Durant tout le conflit, de nombreux soldats ont fait l’objet de blessures, de maladies, de problèmes de santé divers qui ont provoqué une évacuation vers l’arrière. C’est l’occasion pour certains d’écrire à leurs proches, au calme. Kleber Jambrun est un de ceux-là.
- Felix Kleber Jambrun
Le 15 mai 1896, à Sainte-Florine, en Haute-Loire, naît un enfant masculin. Le père Danis Jambrun est mineur. Il travaille dans l’une des mines de la commune qui a porté le nom de Florine-le-Charbon lors de la Révolution. La mère, Anne Bruhat, est sans profession.
Lors de la rédaction de l’acte de naissance, l’enfant reçoit les prénoms de Felix Kleber. Il est le cinquième et dernier enfant du couple.
Lorsque la guerre se déclenche, le jeune Kleber réside toujours à Sainte-Florine où il exerce la profession de camionneur. Appelé par anticipation, le soldat Jambrun arrive sous les drapeaux en avril 1915 au 96e Régiment d’Infanterie.
Parti aux armées en décembre de cette même année, il rejoint le 81e Régiment d’Infanterie, probablement dans un 9e bataillon pour parfaire son instruction à proximité du front avant d’être envoyé en renfort au 164e RI le 18 juin 1916.
Le 21 juillet 1916, il est blessé à la Maisonnette, à la pointe extrême de l’avance des troupes françaises dans la Somme. Le journal de Marche du régiment indique à cette date une forte détonation due à l’explosion d’un dépôt de munitions. Le bilan humain de la journée est lourd : 2 tués, 18 évacués, dont le 2e classe Jambrun.
Blessé à la cuisse et au mollet droit, Jambrun est envoyé à Thiers pour y être soigné. Il y retrouve les camarades avec qui il pose sur le cliché.
En avril 1917, la commission de réforme le classe dans les services auxiliaires. Il est affecté au 4e Escadron du Train en juin 1917. La commission de réforme d’Orléans le déclare définitivement inapte au « service armé » en décembre 1917 et le maintient au « service auxiliaire ». Il passe au 5e ETEM en mars 1918, puis au 13e ETEM en octobre 1918, enfin au 19e ETEM en janvier 1919 sans doute comme conducteur d’auto puisqu’il possède son permis.
Démobilisé en avril 1919, le soldat Jambrun rentre à Sainte-Florine, à 22 ans, après 4 ans de conflit.
Il n’en a toutefois pas terminé avec la vie militaire. Sa blessure de guerre le laisse aux escadrons du train et plus spécialement, grâce à son permis de conduire, dans les services automobiles. Il obtient en 1921 une pension de 240 francs.
A propos de la valeur des pensions après-guerre Cette pension est bien peu en fait. Il s’agit en réalité d’une monnaie de singe. L’État, ruiné par la guerre, n’a plus les moyens de financer sa monnaie. L’inflation est à 100%, les espèces sont thésaurisées et ne circulent plus. La frappe des monnaies est donc confiée aux Chambres de Commerce, et une multitude de monnaies de nécessité métalliques, ou même en carton voit le jour. La valeur du franc s’effondre jusqu’à la fin de la décennie. En 1926, le kilogramme de pain coûte 1,56 franc. En 1928, le franc est dévalué de 80%. |
Le 19e ETEM faisant partie du Gouvernement militaire de Paris, indique que même s’il se retire en Haute-Loire, Kleber Jambrun rejoint rapidement la capitale. Il s’y marie effectivement le 18 octobre 1919, à Pointot Marie, avec qui il aura une fille : Yvonne.
Vient l’année 1931 où Jambrun est classé sans affectation. En 1939, avec son épouse ils rachètent un magasin de fruits et produits divers, situé au 43 rue des Martyrs à Paris, dans le 9e arrondissement. C’est la période du ravitaillement aux Halles et chez les grossistes.
Rattrapé une nouvelle fois par la guerre, Jambrun est rappelé à l’activité le 4 mars1940. Âgé de 44 ans, il est affecté au dépôt du 131e Infanterie à Saint-Étienne, puis à la base aérienne de Cazaux, avant d’être démobilisé le 14 juillet 1940. Après un exode forcé durant l’occupation allemande sur les routes de France, il reprend en main son magasin à la Libération et le garde de nombreuses années.
La médaille militaire lui est accordée en 1964, à l’âge de 70 ans.
- Carte aux cousins
« Thiers le 29 Décembre 1916
Je vous envois se souvenir malgré toutes mes blessures je reste se que j’étais au par avent toujours joyeux toujours content votre cousin qui ne vous oublie pas Jambrun.
En l’honneur de la nouvelle année qui va commensser je viens vous affrir mes veux de bonheur et de bonne santée pour l’année 1917. Je souhaite aussi ardament que la guerre finisse bien vitte pour que touts les poillus reviennent parmi leurs familles en apportent la certitude de la victoire qui nous métra à l’abri d’une nouvelle guerre. Bon baisers à tous. Jambrun Kleber
M.Monsieur Souneguat Faye
A Ste Florine
Haute Loire »
Antoine Sounéguat, écrit aussi Sounéga ou Souméga, épouse Jeanne Faye à Saint-Florine, le 18 juin 1905. L’époux est le fils d’Alexis et de Bruhat Marie. Antoine et Kleber sont donc cousins par leurs mères et ont 15 ans de différence d’âge.
Né en 1881, Antoine Sounéguat est en théorie mobilisé et ne devrait pas se trouver avec son épouse à Sainte-Florine. Membre de la classe 1901, le jeune Souneguat est, à partir de 1905 employé comme manœuvre aux Chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée.
Au déclenchement de la guerre, il conserve son poste et le luxe qui va avec, à savoir de pouvoir rester chez lui, bien loin des préoccupations du front.
- Soldats et jambes de bois
On est loin, à la vue de ces 17 hommes hétéroclites, de la rigueur réglementaire de l’uniforme.
La tenue de ces hommes à l’arrière est disparate, sans doute de la récupération des effets dans les stocks des dépôts voire d’anciens blessés.
– Képi bleu horizon mle 1914 – Capote modèle 1877 gris de fer bleuté au collet rabattu – Bandes molletières | – Képi d’achat personnel – Capote modèle 1915 bleu horizon – Bandes molletières | – Képi modèle 1914 – Capote 1914, 2ème type, col rabattu – Culotte en velours côtelé – Bandes molletières |
– Tarte des chasseurs alpins – Vareuse Dolman modèle 1891 | – Capote 1877, avec le n° 140 aux pattes de collet – Grade aux manches de sous-lieutenant – Bottes | En haut : – Veste ras-de-cul – Pantalon toile En bas : – Képi 1914, 2ème type – Pattes de collet noires – Culotte de velours – Bandes molletières gris de fer bleuté |
Veste de bourgeron modèle cavalerie. | Civil en espadrilles muni de son balai et de son tablier. |
Le port au bras droit d’un chevron de blessure est mis en évidence par certains hommes de différentes façons :
En brassard | A la craie | Cousu |
L’homme au centre est d’ailleurs un sacré briscard dans tous les sens du terme car en plus de son chevron de blessure à droite, il porte deux brisques d’ancienneté sur sa manche gauche.
Deux hommes arborent des décorations. Le premier au centre porte fièrement une Croix de guerre dont l’étoile brillante doit indiquer une citation à l’ordre de la division (argent) ou du corps d’armée (vermeil).
Le second s’est vu décerner une Croix de guerre avec palme, ainsi que la Médaille militaire, reconnaissant ainsi son courage au feu.
Nombre de ces hommes ont été touchés aux jambes, ou souffrent de problèmes de mobilité à en juger par les trois paires de béquilles au sol ainsi que les cannes sur lesquels s’appuient certains.
Le lieu reste à identifier. Thiers dispose de deux hôpitaux recevant les soldats blessés. Le premier se situe à l’hôpital civil, le second à l’école supérieure de jeunes filles. L’architecture de l’arrière plan ne permet pas d’identifier précisément dans lequel des deux lieux le cliché a pu être pris.
Peut-être est-ce devant une annexe comme en témoigne la présence d’une boîte aux lettres :
- Où est Kleber ?
Jambrun fait partie du groupe mais lequel est-ce ? Il appartient au 164e RI lors de sa blessure, mais aucun uniforme ne laisse apparaître ce numéro. Seule certitude, il est âgé de 20 ans lors de la prise de vue, ce qui n’indique pas exactement qui il est, mais plutôt qui il n’est pas…
Contacté, un descendant que je remercie, m’a fait parvenir cette photo de Kleber Jambrun prise bien plus tard.
Malheureusement la différence d’âge ne permet pas d’avancer un visage du groupe avec certitude. Mais peut-être qu’un œil plus physionomiste y arriverait ?
- En guise de conclusion
Né le 8 octobre 1896, avec un prénom prédestiné de général révolutionnaire, Kleber Jambrun a traversé les deux guerres mondiales. Il nous laisse avec cette carte un témoignage d’un jeune homme de 20 ans et de ses camarades, absorbés dans le conflit.
- Sources
– Photographies : collections privées
Archives départementales de Haute-Loire (43) : https://archives43.fr/
-6 E 208/14 : Acte naissance de Felix Kleber JAMBRUN, vue 60.
– 1 R 1040 : Fiche matricule de Felix Kleber JAMBRUN, classe 1916, matricule 2089 au bureau de recrutement d’Aurillac, vue 184 et suivantes.
Autres provenances
– Système monétaire d’entre deux guerre : Le Franc IX, Editions les Chevaux-légers, 2012.
– Carte géoportail.com
– Données wikipedia pour les décorations, les brisques et la ligne PLM.
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Mise en ligne de la page : 5 février 2023. Dernière mise à jour : 9 février 2023.