PREVOT Jean, Carnets d’un ambulancier et pharmacien 1915-1918, Éditions des Équateurs avec l’association « Soisonnais 14-18 », Sainte-Marguerite-sur-Mer, 2007. 317 pages.
Comme son titre l’indique, cet ouvrage est la transcription des quatre carnets d’un ambulancier, Jean Prévot. Ce n’est pas un récit retravaillé par la suite, mais un compte-rendu quotidien. Il est incomplet : il ne couvre que les années 1915-1918 alors que Jean Prévot a été mobilisé en août 1914 et il ne relate pas les suites de son intoxication par les gaz en septembre 1918. Il manque également toute la période qui va de septembre 1916 à septembre 1917.
Bien qu’incomplet, ce texte a d’autres intérêts que le fait de lire des carnets ou de suivre le parcours peu relaté d’un brancardier pharmacien comme peut y inviter la quatrième de couverture. Certes, ce type de parcours est peu commun et ces écrits permettent de suivre un brancardier puis pharmacien dans son quotidien, dans son unité. Mais c’est particulièrement vrai dans le début de l’ouvrage moins par la suite. Si la suite donne une idée de son parcours spatial et de son affectation, il n’entre pratiquement plus dans les détails de son travail quotidien. Au contraire du point sur lequel insiste encore la quatrième de couverture, il ne faut pas s’attendre à des comptes-rendus détaillés des opérations, du travail à proprement parlé d’un brancardier. Une fois encore, il n’en parle qu’au début de ses notes. Ce qui ne veut pas dire que la suite soit dénuée d’intérêt. Mais l’intérêt me semble ailleurs que dans le simple rôle d’un brancardier puis d’un pharmacien.
L’intérêt tient d’abord dans l’évolution d’un homme visible dans ses carnets. C’est moins flagrant que dans les correspondances déjà étudiées dans cette rubrique car celui qui écrit ses carnets fait une sélection plus sévère que dans les courriers publiés. Il y a aussi une sélection dans ce qui est écrit dans les courriers, mais ce mode d’écriture permet des développements plus longs et une réflexion qui n’est pas la même. Mais c’est justement cette sélection qui montre l’évolution.
Dans ses carnets, Jean Prévot note un résumé de sa journée, non dans ce qu’elle a de plus banal. Et c’est bien ce qui va poser problème au lecteur qui voudrait savoir tout ce que pouvait faire un brancardier puis un pharmacien : ces points sont finalement très peu abordés, à part au début. Il note le temps, le lieu ou les lieux où il est ce jour là, ses conditions de vie, et pour le reste, il écrit tout ce qui sort de l’ordinaire, tout ce qui est « notable » au sens propre du terme. Ce qui sort de l’ordinaire et qui attirera son regard et sa plume jusqu’à la fin de ses carnets, ce sont les avions, l’artillerie et les bombardements. Il évoquera aussi très souvent les unités qui passent, le sort des unités qui dépendent de la même division puis du même corps d’armée, les personnalités croisées (militaires comme Joffre ou politiques comme Poincaré), les régiments qui défilent en musique (le 149e RI avant de monter à Verdun en mars 1916), les drapeaux, les chars en 1918.
Pour son quotidien, il parle d’abord beaucoup de ses camarades, de ce qu’il fait. Il est marqué par les premiers blessés, il décrit leur cas. Puis très vite, il n’en fait plus aucune mention, sauf très ponctuellement. C’est assez surprenant pour un homme qui a cette fonction, surtout en avril et mai 1916 quand la 37e DI est engagée à Verdun. Soit il a été moins en contact. Soit, et c’est l’explication qui a ma préférence, tout cela devenant fort ordinaire, il ne l’écrit plus. Affirmer qu’il a trop de pudeur pour l’écrire ensuite serait aller un peu loin, Jean Prévot étant à peu près muet sur ses impressions par rapport aux blessés par exemple (ce qui ne veut pas dire qu’il n’en avait pas, mais il ne les note pas ici).
Une fois cette première étape passée, ses mentions quotidiennes deviennent de plus en plus courtes. En 1916 et surtout 1917, il ne mentionne parfois que le temps ou seulement une ou deux phrases. Il n’était pourtant pas inactif. Manque de temps ? Manque de nouveauté ? Parallèlement, les noms qui figurent dans ses carnets ne sont plus que des noms : il ne nous apprend pratiquement rien sur les personnes qui l’entourent une fois passé pharmacien. Lorsqu’il mentionne des pertes autour de lui en 1918, ce ne sont que des noms dont on ne sait quasiment rien d’autre.
Après cette période « moins riche », s’ouvre la dernière chronologiquement : celle du printemps 1918. Les écrits sont à nouveau plus riches et illustrent parfaitement la nouvelle tactique allemande : frapper fort, y compris sur les arrières où se trouve Jean Prévot. L’arrière est devenu un objectif des bombardements d’artillerie et des attaques aériennes que l’auteur mentionne en détail. L’auteur en est lui-même victime, étant intoxiqué par les gaz en septembre 1918. L’évolution tactique était déjà visible fin 1917 dans ses carnets : une large place est consacrée aux coups de main qui sont exécutés de part et d’autre dans le secteur.
Le dernier point remarquable de ces écrits est le fait qu’ils soient ceux d’un soldat de l’arrière. Ce n’est pas un combattant, il ne connait pas la première ligne. Il semble monter dans les tranchées pour la première fois en août 1916 pendant l’offensive sur la Somme : c’est en effet la première fois qu’il mentionne une montée en ligne et du temps passé dans les tranchées. Avant cela, il est un témoin éloigné et cela a aussi un intérêt : il entend. Il entend le bruit des batteries voisines, le son du canon du front mais aussi les bruits qui concernent les opérations en cours ou l’unité à laquelle il appartient. Ces bruits, ou « canards », sont nombreux et nourrissent la curiosité des hommes. Sur son unité, il s’agit de savoir si elle change de position, si les unités combattantes sont en ligne, mais aussi sur la bataille en général, du niveau local avec les unités de la division ou du corps d’armée à un niveau plus grand nettement visible dans les notes prises au cours de la bataille de Verdun. S’il ne prend pas immédiatement conscience de l’attaque (le 21 février, il parle de tout autre chose, étant à Bar-le-Duc), dès le 22 février, il est aux première loges pour voir les renforts et la noria qui se met en place sur la route qui va devenir la Voie sacrée. Pertes, allusion à Driant, troupes qui montent en renfort, contre-attaque, les notes sont nombreuses pour cette période sur ce qu’il entend.
Il reste tout au long du conflit un homme de l’arrière, ne notant pas le moindre questionnement sur sa place (en tout cas, il ne le formule pas comme l’a fait Chaussis ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’est pas posé les mêmes questions) ou sur sa décoration.
Un livre donc fort riche, non sur l’action d’un brancardier pharmacien, mais sur la vie quotidienne d’un homme dans la zone arrière du front, homme indispensable bien que sans fusil et qui a eu à payer, comme les combattants de première ligne, le prix de sa participation à la guerre après avoir été victime des gaz.
- En complément :
Site de l’association « Soissonnais 14-18 » : http://www.soissonnais14-18.fr/