir favorablement sa candidature.

Le Mans, le 15 août 15.

M. Desnos, Maire de La Ferté-Bernard.

En réponse à votre lettre du 13 août courant, j’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il a déjà été pourvu à l’emploi d’Interprète pour les Prisonniers allemands. Toutefois, je m’occupe de M. Roger & je prends la meilleure note de ses titres.

Le général Faurie répond également par une lettre du 20 août 1915. Sa réponse est une fin de non-recevoir courtoise, reposant sur les instructions.

Le Mans, le 20 Août 1915

Le Général Faurie,
Commandant la 4e Région

à Monsieur le PREFET du Département de la Sarthe

LE MANS

En réponse à votre lettre du 15 Août 1915, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le sergent-fourrier ROGER (Florent-Henri) du 27° Territorial, classe 1893, appartient au service armé et est apte à faire campagne.
Or, aux termes des instructions ministérielles, les interprètes et les comptables doivent être choisis uniquement parmi les hommes du service auxiliaire ou être reconnus inaptes à faire campagne.

Dans ces conditions, j’ai le regret de ne pas pouvoir donner suite à la candidature de ce sous-officier sur laquelle vous avez bien voulu attirer mon attention.

Gal Faurie

Difficile de dire avec la fiche matricule si le sergent Roger trouva d’autres parades pour éviter le front. Au contraire, son affectation au 260e RIT en novembre 1915 marque son départ pour la zone des Armées. Il y arrive même au moment où le régiment est en première ligne dans le secteur de Tracy-au-Mont. Ensuite, le 260e est chargé de réaliser des travaux sur le front, de manière plus classique et moins exposée pour ce type de régiment de territoriaux.

Il reste dans ce corps qui n’existe plus en tant que tel à partir de mars 1916. Chaque bataillon forme un bataillon d’étape détaché.

En septembre 1917, il est envoyé en renfort au 45e RIT, toujours dans un bataillon d’étapes isolé. Peut-être est-ce au 1er bataillon du 45e RIT qui reçoit 200 hommes du 260e RIT en renfort le 29 septembre 1917. Sa dernière affectation est au 4e Train des Équipages Militaires, avec l’indication qu’il reste aux Armées du 14 juillet 1918 au 1er janvier 1919, date de sa démobilisation.

  • En guise de conclusion

Cette simple correspondance liée à une demande d’affectation loin du front nous montre que la réponse, malgré les appuis plus ou moins subtilement présentés et les arguments avancés ne résistait pas toujours à l’application stricte des instructions ministérielles. C’est aussi la mise en évidence des lacunes des documents à notre disposition quant à la carrière professionnelle du sergent fourrier Robert entre la fin de ses engagements au 4e régiment de zouaves en 1898 et le déclenchement de la guerre en 1914. Tout comme on ne sait pas quelle pouvait être la réputation du capitaine Montmiron.

Sources :

Archives départementales de la Sarthe :

1 R 1060 : fiche matricule de Roger Florent Henri, classe 1893, matricule 999 au bureau de recrutement de Mamers.
https://archives.sarthe.fr/ark:13339/s005872201519ae4/587220169f480.fiche=arko_fiche_63298868e34ff.moteur=arko_default_632ac7263f2d8

1 M 530 : demandes au Préfet du Mans.

Service Historique de la Défense

SHD GR 26 N 802/5 : JMO du 260e RIT

SHD GR 26 N 784/11 : JMO du 1er bataillon du 45e RIT


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2 commentaires sur “Trésor d’archives n°64 – Intercession pour passer interprète”

  1. Bonjour,
    le capitaine s’appelle MOMIRON Paul Marie Emile, classe 1893 de la Nièvre, recrutement de Nevers n° 651, pafes 250et 251.
    C’est un Saint Cyrien qui a démissionné de l’armée en décembre 1906, il était Lieutenant.
    Affecté au 27 RIT il est en 1914 capitaine de réserve. Il est mis hors cadre le 30 août 1915.
    je ne sais pas ce que cela signifie, une mesure disciplinaire ?

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