CURE Gérard, Notes de guerre, les carnets d’un musicien-brancardier en 1914-1918. Éditions Geste, La Crèche, 2008.
Ce livre de 154 pages a une structure originale qui en fait une lecture intéressante, particulièrement pour une personne novice sur la Première Guerre mondiale. En effet, chaque chapitre est découpé en trois parties : une première donnant les grandes événements du conflit pendant la période couverte par le chapitre, une deuxième permettant de suivre le 90e régiment d’infanterie, finalement la troisième reprenant les carnets de Maurice Sarault.
Ainsi, ce témoignage est systématiquement replacé dans un contexte général et dans celui du régiment de l’homme qui a écrit. Ce dernier point n’est pas le moins intéressant car il permet de se faire une bonne idée du parcours d’un régiment tout au long du conflit.
Pour qui a déjà lu plusieurs témoignages ou qui a une culture historique sur le sujet, l’ouvrage n’est pas déconseillé, bien au contraire. Les historiques du conflit et du 90e RI ne représentent pas les 2/3 de l’ouvrage. Il est possible de ne pas en tenir compte pour se concentrer sur un témoignage original d’un homme au parcours particulier.
- Un musicien-brancardier
Plusieurs points sont à signaler pour ces carnets : ils ont été rédigés par un soldat qui est resté au sein du même régiment, avec les mêmes fonctions d’août 1914 à septembre 1918 (date à laquelle il commence un stage de médecin auxiliaire). Il nous donne donc un aperçu complet du conflit dans un même régiment, ce qui n’est pas si courant.
Le début de son récit (août à décembre 1914) est la partie la plus riche, la plus développée. On perçoit clairement la guerre de mouvement, la retraite, l’avance suite à la bataille de la Marne puis le ralentissement et la mise ne place progressive d’une guerre de position. La suite n’en est pas moins intéressante avec la vie à l’arrière du front, l’alternance de périodes calmes et de périodes de tensions très vives qui transparaissent au travers d’allusions et du récit d’événements. La période 1915-1918 est toutefois moins développée à l’exception de certaines journées et de certains faits qui ont retenu l’attention du soldat comme l’angoisse le 26 juillet 1917 sur le chemin des Dames lors d’une attaque allemande (caverne du Dragon). A partir d’avril 1918, il insiste moins sur les événements de sa vie quotidienne et plus sur ce qu’il fait en tant que brancardier : aller chercher les blessés, faire le croque-mort (sic).
Ses préoccupations ne sont pas exactement celles d’un combattant. Son statut à part fait qu’une partie de ses notes portent sur les fonctions des musiciens-brancardiers. La musique et le transport des blessés ou des corps occupent logiquement une grande partie de ses notes. On voit aussi ses amitiés dans le groupe des brancardiers-musiciens, la solidarité du groupe, les moments de détente et parfois les inimitiés. Il mentionne les blessures, les décès, les cantonnements, les changements d’affectation de ses camarades, les nouvelles du pays, les permissions… Les anecdotes sont nombreuses sur les différents secteurs du front, ce qui fait que le lecteur n’a pas l’impression de lire une litanie de lieux où il est passé bien qu’il mentionne avec beaucoup de régularité les lieux de cantonnement.
Maurice Surault est très précis sur ses conditions de vie, même si avec le temps, il perd cette précision. Ses pages sur 1914 sont très évocatrices sur la vie pendant cette période particulière.
Une fois de plus, le texte est certes une narration mais aussi un aide-mémoire pour son auteur. Certains aspects sont totalement passés sous silence, c’est un choix : ce qu’il voit des blessés, ce qu’il ressent. Il écrit ce qu’il voit mais n’exprime pas tout. A aucun moment il n’évoque les discussions qu’il a pu avoir avec les blessés, les relations avec les officiers : il reste très descriptif. De même, l’absence de ses proches est peu évoquée, au contraire de ses rencontres avec ses amis ou des connaissances de Vouillé, ses rencontres avec des habitants où il loge. Il développe aussi beaucoup ce qui sort de son ordinaire, en particulier ce qui concerne l’artillerie souvent proche de son cantonnement (batteries de 75mm, mortier de 270mm, obus de 220 dont la trajectoire est visible à l’œil nu, canon anglais de 380…). Il fait référence à la qualité des troupes (garde prussienne, 281e RI en 1915…). Il met même la responsabilité de l’échec du 9 mai en Artois sur le compte des régiments du Midi ! Il fait allusion à son nouveau casque (le 22 septembre 1915), il évoque les revues et les défilés. Il développe les comptes-rendus des offensives. Plus amusant, il explique les surnoms qu’on lui donne, peu évoqués dans les autres témoignages.
Les notes personnelles ne sont pas absentes pour autant, mais elles sont rares comme dans cet exemple page 61 :
« Le soir, en rentrant à notre cantonnement, chez madame Daire, je me trouve en présence d’une scène douloureuse : la fille de madame Daire vient d’apprendre la mort de son mari (de la classe 1910) et éclate en sanglots. C’est là que je me rends compte de l’angoisse de ceux qui restent à l’intérieur et ont les leurs au front : des deuils, des chagrins sans nombre. Elle montre la cruauté de ces séparations dont la douleur est accrue par l’inquiétude de la pensée, travaillée par l’imagination : ignorance de la sépulture, genre de mort…
La belle Berthe tenait dans ses bras le pauvre petit, de 4 mois, de la veuve. (…) »
Peu après, toujours page 61, il évoque le 20 mai 1915, une revue du général Guignabaudet : « Il faut mettre à part ceux qui ont fait toute la campagne, ceux qui ont été blessés. On trouve environ une quinzaine de poilus par compagnie qui ont fait toute la campagne ».
Tout comme ces avis personnels particulièrement durs contre le général de division Guignabaudet les 17 et 29 juin 1915 (pages 74 et 75). Il émet également un avis personnel sur les mœurs des femmes de Saint-Sauveur.
Apparaît bien plus nettement l’action de l’artillerie qui est très présente tout au long du conflit. L’auteur se trouve souvent dans des zones bombardées à l’arrière du front ou dans les tranchées de première ligne lors du ramassage des blessés ou des corps.
- Quelques regrets
Tout d’abord, une interrogation : pourquoi le nom de l’auteur de ces carnets n’apparaît-il qu’à la page 9 ? J’ai été surpris par cette absence du nom de Maurice Surault avant. Certes, il est en 4e de couverture, mais avec une orthographe différente (Sureau au lieu de Surault !).
Ensuite, le détail du parcours aurait gagné à pouvoir être suivi par quelques cartes, les noms étant très nombreux. Pour finir, l’auteur de l’ouvrage n’indique pas clairement quelles règles il a utilisées pour publier ces carnets. Transcription fidèle au texte ? Retranscription et reformulation ? De même, les ajouts entre parenthèses (exemple, page 69 : les cagnats « abris souterrains sur le front) » sont-ils présents dans le texte original ou sont-ils des ajouts de monsieur Curé ?
- En guise de conclusion
Un très bon complément à l’historique du 90e RI, bien qu’écrit par un non-combattant, donnant une vision centrée sur son groupe, celui des musiciens-brancardiers. Témoignage qui montre une fois encore que chaque parcours fut individuel et que chacun est complémentaire pour se faire une idée toujours plus fine de ce que fut ce conflit.
- En complément :
Ce témoignage recontextualisé et intégré dans une recherche : LETERRIER Sophie-Anne, « Musiciens brancardiers en 1914-1918. Trois témoignages », Relations internationales, 2013/3 (n° 155), p. 61-74. DOI : 10.3917/ri.155.0061. URL : https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2013-3-page-61.htm