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Georges Courteline, les gaîtés de l’escadron

Courteline Georges, Le train de 8h47, précédé de les gaîtés de l’escadron. Paris, éditions Payot & Rivages, 2015, 398 pages.

Partie 1 : « Les gaîtés de l’escadron »

Gallica a mis à disposition des lecteurs plusieurs versions de ces ouvrages, téléchargeables gratuitement au format pdf, alors pourquoi cette édition papier récente ? Faut-il y voir un lien direct avec le Centenaire ? Je ne le crois pas car ces ouvrages ne portent pas à proprement parler sur cette période. Je n’ai donc pas d’explication mais je félicite l’éditeur pour ce choix, d’autant plus qu’il est accompagné d’une longue préface d’Odile Roynette. Son analyse est un vrai plus qui enrichit cette réédition par rapport aux versions disponibles dans Gallica. Cette préface est composée d’abord d’une biographie de l’auteur, indispensable pour comprendre ce regard si dur de l’auteur pour l’armée. Elle analyse aussi les écrits de Courteline sous l’angle du pouvoir de la satire. Odile Roynette étant une spécialiste du monde de la caserne de cette époque, le choix de la préfacière est on ne peut plus pertinent.

  • Une expérience personnelle comme source

Ce livre construit sous la forme de nouvelles ne forme pas un récit. On y retrouve quelques personnages et quelques situations qui ont permis leur publication sous la forme d’ouvrages thématiques (Le capitaine Marjavel, Le père Machin-Chouette, Les tire-au-cul, Lidoire). D’ailleurs « Le 81e chasseurs » n’est pas un ouvrage différent de Courteline mais un regroupement d’une dizaine de nouvelles provenant des Gaîtés de l’escadron1.

Sans aller aussi loin qu’un article de Paris soir du 28 mai 19322 expliquant « C’est cette petite ville qu’il nous dépeint dans Les Gaîtés de l’Escadron et il déclara plus tard qu’il n’imagina rien en nous contant les multiples aventures du capitaine Hurluret, de l’adjudant Flick, du sous-lieutenant Mousseret, du maréchal des logis Dupont, de la cantinière Mme Bijou, et autres héros de la joyeuse « chronique ». », l’expérience de l’auteur transparaît dans ses mots.

Ces anecdotes, cette satire repose évidemment sur la propre expérience de Georges Moinaux, classe 1878. Dans la biographie de Courteline réalisée par Emmanuel Haymann3 et largement complétée par Odile Roynette dans la présente édition, on comprend que Moinaux/Courteline a observé, beaucoup, au cours de ses quelques mois d’incorporation. La chambrée, le capitaine alcoolique, les décisions ubuesques, furent sans l’ombre d’un doute son ressenti quotidien, lui qui fit tout pour fuir la vie du 13e régiment de chasseurs à cheval de Bar-le-Duc. Il y parvint en devenant un habitué de l’infirmerie jusqu’à sa réforme. Il resta donc sept mois à la caserne, découvrant ce monde dur pour les bleus, où des personnes peu éduquées donnaient des ordres à des personnes ayant fait des études. C’est aussi cela, Courteline, le mélange de mondes au détriment du sien. En tout cas, les relations dures entre humains, l’infirmerie, les corvées, c’est ce qui le marqua et c’est ce qui rythme ses nouvelles publiées moins de 10 ans après son expérience sous l’uniforme. Mais avec tout le talent de sa plume, ses écrits ont marqué leur époque et mérite toujours notre attention.

  • Les principaux thèmes

Voici un court résumé de chaque nouvelle. Le but est aussi de pointer du doigt ce qui peut être évocateur pour qui s’intéresse à la vie de caserne avant 1914.

– La soupe : présente la chambrée, au cours d’une simple discussion le soir, puis le matin avant une inspection et au début de ladite inspection. La Guillaumette se plaint de la soupe, soutenu par ses camarades qui se dégonflent devant le colonel. La Guillaumette écope de 15 jours de prison. Le texte montre la peur des officiers et la naïveté du personnage.

– Un mal de gorge : Lapérine ne se lève pas et échappe ainsi aux corvées, au pansage et aux manœuvres. Il est « reconnu » et exempté de service deux jours. Je ne dévoile pas la fin de cette histoire qui montre le fonctionnement de la visite.

– Je m’en fous : Dans ce chapitre, on assiste à la toilette du matin sans serviette pour s’essuyer, les corvées dans la chambrée, l’opposition entre « la classe » et « les bleus » pour une corvée ordonnée par le brigadier. Le récit sert à dénoncer les ordres contradictoires qui conduisent non à une remise en cause du commandement mais à la punition invariable du 2e classe.

– 26 : discussion autour d’un numéro de rue.

– Lidoire : Retour d’un soldat ivre à la chambrée après avoir fait le mur qui permet d’illustrer la solidarité dans la chambrée.

– Exempt de cravate : Un homme veut sortir et passe devant le maréchal des logis de garde. La construction du récit et sa finalité sont les mêmes que dans « Je m’en fous ».

– La pipe : Récit autour du vol d’une pipe et de l’impuissance d’un soldat face à un simple brigadier.

– La comète : C’est l’occasion de découvrir la lecture de la décision, élément du quotidien de la caserne.

– Potiron : Description de l’arrivée d’un réserviste et de ses aventures rocambolesques.

– Au lit, Tix : Nouvelle autour du personnage de Tix, hospitalisé et qui joue aux cartes mais n’obéit pas et de la sœur Saint-Apollinaire au fort caractère.

– L’arrivée des bleus : le premier jour des bleus, leur équipement, l’appel et des situations toujours cocasses agrémentent cette nouvelle.

– La bourse : Une astuce d’un soldat, en retard, pour rentrer sans être puni.

– Au chose : Portrait de l’adjudant Flick qui envoie en salle de police en disant « Au chose… ». La nouvelle est l’occasion de suivre l’adjudant dans les appels, les contre-appels. On suit aussi le cas de deux récalcitrants, Fricot et Laplotte ainsi que toutes les rancœurs qui peuvent se développer.

– Un beau jour : Un homme est heureux : il a rendez-vous avec une femme. La journée passe trop lentement, il s’affaire à tout, se prépare. Mais un maréchal des logis lui refuse sa sortie.

– Jusqu’à gauche : Dans une nouvelle qui nous met au cœur de l’écurie, un capitaine saoul punit un homme très durement. Il oublie la punition puis sanctionne le maréchal des logis pour avoir punit si sévèrement cet homme.

– Frédéric : Il s’agit de la dénonciation de la toute puissance d’un soldat adopté par la famille du major et qui devient intouchable.

– Les sans-chenil : Des hommes viennent coucher sous la paille de l’écurie, au chaud. Pris, ils sont punis.

– Inspection trimestrielle : Le général inspecte de manière inopinée la caserne. C’est l’occasion pour l’auteur de dénoncer les vexations possibles à tous les niveaux, de dresser le portrait de différents types d’officiers. La visite se passe très bien jusqu’à la prison. Le major ne réussit pas à obtenir une nomination au grade supérieur.

– Les têtes de bois : Texte humoristique autour de la tête introuvable d’un soldat mort à l’hôpital et autopsié.

– Nouveau malade : Un homme est puni pour avoir essayé de sortir de la caserne alors qu’il a eu sa permission refusée. Mais il ne veut pas se rendre à la salle de police. Pour s’en sortir, il affirme être malade. Il se rend à l’infirmerie et commence à avoir des symptômes de la dysenterie. Il se retrouve à l’hôpital. N’étant pas malade, il tente de le devenir réellement. Il est aidé par un vaurien qui lui conseille du bismuth. Il est découvert au bout de trois semaines.

– Un début : Nouvelle où Lagrappe et Faïs volent un fromage à la cantine et le cachent dans un lit. Les deux lascars sont en salle de police pour d’autres faits. En parallèle, un engagé volontaire arrive et va de problème en problème à cause de sa lettre de recommandation. La lecture est drôle pour le lecteur, moins pour l’intéressé. On lui donne le lit de Faës où est caché le fromage ! Il se fait évidemment prendre par le capitaine alcoolisé et se retrouve au cœur d’une séance de bizutage.

– Coupe nouvelle : Un cavalier n’a plus que 18 jours à faire, mettant fin à ses cinq ans de service. Un nouveau colonel arrive et change certaines règles. L’homme est mécontent d’être si proche de la quille mais de garde qui plus est avec l’interdiction du plumet et du port du sabre au crochet pour les sorties. La scène se passe au poste de garde, à l’entrée de la caserne. Il n’obéit pas aux nouvelles règles, croise le colonel à peine sorti et finit en salle de police. Courteline y décrit l’ennui, puis la récupération de ses effets et son départ.

– Embarras gastriques : Profitant d’un décès récent, un homme se retrouve à l’hôpital. Il décide de sortir mais se fait attraper. C’est l’occasion de descriptions des techniques pour sortir.

– Le voyou : nouvelle très courte autour d’un soldat chargé d’aller en chercher un autre pour voir un civil à la grille.

– A l’infirmerie : Plaisanterie sur la garde de nuit.

– Les bleus arrivent : Mise en avant de l’inorganisation de l’accueil lié à un officier alcoolique, résolue par la mise en cellule de soldats.

  • Des détails évocateurs

Courteline nous plonge au cœur de la vie de la caserne dans ce qu’elle a de plus classique, même traitée par l’absurde. On y perçoit les fonctionnements, du lever au coucher. De menus détails qui nous échappent souvent sont évoqués explicitement ici. Deux exemples illustrent cette immersion : un soldat veut voir malgré l’extinction des feux page 184 :

« il se prépara à se coucher. Il colla donc, d’une goutte de suif, une chandelle au bout de sa patience dont il introduisit l’autre extrémité sous sa pile des vêtements que contenait sa charge, et ayant enlevé ses bottes à la lueur de ce chandelier improvisé. »

Dans une autre nouvelle, il décrit un bizutage dans la chambrée d’un engagé volontaire tout juste arrivé et non équipé, pages 218-219.

« – En couverture ! Hurla toute la chambre. Comptez-vous quatre !
Cela ne traîna pas ; avant seulement qu’il en eût le temps de s’y reconnaître et de comprendre au juste ce dont il s’agissait. Adalbert de la Valmonbrée était précipité, la tête la première, dans une couverture tendue et dont quatre gaillards solides tenaient les coins.
– Marche ! Commanda Marjalet.
Et aussitôt la danse commença, rythmée des « Ah ! his ! »réguliers des quatre hommes, au milieu des acclamations bruyantes de la chambrée. Les dents serrées, en proie à une rage mélangée de terreur, le patient bondissait comme une balle élastique, s’envolait, les membres écartés, ne retombant que pour repartir de plus belle, s’efforçant, de ses doigts en crocs, de se cramponner à la couverture, donnant de la tête et du dos dans les poutres blanches du plafond. Les balanceurs s’excitaient au jeu, redoublant d’efforts et de vigueur, suivant d’un œil ravi cette voltige fantastique.
Enfin le supplice cessa. Marjalet étendit la main et commanda :
– Arrêtez ! En voilà assez pour cette fois. »

Ce dessin extrait d’une version illustrée4 met en image la scène citée ci-dessus mais aussi la différence entre la nouvelle et la pièce de théâtre qui en a été tirée. Dans la pièce, le soldat est pris ainsi à la cantine, non dans la chambrée. Autre détail ajouté ici, le fait qu’un soldat le menace de l’arroser quand la version livre se contente de le faire voler et se cogner contre les poutres du plafond.

  • En guise de conclusion

Derrière la caricature, des dialogues ciselés et des situations cocasses, Courteline nous donne une vision de la vie à la caserne. On est souvent dans la chambrée, mais plus encore à l’infirmerie et dans la cellule. Les rapports humains y sont peu développés, à part pour mettre en avant les camarades à l’esprit peu militaire et les sous-officiers et officiers allant du méchant à l’incompétent. S’il force le trait, s’il réalise une critique féroce d’un système qui fonctionne de travers et punit plutôt que de se corriger, où l’esprit s’efface devant la règle ou la brute, au moins permet-il de s’immiscer dans le monde particulier de la caserne des premières décennies de la IIIe République.

Courteline n’en resta pas là et poursuivit ses récits sur cette caserne et ses soldats avec « Le train de 8h47 » qui fera l’objet d’un autre développement. Il sera moins long que celui-ci, se passant surtout pendant la permission de deux cavaliers.

En tout cas, c’est cette version de l’ouvrage que je vous conseille, car elle offre le texte des deux grands écrits militaires de Courteline et une introduction très utile et réussie d’Odile Roynette. Vu la grande diffusion de ces deux titres, il serait dommage de passer par une réédition sous forme d’un fac-similé d’anciennes versions proposée sur un grand site commercial, plus cher que les versions originales d’occasion que l’on trouve partout sur le net, voire dans Gallica gratuitement.

Partie 2 : Le train de 8h47 (à venir en février 2025)

  • Pour aller plus loin :

Le texte adapté par Édouard Norès pour le théâtre :
Georges Courteline. Théâtre. III : Gros chagrins, Théodore cherche des allumettes, Les Gaîtés de l’Escadron, L’Article 330, Les Balances. Flammarion, Paris 1929.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5673047q/f58.item

Analyse de l’armée dans Courteline : https://libretheatre.fr/les-gaites-de-lescadron-de-georges-courteline/

« Un capitaine Hurluret au 74e RI ? » dans le Canard du Boyau (nouvelle série) n°9, par Stéphan Agosto. http://74eri.canalblog.com/2024/08/le-canard-du-boyau-nouvelle-serie-n-9.html


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  1. Courteline Georges, Le 51e chasseurs, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1887. 256 pages.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62081861 ↩︎
  2. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76382389/f9.item ↩︎
  3. HAYMANN Emmanuel, Courteline, Paris, éditions Flammation, 1990, pp. 48 à 53. ↩︎
  4. Georges Courteline, Les Gaietés de l’escadron, le commissaire est bon enfant, monsieur Badin, Théodore cherche allumettes, édition illustrée, Paris, Arthème Fayard et cie éditeurs, 1913, p. 41.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55680982 ↩︎

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