Ce film réalisé par Terence Davies n’est pas sans rappeler d’autres productions britanniques de ce début de 21e siècle comme Tolkien (https://parcours-combattant14-18.fr/la-place-de-la-grande-guerre-dans-une-oeuvre-fondatrice/) ou « Mémoire de jeunesse » (à venir). La qualité de la reconstitution, les décors soignés, l’atmosphère particulière et un rythme lent en sont quelques caractéristiques.

Je ne suis pas un cinéphile averti. Je n’ai pas la prétention de faire une critique du film, encore moins de juger le travail de son réalisateur Terence Davies. D’autant que certains critiques lors de la sortie du film ont vanté le travail, la mise en scène, le message. Ici, il s’agit juste de comprendre la vision du conflit donnée par ce film, d’autant qu’il évoque une personnalité connue au Royaume-Uni, le poète et écrivain Siegfried Sassoon.
Le titre en Français est clair : les carnets ne sont pas des carnets « de guerre ». Le film propose de découvrir la vie de Siegfried Sassoon, à la fois marquée par la guerre et ses amours chaotiques entre-deux guerres. Quant au titre original, Benediction, il se rapporte à la volonté de rédemption du poète, de sa recherche de paix dans la guerre et de paix intérieure dans ses relations humaines.
- Une biographie survolée
Mais ce film ne permet pas de découvrir complètement ce que fut la vie de Siegfried Sassoon. On ne peut pas comprendre cette recherche de paix si simplement. Il faut bien connaître le héros avant de voir le film pour reconstituer l’histoire, les moments présentés car ils ne sont pas explicitement datés. Au début du film, on passe directement de l’été 1914 à 1917, en éludant totalement ce qu’il se passa entre ces deux dates pour Siegfried Sassoon.
Sur ces moments, il faut aussi s’arrêter : les choix n’aident pas à une bonne compréhension du parcours de Siegfried Sassoon. En effet, rien n’est dit sur sa jeunesse, rien n’est montré de son expérience de guerre. Or cette dernière sort réellement de l’ordinaire et se trouve être le fondement de ses poèmes ultérieurs. Ainsi, son expérience de la guerre n’est perceptible que par ses poèmes et son traumatisme. Officier sans peur, décoré, on ne peut pas comprendre la signification de la médaille dans l’eau ni le sort qui lui est réservé. Comment comprendre la puissance de sa demande à ne pas retourner au combat en 1917 ? Comment comprendre l’aplomb dans la scène face à trois officiers chargés de statuer sur son sort ?
Au point qu’on peut se demander si les lectures en images ne sont pas un moyen de faire fi du peu de budget rendant impossible une illustration filmée de la guerre ? Car ce film a la particularité de ne montrer aucune séquence de tranchée, la seule vision directe ne dure que 10 secondes, sans acteur, sous une neige paisible avec un chant de Noël en allemand en fond sonore ! Et ce sont des clichés d’époque.

Le réalisateur a choisi certains moments de sa vie qui offrent à la fois un instantané de Siegfried Sassoon à cet instant T, tout en permettant par quelques allusions de comprendre quand on est et ce qu’il s’est passé depuis la précédente scène. L’exemple le plus significatif est lorsque Stephen Tennant explique à Siegfried Sassoon qu’il ne va pas entrer dans les « Hitler Jugend », ce qui nous permet de comprendre qu’on est désormais au début des années 1930 ! Ces choix dans le récit brouillent la chronologie mais peuvent s’expliquer par la volonté de centrer le propos autour du traumatisme et de l’homosexualité de Siegfried Sassoon.
Au final, qui ne connaît pas Siegfried Sassoon en ressortira avec une vision tronquée de sa vie, peu claire même si les grandes étapes sont présentes : la perte du frère, le passage par l’hôpital militaire de Craiglockhart qui lui permet de rencontrer Wilfried Owen, ses amours d’après-guerre, son mariage, son fils, ses séparations, sa vieillesse aigrie. Sa poésie n’est pas visible mais habilement utilisée tout au long du film pour rappeler le traumatisme que fut la guerre en superposant photographies ou films d’époque et vers du poète.
Le message est évidemment de dénoncer la guerre et le réalisateur va plus loin quand il fait le choix de mettre la chanson « Rider In The Sky (A Cowboy Legend) » en montrant un troupeau puis des hommes à l’assaut. La mise en parallèle entre les paroles et les choix d’images appuie le message.

Évidemment, même en 2h17, impossible de raconter toute une vie si riche. Mais les changements d’époque, à l’exception notable de la vieillesse jouée par d’autres acteurs, sont difficiles à percevoir.

Pourtant, le film prend son temps. C’est d’ailleurs une de ses caractéristiques : moments sans paroles, peu de musique, plans lents et longs. Certes, c’est tout en finesse et cela donne un cachet particulier à l’œuvre mais cela n’aide pas car le propos n’est pas toujours clair. Les turpitudes amoureuses prennent une place importante. On peut les interpréter comme une manière de montrer les relations dominants/dominés plus que d’évoquer les interdits qui étaient encore attachés à l’homosexualité, juste évoquée au début du film.
- Un film difficile à lire
Le début du film est le plus découpé, au point qu’il est d’abord difficile de comprendre l’objet qui est devant nous : peu de scènes filmées mais les poèmes de Siegfried Sassoon en fond sonore d’images de la guerre. Le film change ensuite de tempo pour revenir à des moments joués longs entrecoupés de poèmes lus en voix-off.
Il y a des idées intéressantes, en particulier dans certains fondus. Dans l’image ci-dessous, Siegfried Sassoon jette dans une rivière sa médaille. En réalité, il ne jeta que le ruban.

Autre exemple, le passage du mariage à la naissance du fils se fait par l’intermédiaire de la photographie de mariage, dans un effet tout aussi réussi.

La mise en parallèle des poèmes avec les images d’archives est aussi une excellente idée, très signifiante. Mais ce sont des éclairs alternant avec les longs moments de vie joués par les acteurs.

La transition avec l’après-guerre est illisible à l’écran, l’histoire se perdant dans les affres de la relation avec Ivor Novello alors que les relations avec Wilfried Owen à l’hôpital sont un peu ébauchées et la rencontre avec Robert Graves au front est passée sous silence.
Une sorte de grand écart se retrouve lors de sa séparation avec Ivor Novello, suivi d’une relation longue avec Stephen Tennant. On est désormais dans les années 1930 et Siegfried Sassoon rencontre Hester Gatty avec qui il se marie en 1933 et a un enfant en 1936.
Mais c’est la relation avec Tennant, ses péripéties, qui sont longuement narrées, jusqu’à en faire des retrouvailles des décennies après. On dresse alors le portrait d’un Siegfried Sassoon enfermé dans son traumatisme, mutique, hermétique au changement. Mais derrière de longues discussions, la scène finale est plus efficace et éclairante. La première scène du film montre une entrée à l’opéra quand la dernière scène évoque la sortie d’une salle de spectacle avec son fils. Mais on est dans ce dernier cas loin du faste d’antan, loin de cette jeunesse qui prenait tout avec simplicité, cette jeunesse détruite par la guerre, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Le message est répété tout au long du film comme dans cette scène où il est entre son portrait et celui de son frère sur une sorte d’autel mémoriel créée par sa mère. Il est enfermé dans l’image par ces symboles, entre les deux portraits en uniformes et l’épée au-dessus : il est en quelque sorte mort pendant cette guerre.

Pour revenir à la dernière mise en parallèle, technique souvent utilisée dans le film de diverses manières, dans la première image, en 1914 Sassoon entre dans un vaste bâtiment éclairé. À la fin du film, vers 19621, l’entrée de la salle de spectacle est dans l’ombre et petite.

Sassoon se rend ensuite dans un parc et s’assied sur un banc. Dernier fondu entre le présent et le passé, le réalisateur le montre avec un homme aux jambes coupées accompagné par un poème en fond sonore où Sassoon voyant ce soldat et comprenant la fracture irrémédiable qui l’affecte. Le film se termine sur ce plan, sans qu’il n’ait réussi à être convaincant, se perdant entre traumatisme et vie privée chaotique.

- En guise de conclusion
Ressort cette impression que ce film a été réalisé par une personne spécialiste de l’auteur et s’appuyant sur certaines parties de sa vie sans donner toutes les clefs de compréhension à un public novice. J’irais même jusqu’à dire « à un public britannique » car cet auteur est peu connu en France et ce film n’aidera pas à rendre hommage à son art.
Il montre pourtant qu’il est possible d’évoquer la guerre sans la montrer, en utilisant juste des images d’archives (non colorisées) et surtout les mots du poète. Les choix narratifs en font un film plus exigeant que les biopics plus linéaires, pour lequel il vaut mieux avoir revu la biographie de Sassoon avant afin de bien comprendre les enjeux et les choix réalisés. Ce n’est pas un mauvais film, mais un film d’auteur, qui ne se déguste pas aussi simplement que nombre de productions et qui ne plaira probablement pas à tout le monde en raison de sa longueur et de certains choix narratifs.
- Poèmes de Siegfried Sassoon utilisés d’après les crédits du film :
Concert – Interpretation
Died of Wounds
When I’m among a Blaze of Lights
To my Mother
To my Brother
Attack
Invocation
Poèmes de Wilfred Owen :
Anthem for Doomed
Youth and Disabled
Autres poèmes :
How Beautifully Blue the Sky de W. S. Gilbert
A Shropshire Lad de Alfred Edward Housman
- Pour aller plus loin :
– Site du distributeur du film :
https://www.condor-films.fr/film/les-carnets-de-siegfried
– Critique qui se rapproche le plus de mes impressions de spectateur :
Revenir aux autres films & documentaires
- Une fois encore, on ne dispose que d’indices pour le déterminer : le père et le fils vont découvrir la comédie musicale « Stop the World – I Want tu Get Off » où cette chanson est interprétée d’après l’affiche par Leslie Briscusse. Cette comédie musicale est jouée à partir de 1962. ↩︎