DORGELÈS Roland, Je t’écris de la tranchée, Paris, Albin Michel, 2003, 344 pages.
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Si j’écris ce compte-rendu de lecture, c’est avec le seul but de pousser les lecteurs à aller vers ce livre. Je n’en ferai pas l’analyse détaillée, ni de commentaires poussés car tout est déjà dans le livre ! Plus qu’« Une bouleversante correspondance inédite » mise en avant par l’éditeur, c’est le travail autour des écrits et une correspondance d’un lettré qui font l’intérêt de l’ouvrage.
En effet, la correspondance du célèbre écrivain est complétée par une préface de Micheline Dupray. Elle y développe longuement l’histoire d’amour de Dorgelès avec Mado et les circonstances particulières qui ont permis à cette correspondance d’être conservée. C’est également la première présentation du parcours militaire de l’engagé volontaire Dorgelès. Elle est complétée par une riche introduction proposée par Frédéric Rousseau. Il réalise un guide très complet sur ce qu’apporte cette correspondance, à commencer par les preuves montrant que ce que Dorgelès écrit dans les Croix de bois est fortement inspiré de son expérience.
Norton-Cru avait beaucoup critiqué négativement l’œuvre. Frédéric Rousseau dresse le parallèle entre dix lettres et dix anecdotes reprises dans les Croix de bois, dont le fameux passage de la mine que je me permets de citer pour illustrer le soin et la pertinence de la comparaison (pages 36-64)..
« Lettre du 28 avril 1915 : « Bonjour bibi […] Nous sommes ici, dans la forêt, 2 sections de mitrailleuses laissées « en carafe » avec un autre régiment pour garder un secteur difficile. Les « boches » se gardent d’ailleurs d’y montrer le bout du nez. Sauf les grenades et les bombes tout va bien. Pas d’obus. Et on écoute si la mine que ces pourceaux doivent creuser n’avance pas trop vite. Ce serait une méchante cabriole. »
Page 142 : « Ils parlaient tous ensemble, à présent ; ils mentaient tous, pour se donner du cœur, espérer quand même. Ce fut une discussion bruyante d’un moment, où chacun avait son histoire de mine à raconter, et, quand ils écoutèrent de nouveau, il leur parut que cela tapait déjà moins. […] Bréval, absorbé, écrivait sur ses genoux, son sac pour pupitre. – Tu le fais à l’émotion à ta bourgeoise, blague Lemoine. Tu lui racontes qu’on va sauter ? »
Il s’intéresse évidemment aux Croix de bois dans cette correspondance, mais aussi aux non-dits, à l’absence du père, à l’expérience combattante, le tout avec des exemples et des citations.
Ces éléments introductifs représentent 60 pages à lire soit avant la correspondance, soit après l’avoir lue en se laissant le plaisir de découvrir cette histoire.
C’est aussi une grille de lecture concernant la relation entre Dorgelès et sa compagne. Cette contextualisation est indispensable pour comprendre la détérioration croissante de la relation.
Cette correspondance est aussi analysée comme le témoignage de son expérience combattante, de ses non-dits à sa mère, de l’évolution de sa vision du conflit et évidemment de la genèse de son ouvrage qui transparaît à plusieurs occasions.
- Quelques repères
30 août au 10 septembre 1914 : au dépôt du 74e RI. 8 lettres avec quelques éléments factuels sur cette courte période.
26 septembre au 31 décembre 1914 : 80 pages
1er janvier 1915 à septembre 1915 : 144 pages.
La densité des courriers est très nette pour cette première année de guerre de Dorgelès, particulièrement de septembre 1914 à juin 1915. Les courriers s’espacent ensuite. Pour 1916-1917, on ne compte que 36 pages principalement consacrées à sa rupture progressive avec Mado.
L’ensemble est complété par un cahier central de 8 pages de photographies et de dessins, beaucoup avec Dorgelès comme sujet, mais aussi de sa mère, de Mado, de quelques camarades.
- En guise de conclusion
Ce sont donc deux livres qui sont proposés au lecteur : en premier, la correspondance malheureuse d’un homme amoureux, engagé volontaire, perdant peu à peu sa compagne. Cette correspondance porte essentiellement sur sa première année sous l’uniforme, depuis le dépôt du 74e RI de Rouen jusqu’à ce qu’il quitte le 39e RI et le front pour une affectation à l’arrière.
En second, on a un travail de synthèse des apports de la correspondance et de contextualisation très riche. Les analyses proposées sont plus que les simples résumés ou paraphrases que l’on trouve parfois dans les recueils de correspondances. Ce sont de vrais travaux très riches, thématiques et éclairant la lecture.
Les quelques notes de bas de page, surtout au début de la correspondance, facilitent la lecture (éléments biographiques sur les personnes dont parle Dorgelès, explications d’allusions et de références).
Au final, une publication de correspondance réussie qui complète la compréhension d’une œuvre majeure sur le conflit.
- Pour en savoir plus :
Analyse chapitre par chapitre des Croix de bois.