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La loi du 5 août 1914 sur les affectations des mobilisés

Cette loi est fondamentale pour comprendre le parcours des combattants pendant la guerre. Si elle n’est jamais clairement mentionnée dans les fiches matricules, elle explique une grande partie des parcours atypiques par rapport à l’âge des recrues.

Attention : il existe deux lois du 5 août 1914 concernant la Première Guerre mondiale. Celle qui nous intéresse n’est pas celle permettant aux Alsaciens et aux Lorrains de s’engager dans l’armée française.

  • Le texte de cette loi

Avec son article unique, cette loi modifie considérablement l’affectation des hommes telle qu’elle était organisée. La mobilisation illustre bien ce qui était prévu :

ÂgeArmée d’active et réservesUtilisation prévue :
21 à 23 ansArmée d’activeRégiments d’active (1er à 176e RI)
24 à 34 ansRéserve de l’armée d’activeComplètent les régiments d’active et composent les régiments d’infanterie de réserve (201e à 376e RI)
35 à 41 ansArmée territorialeComposent les régiments d’infanterie territoriale
42 à 47 ansRéserve de l’armée territorialeComplètent les régiments d’infanterie territoriale et composent les unités de GVC

La loi du 5 août 1914 apporte un changement considérable à cette organisation :

N° 7452. LOI relative à l’incorporation, en temps de guerre, des hommes de troupe et des officiers de l’armée territoriale dans l’armée active, et réciproquement.

Du 5 Août 1914.
(Promulguée au Journal officiel du 6 août 1914.)

LE SENAT ET LA CHAMBRE DES DEPUTES ONT ADOPTE,

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE PROMULGUE LA LOI dont la teneur suit : ARTICLE UNIQUE. Par modification aux dispositions des lois en vigueur et notamment à celles de la loi du 21 juin 1890, modifiant les lois du 24 juillet 1873 et du 13 mars 1875, ainsi qu’à celles de l’article 2 de la loi du 24 juillet 1892, les officiers, les gradés et les hommes de troupe de l’armée active, de la réserve de l’armée active, de l’armée territoriale ou de sa réserve, peuvent être employés indistinctement dans les corps de troupes ou services de l’une ou l’autre armée, au fur et à mesure des besoins qui viendront à se produire au cours d’une guerre. La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 5 Août 1914.

Signé : R. POINCARE

Le Ministre de la guerre,
Signé : MESSIMY.

La loi du 5 août 1914 s’applique aux futurs renforts « au fur et à mesure des besoins qui viendront à se produire au cours d’une guerre. ». C’est-à-dire qu’à partir de cette loi, on ne tient plus obligatoirement compte de l’âge du soldat pour l’envoyer au front : des territoriaux peuvent être envoyés vers des régiments d’active par exemple. Et les pertes des premiers mois de combats vont conduire à l’utilisation de cette loi. En réalité, on continua d’envoyer les plus jeunes vers les régiments d’active ou de réserve, mais les territoriaux, voire des R.A.T., furent envoyés en renfort vers ces mêmes unités.

  • Conséquences de cette loi

Les terribles pertes des mois d’août, septembre et octobre 1914 vont entraîner l’utilisation la plus visible de cette loi : en attendant l’arrivée du renfort de la classe 1914 dont la formation est loin d’être achevée, de forts contingents (parfois plusieurs centaines d’hommes) furent envoyés vers les régiments d’infanterie d’active et de réserve. Ce furent d’abord les hommes des dépôts puis des hommes pris dans d’autres unités (volontaires parfois).

La présence d’hommes âgés pour l’époque dans des unités d’active ou de la réserve est fréquemment mentionnée dans les ouvrages qui ont pour contexte l’année 1915. On en trouve mention dans l’ouvrage de Barthas et dans l’un de ceux de Werth pour citer deux textes de territoriaux affectés dans des régiments de réserve, le premier sans qu’il ait un mot à dire, le second volontairement.

Les effets de cette loi sont visibles de plusieurs manières différentes :
– Dans les classes composant un régiment. Certains JMO l’indiquent et la conclusion est toujours la même : les effectifs venant de classes anciennes ne sont pas négligeables fin 1914 et en 1915 au moins. Voici l’exemple de la répartition suivant leur classe des hommes du 205e RI au 1er décembre 1915 :

De jeunes recrues ont été affectées dans ce régiment qui était au début de la guerre une unité de réserve. On y trouve également une majorité de soldats appartenant aux classes d’âge de l’armée territoriale voire de sa réserve, 1148 hommes sur les 2097 du régiment à cette date. Ce régiment de réserve devrait pourtant être composé en grande majorité d’hommes de la réserve de l’armée d’active.

– Dans les fiches matricules, quand on voit une affectation dans un régiment d’active ou de réserve d’un simple soldat en âge d’être territorial, pendant une période où il  est dans la zone des armées (mention d’une « campagne double » dans la fiche matricule).

– Cette présence de soldats âgés dans les unités d’active ou de réserve est également visible dans les chiffres des pertes. Celles subies par ces renforts de territoriaux dans un régiment d’active sont bien mises en évidence par ce graphique des tués du 149e RI en novembre 1914.

– Dans les fiches de soldats morts pour la France, quand des hommes âgés sont décédés au combat dans un régiment d’active ou de réserve où ils ne se seraient probablement pas trouvés s’il n’y avait pas eu cette loi.

  • L’application de la loi dans le temps

Sans qu’il me soit possible pour l’instant d’apporter une date précise, il semble que cet apport de troupes âgées ait été moins important à mesure que la guerre durait. C’est particulièrement vrai pour les territoriaux qu’une longue série de règlements va éloigner peu à peu de la zone des combats.

Par contre, pour les réservistes de l’armée d’active, la situation va perdurer et même devenir la règle avec la suppression de la distinction entre unités d’active et de réserve par l’ordre général n° 36 du G.Q.G. daté du 18 février 1915. Même unité, donc mélange des effectifs et des classes.

Annexe 913

Grand Quartier Général                                                    Le 18 février 1915

Etat-Major

1er bureau

Ordre général n°36

Après six mois de campagne, les unités de réserve ont acquis toute la cohésion qui pouvait leur faire défaut au moment de la mobilisation ; elles ont complété leur instruction, en acquérant l’expérience de la guerre, et ont donné sur maint champ de bataille la preuve de leur valeur.

Le général commandant en chef décide que les dénominations de division, brigade, régiment, bataillon, escadron, batterie, compagnie de réserve sont supprimées,

A l’avenir, ces unités seront désignées uniquement par leur numéro. Elles pourront, soit entrer dans la composition des corps d’armée, soit former des groupements provisoires.

Le général commandant en chef est certain que les unités de réserve auront à cœur de se montrer dignes de sa confiance, en rivalisant de valeur avec les corps actifs.

Au grand quartier général,

Le général commandant en chef,

J. Joffre

Dès l’instant qu’il n’existe plus de distinction entre unité d’active et unité de réserve, les renforts en jeunes soldats ou en réservistes se fait – théoriquement – de manière indistincte entre les deux. La présence de soldats jeunes au 205e RI est donc normale, mais cet exemple a montré que les effectifs de territoriaux sont encore largement utilisés dans ces unités.

  • Prudence dans l’interprétation des informations

Parmi ces effectifs envoyés en renfort, on trouve à la fois des volontaires et des envoyés d’office. Difficile de faire la part entre les deux, même si les seconds étaient plus nombreux que les premiers.

S’il n’est pas difficile de déterminer si un mobilisé a été touché par cette loi, il est parfois plus compliqué d’avoir des certitudes sur l’unité où il était affecté. En effet, l’affectation notée dans la fiche matricule est parfois celle du dépôt et non celle du corps. Ainsi, on peut lire une affectation dans un régiment d’active sur la fiche matricule alors que le mobilisé l’a été dans le régiment de réserve. Pire : la fiche matricule ne mentionne pas toujours le passage dans une unité d’active ou de réserve ! C’est le cas de l’exemple ci-dessous.

Le seul moyen d’avoir une certitude est de réussir à trouver d’autres sources : fiche Mémoire des Hommes, lieu de blessure, de décès, citation dans la fiche matricule… La correspondance peut être aussi une bonne indication. Par contre, en l’absence de tout indice, mieux vaut mettre une formule montrant qu’il n’est pas possible d’avoir de certitude.

Il faut aussi faire attention au genre de mort quand on base sa recherche sur les informations du fichier des Morts pour la France. En effet, il ne faut pas voir l’effet de la loi du 5 août 1914 quand un soldat est noté comme appartenant à une unité d’active mais est décédé des suites de maladie à l’arrière. Il s’agit le plus souvent d’hommes au dépôt où ils étaient gérés par le régiment d’active. La fiche matricule ne donne bien souvent que l’affectation au régiment territorial qui dépend du dépôt d’active. Dans l’exemple ci-dessous, l’homme était affecté au 71e RIT d’après sa fiche matricule mais est noté comme étant au 135e RI sur sa fiche MDH. Il faut probablement comprendre ainsi cette différence : le dépôt du 71e RIT était géré par celui du 135e RI. Rien à voir ici avec la loi qui nous intéresse.

Là encore, attention aux pièges et aux conclusions trop séduisantes : dans le cas ci-dessous, non seulement la fiche matricule n’indique pas l’affectation au décès de l’homme, mais la fiche MDH s’avère erronée ! Cet habitant du Maine-et-Loire n’était pas affecté au 69e RI qui se trouvait alors dans la Nièvre, mais au 69e RIT tout proche. Et ce n’est donc pas un homme concerné par la loi du 5 août 1914.

  • Remerciements :

À Stéphan Agosto pour son aide directe et indirecte au niveau des sources et Denis Delavois pour l’autorisation d’utiliser un tableau de son blog.

  • Sources :

Bulletin des lois de la République française, Tome 6, n°135, Paris, Imprimerie nationale, 1914. page 2274. Accès direct au texte de la loi sur Gallica.

JMO du 205e régiment d’infanterie, SHD 26 N 724/1, vue 54. Accès direct au JMO.

L’article sur les pertes du 149e RI en Belgique fin 1914 d’où est extrait ce graphique est à lire sur le blog du 149e RI de Denis Delavois. Accès direct à l’article.

Ministère de la guerre, état-major de l’armée, service historique, Les Armées françaises dans la Grande Guerre, Tome II, annexes 2, Paris, Imprimerie nationale, 1931, page 231. Accès direct à la page sur Gallica.


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