Maginot André, Carnets de patrouille, Paris, Fédération nationale André Maginot, 1999 (1ère édition : 1915).
Ces carnets ne sont pas ceux de n’importe quel soldat : André Maginot est un homme politique meusien, élu à la chambre des députés et ancien sous-secrétaire d’Etat à la Guerre. À 37 ans, il obtient une affectation au 44e RIT et quitte Paris le 1er août 1914. Son engagement est particulier puisqu’il est passé directement par le ministère de la guerre pour obtenir cette affectation, si l’on en croit ce qu’il écrit. Ainsi, il part avant la mobilisation.
Son premier chapitre relate son voyage en train. Il décrit le départ et on est loin des fanfaronnades décrites par les journalistes : pleurs des épouses, des mères, inquiétude des pères, mais aussi volonté de ne rien laisser paraître chez les hommes rappelés.
André Maginot, dont les notes ont été réunies après sa mort par sa sœur, éprouve de la fierté d’avoir fait le choix de combattre comme simple soldat de seconde classe. En témoigne un échange avec un agriculteur local où ce dernier est impressionné par cette égalité entre le député et les autres citoyens. Cet exemple montre que ces carnets sont avant tout une suite d’anecdotes plus ou moins développées. Ainsi, il évoque la garde civique de Verdun, les GVC. On suit Maginot dans Verdun. Sa position à Paris lui ouvre toutes les portes et il nous fait découvrir certains aspects de la mobilisation. Difficile d’être seconde classe quand on a été ministre ! Ce qui est intéressant aussi dans ces notes remises en forme plus tard, c’est le double langage qu’il utilise : guère optimiste sur une guerre courte en privé, mais donnant « à ces braves gens les assurances qu’ils attendent » quand on interroge l’ancien ministre dans la rue. Il monte en ligne le 11 août mais l »ennemi est encore loin : il préside une séance du Conseil général !
Le troisième chapitre s’ouvre sur les échecs français mi-août qui lui font écrire « Le Français ne connaît point de transition. S’il s’enthousiasme dès l’annonce d’un succès, il se démoralise à la seule rumeur de la possibilité d’un échec » (page 37). Mission classique pour les territoriaux, il participe à la préparation d’une position appelée « le boqueteau », « en bordure du chemin conduisant de Douaumont à Bezonvaux ». Le 22 août, il voit passer des civils qui fuient l’avancée allemande. Puis ce sont des combattants qui se replient. Le récit d’un combattant fait dire à un compagnon de Maginot « Cela recommence comme en 70 », page 43.
Dans le quatrième chapitre, Maginot raconte la constitution de la patrouille qui va le rendre célèbre comme militaire. Le texte n’est pas clair à ce sujet : s’agit-il d’une initiative de Maginot ou a-t-il été incorporé à cette expérience ? Son frère sous-entend que c’est bien lui qui en a eu l’idée ; Maginot écrit que c’est un général, mais après avoir montré l’intérêt de ses reconnaissances…. Si tel est le cas, cela montre une fois encore qu’il n’était tout de même pas un seconde classe comme les autres.
Fruit d’expériences précédentes, Maginot choisit ses hommes. Cette guerre qu’il raconte ensuite ne fut pas celle de tous les combattants mais juste celle de son groupe très particulier dans les circonstances particulières de son secteur. Même sa manière de raconter se détache des témoignages habituels de combattants. C’est une aventure où l’on risque d’être tué à n’importe quel moment et où l’on tue : pas de termes allusifs chez Maginot, quand il tire et tue, il l’écrit. Mais Maginot a sa propre vision de la guerre, son expérience n’est pas celle de tous les soldats et à aucun moment on ne devine de remords, de peur. Il donne l’image d’une personne ayant fait le sacrifice de sa personne. Maginot se met en scène dans ses écrits, il ne parle que de ce qui le met en valeur ; si la personnalité de cet homme correspond certes à cette image, il n’en demeure pas moins que ses écrits sont réalisés avec une intention, dans une logique qui n’est pas celle du seul témoignage, même si cela ne fut pas conscient.
Dans ce secteur, devant Bezonvaux, le front n’est pas fixé. Il s’agit d’une zone de contact assez vaste, où les ennemis sont présents en petit nombre, autour de Maucourt, de Mogeville ou Ornes. Des Allemands qui se tiennent à Etain, restant à distance respectable de la région fortifiée de Verdun, des Français arc-boutés autour de Verdun : c’est dans la zone inoccupée entre ces deux espaces que se déroulent les reconnaissances de Maginot.
La première reconnaissance a lieu le 26 août 1914, à quatre, en direction de Mogeville. Le récit de cette reconnaissance est très développé car il décrit chaque étape, ce qu’il ressent, la rencontre avec des hussards français à Maucourt, puis le premier cadavre à 500 mètres de Mogeville… L’ensemble de ces péripéties finit par donner corps à un récit d’aventure mais où la réalité du combattant est toujours présente. Il écrit page 61 : « Et je me rappelle, avec une ironie que l’heure présente rend douloureuse, les descriptions de champs de bataille des littérateurs et des poètes, bonnes gens qui n’y ont pas été voir , dans lesquelles la mort guerrière est représentée auréolée de beauté ! ». Bien que nous soyons devant un récit écrit a posteriori, ne développant que quelques aspects choisis par le narrateur, on est malgré tout en train de lire le texte d’un ancien combattant : on retrouve certains thèmes communs à la majorité de ces récits. Devenu caporal, Maginot nous livre le vocabulaire typique de l’époque : les « sardines » pour parler des galons du grade (page 73) ou du « congé » pour parler du service militaire (page 77).
Il ne s’agit pas d’un recueil exhaustif de toutes ses patrouilles, ni de tout son parcours militaire. Il a choisi les six plus marquantes : la première, une plus éloignée dans le secteur, celle pour faire un premier prisonnier, celle où ils faillirent être encerclés, celle de la reprise de Mogeville et bien sûr, sa dernière. Une fois encore, cette « guerre » ne fut ni celle de mouvement de la majorité des hommes d’août 1914, ni vraiment celle de rencontre de la « course à la mer » et encore moins celle de tranchées. Ce fut une guerre de patrouilles qui ne s’acheva pas avec sa blessure le 9 novembre 1914 lors d’une confrontation avec une position organisée. Des patrouilles continuent après sa blessure mais son récit se termine sur sa blessure.
Le récit de Maginot est en tout cas, à chaque fois, haletant, qu’il s’agisse d’une avance prudente pour trouver des informations, la préparation d’une embuscade, un repli sous la menace ennemie… Le livre pourrait laisser imaginer que la patrouille Maginot fut la seule. En fait, il n’en était rien, en même temps et après sa blessure, d’autres furent organisées, comme celle de son ami Léon Abrami, passé de simple soldat à sous-lieutenant en quelques mois. Ce récit est donc à mettre en parallèle avec le JMO du 44e RIT qui fait des résumés de ces opérations. Le nom du soldat puis bientôt caporal et sergent Maginot apparaît d’ailleurs les 1er septembre, 26 et 31 octobre, 2, 3, 5, 8 et 9 novembre !
- En guise de conclusion :
Un ouvrage qui se lit très rapidement, qui nous plonge au cœur de l’action. Il s’agit toutefois d’une guerre spécifique, loin de représenter ce qui se passa partout, tout le long du front. Un ouvrage écrit après-coup dont on doit s’interroger sur la part de mise en avant de l’auteur, de l’interprétation a posteriori, voire de la part de réécriture. Un ouvrage intense, qui se lit comme un récit d’aventure par certains aspects sans tomber pour autant dans les caricatures des ouvrages écrits par des personnes n’ayant pas connu le front. Un ouvrage qui nous propose une vision de la guerre, celle d’une personne publique qui avait dès la mobilisation sa vision des choses.
Cette édition est complétée par les commentaires de son frère, un dossier photographique complet, une préface du général Weygand et un hommage par Georges Pineau. Ils apportent à la fois des précisions utiles sur l’auteur, mais aussi sur le rôle politique qu’il eût.
- Pour en savoir plus :
Un conseil de lecture : avoir une carte des lieux pour mieux appréhender les déplacements des patrouilles : par exemple celle-ci disponible sur Gallica. Ou celle-ci, au format pdf, à imprimer au format A4.
Étude très complète de l’ouvrage par Frédéric Rousseau sur le site du CRID.
Article d’Eric Mansuy sur un membre de sa famille tué au cours d’une reconnaissance du 44e RIT.