COCHET François (dir), Les batailles de la Marne de l’Ourcq à Verdun (1914 et 1918), Actes du colloque Reims-Verdun du 6 et 7 mars 2004, Paris, Éditions 14-18, 2004, 328 pages.

Les actes des colloques sont parfois des mines d’articles sur des sujets pointus, peu abordés, proposés par des spécialistes. Dans le cas présent, ils sont riches à la fois quantitativement et qualitativement. François Cochet présente clairement les objectifs : une histoire militaire revisitée à la fois en élargissant le regard pour mieux comprendre la première bataille et les acteurs de la seconde notamment italiens et américains. Les combats de l’aile droite française en septembre 1914 sont donc largement mis en avant mais au-delà de l’histoire militaire, c’est aussi la gestion par le GQG allemand, le rôle de la place forte de Verdun qui sont étudiés.
Il ne s’agit pas qu’une « histoire bataille » car on y découvre des réflexions autour de la mémoire ou de la brutalisation par exemple. Certaines contributions sont des rappels ou des synthèses quand d’autres sont des études beaucoup plus longues et novatrices. Chaque intervention est suivie des sources et d’une bibliographie, voire de quelques annexes, ce qui rend l’ensemble riche et ouvert. Chaque texte n’est pas une fin, mais une invitation à lire plus encore. Seul l’avant-propos est d’un classicisme triste, ne faisant qu’une présentation datée et sans perspective des batailles, dans un style institutionnel trop souvent présent, mais nécessaire, lors des colloques. Il se termine d’ailleurs par la citation de von Kluck, passage obligé de tout récit de la bataille de la Marne semble-t-il.
Voici une courte présentation de chaque intervention. Il ne s’agit pas de critique mais des éléments qui m’ont marqué et intéressé à la lecture.
- Première partie : L’année 1914, la première Marne
– Jean-Jacques Becker, Les Français à l’entrée en guerre
Pour qui a déjà lu les écrits de Jean-Jacques Becker sur le sujet, c’est un résumé simple de la France qui entre en guerre. D’ailleurs il ne cite que ses livres en bibliographie. Il revient sur cette entrée en guerre pour laquelle la France est contrainte et la population « mentalement, nullement préparée ».
– Frédéric Guelton, La bataille de la Marne dans la guerre européenne, mise en perspective initiale.
L’auteur revient sur le jeu des alliances qui aboutit à la bataille de la Marne, résume dans les grandes lignes le rôle de chaque belligérant dans les combats d’août 1914, à l’Est comme à l’Ouest. Le propos est généraliste, à l’échelle stratégique, confrontant les plans avec les réalités humaines et politiques.
– Stéphane Tison, L’ensauvagement sur le front occidental en 1914.
Il s’agit d’une des plus longues contributions et une des plus denses. Elle répond à trois questions : qu’est-ce que l’ensauvagement ? Est-il différent des violences des précédents conflits ? Quelles sont ses caractéristiques ?
La violence gratuite, dépassant celle tolérée, est difficile à observer car tue. Seules les victimes et les témoins indirects en parlent. Les autres formes de violences font l’objet d’explications et d’illustrations sourcées. Les dépassements des règles de la guerre définis à La Haye sont nombreux : le cas des balles « dum-dum », des exécutions de soldats hors des combats, des violences envers les civils (l’utilisation des travaux de Horne et Kramer ainsi que la thèse de l’auteur portant sur la Marne et la Sarthe), ennemis comme amis, dépassement de la violence contre les soldats amis, exécutions sommaires et fusillés sont quelques exemples développés.
Si l’auteur explique page 49 qu’« Il est clair que la transgression des normes sociales et morales est une constante dans tout conflit », il précise ensuite les caractéristiques de la Première Guerre mondiale à ce niveau. Il suit l’hypothèse suivante : une culture nationale de guerre par exemple met en avant une culture mise en place avant-guerre utilisée pour justifier, expliquer des passages à l’acte. La distinction est faite entre le moment de guerre et une éventuelle culture de la haine, la dernière permettant d’expliquer la première.
Le ressort de la peur, une psychologie collective, le deuil de masse, la massification des moyens d’information, le caractère inédit des combats, la logique de la terreur soutenue par l’État sont d’autres explications abordées pour comprendre la spécificité du conflit par rapport aux précédents..
– Rémy Porte, la préparation de la bataille, entre divergences et convergences.
Derrière un titre un peu obscur, ce travail met en avant les relations entre Joffre et Gallieni lors de la bataille de la Marne. Il met en parallèle les deux carrières, les deux personnalités, les choix et avis des deux. Mais le développement n’apporte pas un éclairage nouveau sur l’opposition mise en place dès l’époque. C’est donc une bonne présentation de cette opposition.
Il évoque le problème d’une source citée par Liddel Hart qui est introuvable dans les archives consultées alors que c’est une pièce importante dans l’analyse de la relation entre les deux officiers.
– Pierre Gourmen, Joffre et les transports stratégiques de la bataille de la Marne
La contribution commence par une nouvelle biographie de Joffre. Ensuite, l’auteur présente le service militaire des chemins de fer, le plan XVII et met en évidence le rôle stratégique du train dans le repli et le transport des troupes vers l’aile gauche fin août, début septembre 1914.
On retrouve en conclusion les mots de von Kluck, mal venus car déconnectés du thème des transports. Dommage que l’exposé ne fasse pas allusion aux nombreux envois de troupes de l’arrière depuis les dépôts, pour recompléter massivement les unités éprouvées par les premiers combats, quand toutes les autres utilisations des chemins de fer ont été évoquées (blessés, repliements de dépôts du front, déplacement stratégique).
– Hans Plote, Considérations sur la mission Hentsch.
Dans le camp des vainqueurs, on cherche à établir qui doit en tirer les lauriers, dans le camp perdant qui en est le responsable. Il ne faut pas juger cette contribution par son titre qui pourrait semble très réducteur. L’auteur se focalise en fait très longuement sur le rôle et la crise du grand état-major allemand en août-septembre 1914. La mission Hentsch en est simplement la partie la plus visible et connue. L’analyse est très dense : l’auteur explique le fonctionnement général, présente les personnalités la composant et leurs intrigues avant-guerre, évoque la maladie de von Moltke. On est donc au cœur de la mécanique militaire de décision et de ses problèmes humains. Cette plongée dans le fonctionnement et les querelles au sein du GQG allemand relativise l’image de rigueur et d’efficacité qu’on peut attribuer à son armée en général. La question centrale reste le rôle de Hentsch, de sa mission et de ses conséquences. On y observe la manipulation des protagonistes pendant et surtout après la guerre pour lui faire porter la responsabilité de l’échec du plan, le tout facilité par le fait que Hentsch est le seul à être décédé pendant le conflit. On assiste à la création d’une mémoire qui rend difficile aujourd’hui la perception de la réalité. Cette contribution est la plus conséquente de ce colloque, près de 60 pages, mais elle est passionnante et très simple à lire.
– Roland Kleinhenz, La percée saxonne sur le front du centre.
Cette étude du point de vue allemand complète la précédente en quittant l’échelle du GQG pour étudier l’avance allemande à l’échelle d’une armée, la IIIe en l’occurrence.
Elle met en avant les occasions manquées, les difficultés d’approvisionnement, les manques de renforts, les erreurs même de l’état major. L’affaiblissement de son action en raison de l’aide demandée alternativement par la IIe et la IVe armée est bien montrée.
Ensuite commence l’étude quotidienne de son rôle dans la bataille de la Marne. La tentative pour percer les lignes ennemies de nuit, son épuisement de plus en plus grand, les pertes considérables en raison du feu d’artillerie sont développés. L’auteur tient compte d’un facteur rarement mis en avant dans les études de la bataille : la réalité des effectifs face à face et le poids relatif différent des pertes. Par exemple pour les combats du 8 et du 9 septembre, le bilan est très parlant : si les pertes françaises sont supérieures aux pertes allemandes, les unités françaises avaient reçu des renforts des dépôts. Ce qui fait que si les pertes françaises se montent à 15 % de leurs effectifs, les Allemands en perdent 20 % (pages 162-163). L’importance de cet aspect est assez peu pris en compte habituellement.
Au contraire, on peut reprocher parfois à l’auteur de se lancer dans la fiction. Il essaie de déduire les résultats qu’auraient pu avoir certaines actions si elles avaient pu être réalisées.
Il termine par la réussite des troupes saxonnes face au 11e CA français. L’ordre de recul arrive au moment de ce succès. L’auteur en déduit que les troupes françaises étant bousculées, une avance supplémentaire les aurait mises dans une situation catastrophique. Certes localement, mais l’auteur oublie la situation générale qui aurait probablement mis ces troupes allemandes dans une fâcheuse situation.
L’auteur ouvre sur des questionnements riches mais dont certains mériteraient de plus longs développements comme page 181 quand il note « il est sans importance, que les unités françaises disposent généralement de plus d’effectifs que les unités allemandes ». Il conclut « Concernant l’issue de la bataille de la Marne, j’aimerais en venir au point essentiel en simplifiant au maximum. Un commandement français supérieur, avec une troupe inférieure, a vaincu un commandement allemand inférieur, avec une troupe supérieure ».
On constate quelques erreurs de traduction et dans l’utilisation des abréviations ID (pour division d’infanterie allemande) et DI (pour les divisions d’infanterie françaises) qui nécessitent alors une attention plus soutenue dans la lecture.
- 2e partie : 1918, deuxième bataille de la Marne
– Michaël Bourlet, État des lieux avant la bataille.
Cette courte présentation d’histoire militaire revient sur le contexte de 1918 qui conduit aux combats de la mi-juillet sur la Marne. La bataille en elle-même n’est pas abordée mais bien ses prémices dans chaque camp. Les offensives allemandes, les réactions des alliés (unification du commandement, rôle du renseignement, préparation de l’offensive). L’utilisation de la très pratique carte de la 3e de couverture permet de bien se représenter les positions évoquées par le texte.
– Robert A. Doughty, Les Américains dans la deuxième bataille de la Marne
L’auteur réalise tout d’abord une critique des ouvrages publiés aux États-Unis sur le conflit, s’appuyant sur des témoignages parfois mensongers et sur « un usage excessif d’ouvrages publiés à Londres. Ils reflétaient donc la perspective britannique qui ne tenait pas compte de celles des autres pays comme la France », page 209. Sa démonstration est dense, longue – pas moins de sept pages – avant d’arriver au cas des combats du Bois de Belleau.
Il revient sur ce combat, central dans la mémoire américaine, de son émergence dans la presse de l’époque puis dans une littérature qui obère tout le reste au profit du seul combat des Marines. 1 000 000 de Français et 250 000 Américains ont pourtant combattu pendant cette bataille.
Il réitère sa critique avec la contre-offensive sur le front Aisne-Marne du 18 juillet 1918.
– Giorgio Rochat, Les Italiens dans la Deuxième Marne.
L’auteur ouvre son travail par une présentation du vide historiographique en raison des histoires très nationales, en France comme en Italie. Même si les participations réciproques sont symboliques, elles ont le mérite de souligner une volonté d’entraide entre alliés en 1917-1918, aux moments cruciaux de Caporetto en 1917 puis des offensives allemandes en France en 1918.
Ensuite, après un exposé très clair, l’auteur développe la participation de deux divisions italiennes à la 2e bataille de la Marne. Il détaille cette participation aux combats de juillet 1918 puis lors de l’avance jusqu’au 11 novembre. Il revient sur la difficulté de dénombrer le coût humain, minimisé par les rapports officiels italiens.
- 3e partie : Le front de Meuse en 1914
– Martin Barros, Le place de Verdun en 1914
Cette courte contribution dresse le portrait de la place de Verdun ainsi que de sa genèse. Décisions, mise en œuvre, difficultés, Kriegsspiele allemands sont abordés. Tout cela donne une très bonne présentation générale.
– Alain Bernède, Le rôle de Verdun pendant la bataille de la Marne, septembre 1914.
Placé entre l’aile marchante allemande et l’aile faisant pression, rapidement la question se pose pour le GQG français : faut-il abandonner la place de Verdun en septembre 1914 ?
L’auteur alterne entre l’échelle tactique et l’échelle stratégique, rendant la situation particulière de Verdun parfaitement claire. Le rôle des troupes de garnison, les combats au sud-ouest, la pression et les objectifs sur les Hauts de Meuse sont présentés. Les journées décisives du 9 et du 10 septembre sont expliquées et donnent un aperçu limpide de la situation à l’extrême gauche des combats de la Marne.
– Adolf Buckner, Les combats de Vassincourt, la Vaux-Marie, Révigny.
Cet exposé des combats dans ce secteur présente les opérations au niveau de la division d’infanterie le plus souvent. Il développe un peu plus le rôle de l’attaque allemande de nuit du 10 septembre évoquée dans la contribution d’Hans Plote. C’est une bonne mise en contexte du fameux combat de la Vaux-Marie dont Genevoix a laissé un témoignage célèbre.
– Hubert Heyries, Les Garibaldiens en Argonne.
Quelques affirmations surprennent dans cette contribution, en particulier l’ouverture le 21 août 1914 des engagements volontaires des Italiens en raison des échecs français. Difficile de relier cette loi avec les échecs à la frontière qui atteignent leur paroxysme avec les combats qui commencent le… 22 août. Le reste de la présentation est très clair concernant la mise en place et l’utilisation militaire et politique de ces troupes. Le « devoir de mémoire » est aussi problématique car il s’agit en fait de la mémoire des combats et leur utilisation après-guerre par les fascistes et les anti-fascistes.
- 4e partie : La Meuse 1918 et sa mémoire
– Olivier Lahaie, Les Américains dans la Marne en 1918
Il s’agit d’une courte présentation générale et simple de l’engagement des troupes américaines. Les combats pour la réduction de la poche de Saint-Mihiel par les Américains sont un peu plus développés.
– Bernard Koelsch, La politique de mémoire et les nécropoles nationales.
Ce texte revient sur le succès de l’ouverture du site « Mémoire des Hommes » en 2003. Il faut rappeler que ce colloque se tint en 2004. Cette présentation est d’abord chronologique, depuis 1873, puis statistique. Encore une fois, ce type d’article ne se comprend aujourd’hui, en 2021, alors que tout est disponible en quelques clics sur internet, que dans le contexte « d’avant ». Un tel article permettait réellement de découvrir les grandes lignes sur une thématique méconnue. Cette contribution est donc une bonne présentation de la question.
