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Mélange entre roman contemporain et biographie de combattant

GARCIN Jérôme, Bleus horizons, Paris, Gallimard, Paris, 2013, 224 pages.

J’ai lu cet ouvrage, conseillé par Benoît, sans en avoir discuté auparavant avec lui, sans avoir fait la moindre recherche dessus, l’esprit vierge de tout a priori. Cela m’a permis une double lecture, riche à chaque fois d’une expérience de lecture différente.

  • La découverte de l’ouvrage : première lecture.

Novembre 1914, Jean de La Ville de Mirmont est mort. Dès le début de l’ouvrage, cet homme est au centre du récit, mais il ne va se révéler qu’au travers du regard et des souvenirs des autres. Il n’est pas « je ». « Je » est Louis Gémon, un ami, camarade de tranchée. On découvre Jean au travers du récit des quelques mois qui séparent son incorporation de sa mort. Sa vie, ce n’est déjà plus que quelques pages : il n’est plus que le héros d’un récit bref. On voit en fait les conséquences de cette mort : un camarade inconsolable qui ne sait quels mots choisir pour parler de son fils à une mère toute aussi inconsolable. Ce disparu apparaît d’abord comme l’enfant d’une mère et non « un homme » bien qu’on lui en ait demandé toutes les qualités. Toutefois, le portrait de cet homme va s’affiner au fil des chapitres, au travers de la quête de Louis Gémon qui va chercher à ce que l’œuvre de Jean ne reste pas inconnue : car il était un poète, un auteur en devenir.

On perçoit donc les conséquences indirectes du conflit : une mère, un ancien combattant incapable de se reconstruire ou de donner un sens à sa vie, comme figé en 1914.

Louis Gémon va trouver un sens à cette vie en sacrifiant tout à la mission qu’il s’est donné : publier les écrits de son ami, au prix de l’oubli de sa propre vie et d’une forme de folie. Grâce à cette quête, l’auteur nous fait côtoyer l’écrivain François Mauriac, l’éditeur Bernard Grasset, le compositeur Gabriel Fauré. La vie du disparu prend de l’épaisseur à la fois pour Louis et pour le lecteur. On suit cette quête, ponctuée de quelques autres personnages dont le rôle n’apparaîtra que dans le dénouement final pour certains.

L’auteur en profite pour aborder les difficultés de la publication, de la création, questions auxquelles il a dû être confronté, problèmes souvent inconnus du lecteur.

L’ouvrage prend une saveur toute particulière à la fin, quand l’auteur permet au lecteur de comprendre enfin d’où viennent les textes d’introduction des chapitres et de recentrer l’histoire sur Louis Gémon que l’on a suivi tout au long du livre sans presque rien apprendre de lui. Il a été oublié par le lecteur, tout comme il s’est oublié au profit d’un fantôme. Louis se retourne sur sa vie et comprend qu’il n’a pas perdu qu’un ami en novembre 1914 à Verneuil : toute sa vie a basculé.

La fin originale, sous la forme d’un article d’un bulletin associatif, montre que si le roman tourne autour d’un homme mort à la guerre, un autre héros, « à égalité » est ce camarade qui lui survit et vit à travers lui.

Un livre qui apparaît comme original dans sa construction, son utilisation du conflit, le monde qu’il décrit. Un roman qui n’est pas que sur la Première Guerre mondiale et qui est aussi, et peut-être même avant tout, une œuvre littéraire.

  • Une seconde lecture :

Une fois la première lecture achevée et ces quelques notes rédigées, j’ai fait une recherche sur l’ouvrage et son auteur sur internet utilisant la couverture médiatique de février et mars 2013 (articles, émissions de radio et de télévision). Cela a abouti à une redécouverte de l’ouvrage : il se révèle encore plus riche que je ne l’ai imaginé initialement. Ce que j’ai pris pour des effets de réel (extraits de l’Horizon chimérique, titre des œuvres de Jean, indication de l’affectation à la 12e compagnie du capitaine Bordes au 57e RI) n’en sont pas ! Ce sont des faits, car Jean de La Ville de Mirmont a existé et les éléments le concernant sont biographiques ! Les textes cités, les extraits sont de vrais textes ; ses relations avec Fauré, Mauriac et Grasset réels également. Évidemment, tout le travail de l’auteur a été d’utiliser cette base au service de ses objectifs littéraires, tout en gardant un ensemble cohérent et donnant le change au lecteur. C’est une réussite. L’ensemble est romancé, à commencer par le personnage de Louis Gémon, mais ce mélange d’une biographie au travers d’un roman ajoute à l’originalité du texte. Tout cela m’a incité à relire le livre, riche d’une nouvelle grille de lecture et de percevoir cette fois-ci l’hommage rendu à un auteur, et de manière bien plus forte que s’il s’agissait d’un héros inventé, la perte que fut la mort de cet homme. Un homme parmi 1,3 million…

  • Bleus horizons :

Un titre parfaitement adapté : il montre que le thème est en rapport avec la Première Guerre mondiale, il s’agit d’une référence à Dorgelès et c’est une image évoquant la mer et les rêves qui y sont associés (découvertes, voyages…) très présente dans les écrits de Jean. Finalement, c’est aussi une référence au titre du recueil de poésies de Jean.

Un livre original, riche par son histoire, son style, l’aspect du conflit présenté, jusque dans son titre.

  • Compléments :

La grande librairie – 11/04/2013 France 5 (LGL 20130411). Accès à la vidéo.

Jean de La Ville de Mirmont, Lettres de guerre de Jean de La Ville de Mirmont, Bordeaux, Imprimerie de Gounouilhou. 1917. Accès direct à l’ouvrage dans Gallica.

  • Remerciements :

À Benoît pour le prêt et la discussion autour de cet ouvrage.


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