À défaut d’avoir accès au dossier du conseil de guerre concernant un soldat accusé de vol sur ses camarades, il est possible de suivre les grandes étapes de l’affaire par voie de presse.
Au 4e de Ligne
Soldat pickpocketLe 9 juillet, la 2e compagnie s’était rendue aux bains de rivière. En sortant de l’eau, un soldat constata que son porte-monnaie, renfermant 8 fr. 50, avait disparu. Il avertit ses chefs et une discrète enquête fut ouverte.
On soupçonnait le soldat Mongendre, de la même compagnie que le volé, qui, arrivé en retard aux bains, s’était déshabillé seul. Interrogé, il nia. Dans son paquetage, on ne trouva rien de suspect, mais, sous le « polochon » de son lit, on découvrit le porte-monnaie, vide, naturellement.
Pressé de questions, Mongendre avoua alors avoir volé son camarade aux bains. En outre, il se déclara l’auteur de plusieurs autres larcins commis au préjudice de militaires de la 2e compagnie, notamment du vol d’une pièce de 20 francs, d’une pièce de 5 fr. et de divers objets.
Le soldat pickpocket a été incarcéré aussitôt. Une instruction est ouverte contre lui en vue de sa comparution en conseil de guerre. Originaire de Seine-et-Marne, Maugendre (sic) avait été incorporé au 4e en octobre dernier.
Le Bourguignon, 18 juillet 1908, p. 2/4.
Le journal continue de suivre Mongendre et un entrefilet le 5 août 1908 nous apprend :
Le soldat Mongendre, de la 2e compagnie, qui vola des porte-monnaie à ses camarades, sera traduit en conseil de guerre. Le soldat pickpocket sera conduit mercredi à Orléans.
Le Bourguignon, 5 août 1908, page 2/4.
Direction L’Écho du Centre pour avoir le dénouement de l’histoire de Mongendre :
Conseil de Guerre du 5e Corps
Audience du 24 août 1908.Le soldat Mongendre, du 4e d’infanterie, comparaît sous l’accusation de vols d’argent au préjudice de deux de ses camarades de chambrée. Reconnu coupable d’un seul de ces vols, le conseil le condamne à un an de prison avec bénéfice de la loi du sursis.
L’Écho du Centre, 1er septembre 1908, page 3/4.
La peine peut paraître clémente alors qu’il a reconnu plusieurs vols. Son parcours personnel peut-il nous éclairer sur cette décision à défaut de pouvoir consulter le dossier d’instruction ?
- Le conscrit Mongendre
Un nom, « Mongendre », une origine, « Seine-et-Marne » et une classe, 1906 puisqu’arrivé en octobre 1907 à la garnison d’Auxerre, tout semble propice pour retrouver facilement notre conscrit. Pourtant, ce fut un « chou blanc » complet en Seine-et-Marne dans les trois bureaux de recrutement. Avec le second nom noté dans l’article, « Maugendre », il en fut de même. Heureusement, en élargissant aux autres départements du 5e Corps, j’ai trouvé deux « Mongendre », classe 1906 à Orléans et le premier fut le bon. Preuve une fois encore qu’il faut vérifier tous les éléments donnés par les articles, les coquilles sur les noms ou les erreurs dans les informations pouvant mener dans de fausses directions. Il n’y a aucun lien entre Mongendre et la Seine-et-Marne.
Félicien Albert Mongendre est né à Orléans le 23 septembre 1886. Il est jardinier, vit à Orléans. Mais sa fiche matricule nous apprend surtout que son père est inconnu, que sa mère, Adèle Lucie Mongendre est disparue et qu’il n’a pas de tuteur. De disparue, sa mère est en fait décédée dès 1889 à Orléans ! Son acte de décès indique qu’elle meurt à 27 ans à la Porte-Madeleine, adresse des Hospices d’Orléans. On ne sait pas ce qu’il advint de son fils à part qu’il fréquenta l’école et avait un niveau d’instruction de 3.
Peut-être faut-il voir ici un défaut de cadre familial dont les membres du conseil de guerre ont tenu compte. C’est en tout cas une hypothèse qui pourrait expliquer, en plus de l’absence de condamnation antérieure et d’autres éléments inconnus des documents disponibles pour l’instant, le choix d’un sursis malgré les aveux.
Si on observe souvent de la récidive et de nombreuses condamnations chez les hommes passés en conseil de guerre, c’est ici le contraire. En effet, Félicien Mongendre ne fit plus l’objet d’aucune condamnation après celle de septembre 1908, en tout cas aucune inscrite dans sa fiche matricule ou conduisant à un passage dans la presse pour un fait délictuel ou criminel.
Il fut affecté au 82e RI de Montargis jusqu’à la fin de son service actif et obtint son certificat de bonne conduite à sa libération le 25 septembre 1909 sans temps supplémentaire. La même année que sa période d’exercice de 1912, il se maria avec Louise Blâtier. Ils s’installèrent à Cléry-Saint-André en 1913. Mobilisé en août 1914, il fut affecté au 369e RI et resta au front jusqu’à sa blessure par éclat d’obus le 1er avril 1918 près de Cuvilly.
Il fut décoré de la Médaille militaire car « Bon, brave soldat. A été très grièvement blessé à son poste de combat le 1er avril 1918 près de Cuvilly ». S’il obtint la Médaille militaire, c’est parce que la blessure le mutila à la face : destruction du massif facial à droite, perforation de la voûte palatine, désaxation à droite de l’arc dentaire. En somme, il devint une gueule cassée. Il reçut une pension mais sa fiche matricule ne précise pas les passages devant les commissions médicales postérieures à la commission de réforme du 4 septembre 1919.
Il retourna dans sa commune et vécut avec son épouse avec qui il eut en tout quatre enfants de 1915 à 1925. Ses voisins étaient ses beaux-parents.
En raison de la politique de mise à disposition archaïque de l’état civil des Archives départementales du Loiret qui ne va pas au-delà de 1902 (!), il n’a pas été possible de déterminer sa date de décès. La dernière information est l’obtention d’un certificat provisoire pour le carte de combattant en 1934.
- En guise de conclusion
Une partie de la biographie de Félicien peut encore être écrite en ayant accès aux documents des AD45 et à son dossier de conseil de guerre. Un exemple qui montre à la fois la vie difficile à chaque étape de cet homme ainsi que la sévérité de la justice militaire non déconnectée de la prise en compte des réalités de l’accusé et de la richesse des sources disponibles pour retracer le parcours d’un individu.
- Sources :
Archives départementales du Loiret
1 R 61543 : fiche matricule de Mongendre Félicien Albert, classe 1906, matricule 289 au bureau de recrutement d’Orléans.
https://www.archives-loiret.fr/ark:20522/s005a280b475bf2b/5a8c51ffd394c.fiche=arko_fiche_61e6c68316729.moteur=arko_default_61e6e5dd36b3d
EC 109545 : état civil de la commune d’Orléans, naissance en 1886, acte n° 986.
https://archives-loiret.fr/ark:20522/s005a8d84e059345/5a8d84e0a18d8.fiche=arko_fiche_61f102d6f3120.moteur=arko_default_61e6b3f775f99
EC 109586 : état civil de la commune d’Orléans, décès en 1889, acte n° 142.
https://www.archives-loiret.fr/ark:20522/s005a8ff255e49e9/5a8ff255f0f48.fiche=arko_fiche_61f102f3b252b.moteur=arko_default_61e6b3f775f99
216 O-SUPPL 1 F/4, recensement de population de la commune de Cléry-Saint-André, 1926.
https://www.archives-loiret.fr/ark:20522/s005b9b7e3652f5d/5b9b7e37d8e25.fiche=arko_fiche_617928615a3c8.moteur=arko_default_617a570882544
Service Historique de la Défense
SHD GR 26 N 764/13 : JMO du 369e RI, août 1917- avril 1918.