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Le conseil de guerre en temps de guerre (1914-1918)

Après la présentation de la justice militaire avant-guerre, voici une description synthétique du fonctionnement et de l’évolution de la justice militaire accompagnée de quelques données statistiques afin de l’illustrer le factuel. On pourrait rédiger des dizaines de pages pour illustrer chacun des évènements présentés ici mais cela sortirait du cadre d’une présentation simple de la justice militaire en temps de guerre.

Depuis la loi du 19 juillet 1901, en temps de guerre contrairement au temps de paix, les circonstances atténuantes n’existent pas pour les crimes militaires.

Depuis l’importante réforme du code de justice militaire de 1875, en temps de guerre, la justice militaire est répartie entre deux juridictions.

  • 1- Les conseils de guerre permanents :

Ces conseils de guerre ont fonctionné au siège des régions militaires dans la zone de l’intérieur. Durant cette période, la zone de l’intérieur regroupait le territoire métropolitain hormis la zone des armées, l’Algérie et la région de Tunis. Il n’y aucune différence entre les conseils de guerre de Paris et ceux des régions militaires, ce sont tous des conseils de guerre permanents.

Ces juridictions dépendaient du Ministre de la Guerre.

Ces conseils de guerre disposaient de 7 juges.

La loi du 27 avril 1916 a instauré l’admission des circonstances atténuantes en temps de guerre.

Les individus condamnés par ce type de conseil de guerre pouvaient se pourvoir en révision devant les conseils de révision permanents qui se substituaient, en temps de guerre,à la Cour de cassation en application de l’article 44 de la loi du 17 avril 1906. Ces conseils de révision possédaient les mêmes prérogatives que la Cour de cassation. Durant le conflit, ces conseils de révision permanents qui disposaient, depuis la loi du 27 avril 1916, de 2 juges civils dont l’un était président de droit, n’ont jamais été suspendus.

En application du décret ministériel du 1er septembre 1914, le recours en grâce y a été rendu « exceptionnel », dépendant uniquement de l’officier qui a ordonné la mise en jugement. Pour les conseils de guerre permanents, cette « exceptionnalité du recours en grâce » a pris fin le 15 janvier 1915.

Les conséquences de cette « exceptionnalité du recours en grâce » sont très faibles puisque ce type de conseil de guerre n’a condamné à mort que 4% de l’ensemble de tous les militaires français fusillés durant toute la guerre. Durant la période de « l’exceptionnalité du recours en grâce », un seul militaire français a été condamné à mort par un conseil de guerre permanent puis fusillé pour des voies de fait envers un supérieur.

  • 2- Les conseils de guerre temporaires :

2-1 : Conseils de guerre temporaires ordinaires

Ce type de conseils de guerre a fonctionné dans la zone des armées. La zone des armées regroupait le nord-est de la France, la zone des Balkans où combattait l’Armée Française d’Orient, le Maroc et le sud de la Tunisie. Ces deux derniers territoires ayant demandé leurs rattachements au général Joffre.

Ces conseils de guerre temporaires ont été créés après le conflit de 1870 où le code de justice militaire de 1857 adapté au temps de paix, s’est avéré totalement inapplicable au temps de guerre. Le nombre de juges passe de 7 à 5. L’instruction et l’accusation sont réunies et confiées à une seule personne, le commissaire-rapporteur. On peut ordonner directement la mise en jugement d’un militaire, sautant de fait la phase d’instruction qui a lieu lors du jugement.

Ces juridictions dépendaient du général en chef.

À l’entrée en guerre, le code de justice militaire en vigueur ne prévoyait qu’un seul type de conseil de guerre temporaire à 5 juges qualifié d’ordinaire par le général Joffre.

Avec la déclaration de l’état de guerre, les conseils de révision aux armées ont été réinstaurés conformément à la loi du 17 avril 1906. Ils statuaient au niveau de chaque armée. Les individus condamnés par les conseils de guerre temporaires pouvaient se pourvoir en révision par une simple demande de leur part devant les conseils de révision aux armées qui se substituaient en temps de guerre à la Cour de cassation mais le 17 août 1914, un décret ministériel signé du Président de la République a suspendu ce droit conformément à l’article 71 du code de justice militaire. Cette suspension s’est terminée avec la parution du décret du 8 juin 1916.

En application du décret du 1er septembre 1914, le recours en grâce a été rendu « exceptionnel », dépendant uniquement de l’officier qui a ordonné la mise en jugement. Pour les conseils de guerre temporaires, cette « exceptionnalité du recours en grâce » a pris fin le 20 avril 1917.

La loi du 27 avril 1916 a instauré l’admission des circonstances atténuantes en temps de guerre.

Durant les mutineries de 1917, le pourvoi en révision a été de nouveau suspendu du 8 juin au 13 juillet 1917 mais uniquement pour les articles 208 (provocation de passer à l’ennemi) et 217 (révolte) du code de justice militaire. De même, le recours en grâce a été suspendu mais uniquement pour les crimes concertés et collectifs concernant les articles 208, 213 (abandon de poste en présence de l’ennemi), 217, 218 (refus d’obéissance pour marcher contre l’ennemi), 223 (voies de fait pendant ou l’occasion du service envers un supérieur), 228 (usurpation de commandement) et 253 (destruction de moyens de défense, approvisionnements, armes).

Légende : Bibliothèque numérique de La contemporaine. L’Argonnaute – VAL 120/098.
Moiremont, le conseil de guerre en séance, mai 1916. https://argonnaute.parisnanterre.fr/ark:/14707/bgptlx8ndk29/94e5748e-c5e3-443a-a6b4-861453168797
Outre cinq juges, on note la présence de volumes reconnaissables à leur épaisseur : le Pradier-Fodéré, l’Augier et Le Poittevin, le Champoudry ou le Foucher sur le bureau de gauche.

2-2 : Conseils de guerre temporaires spéciaux :

Le décret ministériel du 6 septembre 1914 a instauré les conseils de guerre temporaires spéciaux. Les principales différences avec les conseils de guerre temporaires ordinaires concernent d’abord le nombre des juges qui passe de 5 à 3. Ensuite, pour être compétent, ces conseils de guerre doivent réunir 3 conditions : l’infraction doit avoir été commise par un prisonnier de guerre, par un militaire ou assimilé avec ses éventuels complices ; le coupable doit avoir été pris en flagrant délit ; la compétence des conseils de guerre ne s’applique qu’aux crimes à l’exclusion des délits. Enfin, le délai de 24 heures entre la citation à comparaître devant le conseil et la réunion du conseil n’est pas obligatoire. De plus, le jugement est prononcé à la majorité de deux voix contre une, il n’est susceptible ni du recours en révision ni en cassation et peut être exécuté aussitôt après la lecture du jugement sur ordre signé de l’officier qui a ordonné la mise en jugement. Ce type de juridiction pouvait être constitué à partir du niveau d’un bataillon ou assimilé.

Ces conseils de guerre sont également sous l’autorité du général en chef.

En application du décret du 1er septembre 1914, le recours en grâce a été rendu « exceptionnel », dépendant uniquement de l’officier qui a ordonné la mise en jugement.

La loi du 27 avril 1916 a supprimé les conseils de guerre temporaires spéciaux qui étaient tombés en désuétude depuis le mois d’août 1915 (2 fusillés en août, 2 en septembre, 2 en novembre, 1 en décembre, aucun en janvier 1915, 1 en février, 1 en mars, aucun en avril).

2-3 : Dispositions communes aux conseils de guerre temporaires :

Les conseils de guerre temporaires ont fonctionné uniquement dans la zone des armées.

Par un courrier du 17 octobre 1915, le Ministre de la Guerre a confirmé que « l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire, n’a pas le droit de passer outre à la demande de commutation formée par les membres du conseil de guerre ; il doit transmettre le dossier par la voie hiérarchique, avec son avis, pour examen régulier du recours en grâce par le Président de la République». À partir de cette date, l’officier qui a ordonné la mise en jugement d’un militaire n’est plus le seul à décider du sort d’un militaire condamné à mort.

2-4 : Synthèse statistique concernant les conseils de guerre temporaires :

Les conseils de guerre temporaires ordinaires et spéciaux ont condamné à mort puis fusillé 96% de l’ensemble des militaires français fusillés durant toute la guerre. Statistiquement, les jugements des conseils de guerre temporaires spéciaux représentent 26% des jugements qui se sont soldés par une exécution pour la période où ils ont fonctionné.

  • En guise de conclusion

Au sein de ces deux juridictions, le fonctionnement de la justice militaire a évolué très différemment. Les conseils de guerre permanents ont été peu impactés, ce n’est pas le cas des conseils de guerre temporaires qui ont subi un important changement.

  • Pour aller plus loin :

L’incontournable travail du général Bach dans ses deux ouvrages sur les fusillés mais aussi par le site Prisme qui a accueilli la suite de son travail : Prisme1418

  • Remerciements :

À Yves Dufour, contributeur du site Prisme, spécialiste de la justice pendant la Première Guerre mondiale, qui a eu la gentillesse de proposer cette présentation synthétique. Merci également à Bernard Larquetou pour sa relecture.


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1 commentaire pour “Le conseil de guerre en temps de guerre (1914-1918)”

  1. Bonjour Arnaud
    Article très documenté et fort intéressant qui m’a permis de recouper les informations que vous m’aviez données sur la condamnation notée sur la fiche matricule de mon grand-père paternel dont j’avais retrouvé le dossier complet au SHD Vincennes …
    Cordialement
    Ps : Votre article sur la BD de Stephan Agosto sur VERDUN m’a permis de compléter ma collection.

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