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Carnets de guerre d’un soldat passé par le RICM 1915-1918

HARAN Danièle, Les carnets de la guerre 1914-1918 écrits par Germain Torrès…, Mons-en-Laonnois, Anamorphose création graphique, 2021, 134 pages.

Depuis la fin du Centenaire, la raréfaction des publications fait que tout nouvel ouvrage attire l’attention. Il s’agit ici de carnets d’un sous-officier du RICM, qui plus est au prix de 10 euros.

Contrairement à nombre de publications qui donnent tous les éléments intéressants du livre dès l’introduction, ici le lecteur est confronté à des carnets « bruts », sans explications ou notes de bas de page. Il doit se contenter de quelques lignes en guise d’introduction et d’une page d’épilogue. Cela constitue-t-il une gêne à la lecture ? De mon point de vue, pas du tout car les quelques éléments donnés suffisent à comprendre le contexte et les mots de l’auteur sont assez riches pour qu’on comprenne qui il est dans les grandes lignes. On a donc juste la date de naissance et de décès de l’auteur, sa résidence aux « USA » (sic) et sa profession.

Si on peut regretter l’absence d’explication quant aux règles de transcription utilisées – corrections, ponctuations, ajouts ou coupures – heureusement une photographie de deux pages d’un carnet montre qu’il y a eu un réel effort pour suivre l’original. Il n’est toutefois pas possible de dire s’il y a eu des coupures ou non.

L’épilogue est plus long, une page, mais se contente juste d’évoquer le triste sort de l’auteur, ce qui met en avant la grille de lecture de sa petite-fille. La série de documents proposée en annexes est tout aussi brute que la transcription. Ainsi la copie d’une note manuscrite d’un médecin américain est tout simplement illisible et sans transcription. La série de copies de cartes IGN n’est pas très lisible et donc d’une utilité très discutable.

  • Quelques éléments sur le témoin

Germain Torrès est né en 1889 dans le Lot. Sa fiche matricule nous apprend qu’il est exempté du service ce qui explique son départ aux États-Unis sans qu’il ait à se soucier en théorie de ses obligations militaires. Il exerce la profession de pâtissier-confiseur, ce qui a une importance pour son parcours militaire de mobilisé. Il revient en France et est examiné comme tous les exemptés et réformés d’avant-guerre. Reconnu apte au service armé, il rejoint le dépôt du 24e RIC où il est affecté à la 27e compagnie. Il reste à l’instruction jusqu’en mai 1915 date de son passage au RICM.

Son carnet est laconique concernant ce passage au dépôt. Il note juste la première semaine les étapes de son incorporation, de son immatriculation à la distribution des effets et les premiers exercices. Ensuite, on passe très vite à son arrivée au front.

  • Des carnets qui en rappellent beaucoup d’autres

Le fait que ces carnets rappellent beaucoup d’autres témoignages n’est pas une critique, juste un constat qui n’est en rien un message pour dire de ne pas se procurer ces écrits.

L’auteur élude ses mois au dépôt en une page comme nombre de ses contemporains : la guerre, c’est le front, pas l’arrière. Il développe ses « premières fois », tout ce qui sort de l’ordinaire, des anecdotes mais sans que le fil soit toujours continu et surtout à mesure que le conflit passe, les périodes sans écrits sont de plus en plus nombreuses. Ce sont d’abord les périodes à l’arrière du front qui sont résumées en une phrase, comme entre le 17 juin et le 10 août 1915. Cela devient de plus en plus fréquent à mesure que la guerre s’éternise. On peut s’interroger quant aux vides entre le 15 mars et le 8 août 1916 : un carnet aurait-il été perdu ?

  • Mais des carnets marqués par des moments spécifiques

Chaque témoin écrit suivant sa grille personnelle, ses intentions, ses préoccupations. Concernant les intentions, il est difficile de le savoir. Il semble que Germain Torrès écrive pour lui-même. Il ne s’adresse à personne d’autre. Pour ses préoccupations, elles sont de plus en plus lisibles : plaire à sa Margot. Son amoureuse est au cœur de ses écrits, que ce soit pour indiquer qu’il lui a écrit, qu’il attend des réponses qui ne viennent pas assez vite à son goût. Ses médailles, elles sont là pour impressionner son beau-père. Il parle peu à peu de mariage, il s’efforce de construire un avenir malgré tout, malgré le risque toujours présent de la mort. Il le verbalise d’ailleurs à plusieurs occasions.

Son parcours est atypique. Cela s’explique d’abord par son métier civil : arrivé en mai 1915, il est employé comme cuisinier du colonel dès le mois de juin ! Le cuisinier en charge part en permission, c’est lui qui le remplace. Ce cuisinier en charge est blessé et Germain peut reprendre définitivement la charge mais il préfère conserver sa spécialité militaire, téléphoniste.

Ses carnets n’ont pas de prétentions littéraires mais il aime utiliser quelques figures de style de temps en temps. Le 30 novembre 1915, évoquant le travail sur les lignes coupées il note « il a fallu avec le sergent raccommoder ces brèches au son de ces instruments en acier projetant des notes en cuivre pesant jusqu’à 100 et 110 kilos », page 37. Il évoque une « pluie de morts » page 46.

Ce qui est le plus sidérant dans ces écrits, c’est ce qu’il résume avec ces mots le 27 septembre 1915, page 30 : « Calme, quelques malchanceux trinquent. » Formulation laconique et pourtant qui est présente tout au long des notes : il a échappé un grand nombre de fois à la mort, par un hasard qu’il explique par la chance. Il décrit chacune de ces expériences.

14 septembre 1915 : obus qui explose devant la porte puis sur la maison qu’il occupe.

21 septembre 1915 : obus qui le propulse à plusieurs mètres.

7 novembre 1915 : éclat d’obus qui se fiche à 30 cm de sa tête.

14 décembre 1915 : un obus détruit l’entrée de son abri.

11 janvier 1916 : une explosion d’obus le projette à terre.

2 mars 1916 : un éclat d’obus de DCA tombe juste à côté de lui pendant qu’il regarde des combats aériens.

13 août 1916 : Un obus tombe sur l’arbre sous lequel il fixe un câble.

24 octobre 1916 : Verdun. « J’ai essuyé quelques bonnes rafales et bien fournies mais j’y ai échappé ».

Si lui en réchappe, il ne manque pas de noter les camarades et les hommes de son groupe qui sont blessés ou tués. C’est le cas à Verdun en août 1916. Surtout, il finit par être blessé le 29 octobre 1916 par un éclat d’obus qui le frappe à plat au bras. La série reprend à son retour de convalescence :

18 juin 1917 : le déplacement d’air d’un obus le projette à plusieurs mètres au point que ses hommes le croient mort.

23 octobre 1917 : explosion d’un obus devant lui. Il est aveugle et sourd temporairement.

Nuit du 5 au 6 avril 1918 : un obus tombe sur le grenier dans lequel il dort.

Nuit du 9 au 10 août 1918 : un obus traverse la maison où il dort et explose dehors.

Il ne cherche pas à comprendre. La chance est un thème qui revient fréquemment. Parfois, on devine dans ce qu’il écrit ce qu’il a ressenti. Par exemple, lors du passage d’une passerelle à Nieuport : « Personne n’a été blessé, mais ça a été le hasard qui l’a voulu, car nous devions tous y passer (…). Enfin nous y sommes mais tous ému (sic) et l’appétit coupé. Du coup je n’ai pas eu le courage d’écrire à la petite. Pour une fois je crois que je l’ai oubliée. »

Ses carnets sont aussi marqués par un caractère assez trempé : il refuse de devenir le cuisinier du colonel de manière définitive, ce qui lui vaut la colère du capitaine. Ce dernier le menace de le priver de permissions, de décorations ce à quoi il réagit en demandant son transfert dans une autre unité ! « Je suis encore patriote, mais je n’aime pas qu’on m’emmerde, ni qu’on me parle de m’en faire « roter » pour avoir refusé de faire la cuisine ».

  • Entre silences et anecdotes

« Je ne puis faire un discours de tout ce qui s’est passé, ce serait trop long, aussi je m’arrête puisque ce n’est qu’un mémorandum que je fais là. Le principal c’est qu’on les a eus ; et qu’on les aura » écrit-il en octobre 1917, page 83. Il continue de mentionner les périodes de permissions, de résumer en peu de mots de longues périodes.

Si les périodes sans information sont de plus en plus nombreuses, il développe parfois certains moments. Ainsi, il raconte un « détour » par Paris en mars 1917 à l’occasion du transport vers un stage de téléphoniste.

Il a droit à son baptême de l’air le 10 avril 1918. Peu auparavant, il explique que son frère Émile l’a rejoint au régiment. Il semble qu’il ait réussi à le faire affecter dans son équipe de téléphonistes. À plusieurs occasions, il vit des situations cocasses. Certaines sont franchement drôles comme lorsqu’il se nettoie le visage et lave sa capote dans un trou d’obus rempli d’une eau qui est en fait de l’urine. En 1918, les circonstances sont plus sordides : pris sous un bombardement sévère allemand, il se réfugie avec son frère dans un trou. En sortant, il glisse et comprend qu’il s’agit en fait des latrines allemandes et qu’il est couvert d’excréments. C’est parfois des éléments plus simples comme la mention de courriers revenus censurés en mars 1917. Il aime parler de ses décorations, de certains combats auquel il participe comme la libération du fort de Douaumont en octobre 1916.

Surtout, au milieu d’un texte de plus en plus haché, il développe beaucoup les journées des 18 et 19 juillet 1918. On revient à une guerre de mouvement où il voit ses hommes être blessés ou tués les uns après les autres. Son groupe manque d’être capturé de peu. La situation est confuse, le récit est décousu. Le 20 juillet, au moment de la relève, il est pris avec son équipe dans un bombardement par gaz. Il fait le choix de faire courir son groupe pour sortir de la nappe sans masque. « Tous nous crachons, nous bavions et dégueulions les gaz », page 97. Il vient de sceller son sort : c’est cette décision qui conduit à son décès en 1924.

Ses carnets s’achèvent brusquement le 28 août 1918. Est-ce une perte d’un dernier carnet ou simplement l’arrêt de ses écrits ? Rien ne permet de le dire

  • En guise de conclusion

Malgré le récit de moins en moins régulier et l’ensemble un peu « brut » ce témoignage vaut la dépense de 10 euros pour être découvert. Son aspect très « brut » est ici une qualité : le lecteur n’est pas parasité par les commentaires qui en apprennent plus sur celui qui a fait le travail d’édition que sur celui qui écrit. Qui plus est, son parcours est intéressant, ce soldat devenu sergent téléphoniste malgré la possibilité de s’embusquer comme cuisinier, ce soldat qui n’hésite pas à faire le coup de feu ou à se porter volontaire pour des missions très périlleuses, ce soldat que la mort a frôlé plusieurs fois et qui narre chacune de ses rencontres avec cette dernière.

Pour aller plus loin :

Contextualisation du témoignage de Germain Torrès autour de l’attaque d’octobre 1917 à la Malmaison.
Cliquez ici si le document n’apparaît pas.

Archives départementales du Lot :

1 R RM 123 : fiche matricule de Torrès Germain, classe 1909, matricule 1207 au bureau de recrutement de Cahors. Vue 347/402.

//archives.lot.fr/ark:/77978/s005b433363a0d34/5b4333655942b


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