DEVILLE Robert, Carnet de route d’un artilleur, Virton, la Marne. Paris, Librairie Chapelot, 1916. 132 pages.
Si la majorité de mes lectures est tournée vers des témoignages de fantassins, la découverte d’un texte de cavalier, d’artilleur, ou de tout autre mobilisé dans une autre arme n’est pas inintéressante pour autant.
Ce qui est surprenant dans la transcription de ces cahiers est la préface. Son auteur, Pierre Mille, dresse un portrait du mobilisé français très valorisant et évidemment pour mieux rabaisser le combattant allemand. Il faut aussi un peu de prospective concernant l’après-guerre et ce qu’il écrit en 1916 est particulièrement surprenant de clairvoyance et de justesse (pays ruinés, caractère inutile de la guerre). Sa définition du héros est aussi surprenante de modernité : il s’agit non d’acte hors du commun mais bien d’actions faites naturellement et qui, aux yeux des gens de l’arrière, sont héroïques.
Page XI, le préfacier note : « L’auteur (…), si ces prévisions se réalisent aura vu, sinon la dernière guerre, du moins la seule dont entendront parler les quatre ou cinq générations à venir (…) ». Il parle cette fois-ci de ce conflit d’une manière qui sera popularisée après-guerre par l’expression la « Der des ders ». Écrite en 1916, cette préface montre de manière précoce une opinion en train de se construire sur les conséquences de cette guerre.
La période couverte par ce carnet va de la mobilisation à la blessure très grave reçue en septembre 1914 par Robert Deville, sous-lieutenant au 17e RAC. Le tout a été rédigé à chaud, dès octobre 1914 à l’hôpital.
Le texte n’a pas la valeur littéraire, la richesse immersive des écrits de Paul Lintier. Il est au contraire très factuel, très descriptif sur les actions de ce jeune officier. Toutefois, il n’est pas du tout inintéressant, bien au contraire. Il décrit avec beaucoup de précision ses journées, ses occupations, ses trajets, ses décisions.
La lecture des témoignages nous montre toujours – logiquement – la guerre vue au travers des mots d’un individu. Je trouve qu’ici cet effet est particulièrement renforcé et donc spectaculaire. En effet, ce lieutenant ne commande pas d’hommes, il a été affecté le 7 août à l’état-major de l’artillerie divisionnaire de la 3e DI. De ce fait, il est souvent seul ou simplement avec quelques officiers. C’est un monde à part qui s’offre à nos yeux. Cet effet est renforcé par une description précise de ses propres actions, de ses observations. Il est en retrait par rapport à l’action et le plus souvent la guerre paraît être un décor théâtral plus ou moins lointain. Il décrit les tirs des batteries et non des pièces, il voit des bataillons évoluer et non des individus. La scène la plus symbolique de cette situation est celle où il observe des combats depuis le clocher d’une église.
Mais on voit aussi la guerre au travers des yeux d’un individu qui a du mal à comprendre, comme tous les autres hommes pris dans le tourbillon de cette guerre. Il obéit, n’est qu’un maillon. Il part transmettre des ordres ou des informations ; il doit observer et renseigner. Ce récit permet donc de découvrir la vie et le rôle d’un officier artilleur dans un état-major. Cette vie est parfois très éloignée de celle d’autres officiers : il dort encore régulièrement sur un matelas voire dans un lit, il se déplace le plus souvent à cheval.
Comme toujours quand il s’agit d’un témoignage, on découvre la guerre vue par un homme ayant sa propre grille de lecture, fruit de son éducation, de ses opinions, de sa culture. Un témoignage donc unique mais qui vaut aussi d’être découvert pour ce qu’il montre du fonctionnement d’un état-major en août et septembre 1914, sur le rôle de l’artillerie en général et d’un lieutenant en particulier. C’est aussi, de par son caractère très factuel, une excellente description de ce que fut la guerre de mouvements au quotidien. On y retrouve, comme toujours, mention des rumeurs, le peu d’informations qui circulent, l’attente du courrier, la fatigue (même si c’est un cheval qui s’écroule d’épuisement ici), les premières impressions sur les tirs de l’artillerie ennemie ou sur les Allemands, les prisonniers, les méfaits des troupes allemandes (mais pas des françaises), les autobus parisiens réquisitionnés… Par contre, le rôle de plus en plus important de l’aviation balbutiante est parfaitement mis en évidence dans l’ouvrage.
Une carte à la fin de l’ouvrage, particulièrement lisible et claire, permet facilement de suivre le parcours de l’auteur.
- En guise de conclusion
Un petit ouvrage qui, en 132 pages, contient un récit détaillé et vivant du parcours d’un homme. Cet auteur a fait un récit factuel de sa guerre, narrant essentiellement ses activités quotidiennes accompagnées de quelques anecdotes. De Virton et de la Marne, on peut avoir la surprise d’en découvrir bien peu proportionnellement à ce que laissait suggérer la taille de la police de ces deux noms en couverture. C’est plutôt un homme pris dans le flux puis le reflux des armées en ce début de conflit. Tout au long de l’ouvrage, on reste à hauteur de la vision d’un homme qui, au final, comme les autres, voit bien peu de ce qui se passe et n’est pas capable de donner sens aux combats auxquels il participe. On perçoit particulièrement bien ici ce que pouvait visualiser cet officier, comme la grande majorité des combattants.
- Remerciements :
Un grand merci à Denis Delavois du blog du 149e RI, sans qui je n’aurais pu réaliser cette petite fiche.