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Charly (3) – Dans la cour de la caserne, 1905

Suite de la découverte de dessins « fresques » de l’artiste Charly1, réalisés pendant la première décennie du XXe siècle. Après l’accueil des bleus à la chambrée, voici le moment de l’exercice dans la cour de la caserne. L’occasion de voir une nouvelle fois la qualité des détails montrés qui, bien que satiriques, n’en dévoilent pas moins des moments réels de la journée des conscrits d’avant 1914.

  • Charly, un artiste franc-comtois ?

Cette question peut-être étonnante car l’artiste Charles Terrière, dit « Charly », passa pratiquement toute sa vie à Paris. Mais mon premier contact avec lui se fit par l’intermédiaire des Suppléments illustrés du Petit comtois. Très vite, le constat est fait : cette édition n’en est qu’une parmi les multiples qui publiaient ce supplément. Il était réalisé à Paris par l’équipe de L’Illustré national puis reproduit localement, à la même date par des journaux régionaux, dont le Petit comtois. Dans le montage ci-dessous, on trouve, outre le Supplément illustré du Petit comtois, L’Impartial de l’Est, le Mémorial d’Amiens et du département de la Somme, Le Journal d’Indre-et-Loire, tous issus des collections de la BNF2.

  • Un numéro spécial 100 % Charly

Le numéro 28 du dimanche 9 juillet 1905 est intégralement réalisé par Charly, textes comme illustrations. Sa thématique, comme le titre de la double page qui forme la couverture est « La vie à la caserne ». D’autres numéros seront réalisés par Charly de la même manière par la suite, mais aucun ne reprendra cette double page de couverture.

Si elle permet une image de grande taille riche en détails, elle a l’inconvénient d’avoir une marge qui empêche de recoller les deux parties de manière satisfaisante. Le rendu final n’est pas au niveau des images de Charly dans Le Rire de 1902. Le remontage a été réalisé en observant les personnages coupés. Une jambe au niveau du lavoir indique qu’un demi-personnage manque, tout comme dans les rangs des soldats du premier plan. Il reste à espérer qu’un exemplaire complet de cette image existe quelque part, dans une autre publication. Car outre la reliure, il manque d’autres parties de l’œuvre originale. Précision : les différentes publications locales reprennent toutes le découpage visible. Toutes. Heureusement, les numérisations permettent d’étudier sereinement le travail de Charly sur la cour de la caserne.

  • Une journée à la caserne vue de la cour

Tout ce qui est visible ne se passe pas au même moment. Charly a collé plusieurs saynètes dans la cour, un espace typique des casernes du début du XXe siècle.

Quelques bâtiments encadrent la cour : les locaux disciplinaires, le lavoir et le séchoir, les latrines. Le tout est ceinturé d’un mur qui fait la séparation avec les casernements. L’espace militaire occupe la quasi-totalité de l’image, le civil étant relégué à un espace fantomatique loin à l’arrière-plan : un clocher d’église et une cheminée d’usine.

L’architecture des casernements est typique des bâtiments de l’époque. On note juste derrière le mur deux bâtiments contigus. Ils ressemblent beaucoup à ceux que l’on trouvait dans les casernes d’artillerie ou de cavalerie. Même si ce sont des fantassins qui s’exercent dans le dessin, deux casernes accolées d’armes différentes ne sont pas une invention de Charly. L’exemple de la caserne du 31e RI et des quartiers du 18e Dragons à Melun l’atteste3. Mais difficile de dire si le dessinateur voulait atteindre ce niveau de subtilité ou s’il s’agit juste pour lui de montrer l’emprise du militaire dans son dessin. Cette dernière hypothèse peut d’ailleurs s’appuyer sur la taille démesurée des bâtiments à l’arrière-plan.

  • Dans la cour : l’école du soldat

Les nouvelles recrues doivent apprendre en priorité les bases : positionnement dans les rangs, marche, arme. Deux groupes illustrent le début de l’instruction des bleus. En plus de l’absence de havresac, ces deux groupes pratiquent des exercices basiques avec peu de succès a priori.

Le premier est le plus visible car au centre de l’image et en gros plan. Un sergent rengagé interpelle un caporal qui semble ne pas comprendre ce qu’il se passe. La majorité des hommes des deux rangs ont des mines dubitatives et semblent de moins en moins concentrés sur ce qu’ils font à mesure que l’on s’en éloigne, à l’exception d’un soldat de première classe qui tient la pause parfaitement avec un sourire béat. Ce dernier, reconnaissable à son galon de laine rouge en bas de sa manche, est moqué par Charly, son attitude étant en total décalage avec celle de ses camarades. Il sous-entend que le 1ère classe est un soldat aveuglément obéissant.

Cette image ouvre sur les autres saynètes plus ou moins grotesques qui se déroulent autour.

La seconde saynète dans cette thématique est à l’arrière-plan. Les soldats ont le même uniforme, ce sont d’ailleurs les seuls avec le précédent groupe, tous les autres soldats, à l’exception des officiers, sont en bourgerons et pantalon de treillis.

Un caporal s’époumone face à un rang de recrues dont la marche ne le satisfait visiblement pas. Il ne s’agit pas ici de la marche pour parcourir des kilomètres mais du simple entraînement à marcher en cadence en groupe avec le fusil à l’épaule.

  • Dans la cour : exercices physiques

Une partie de l’entraînement du soldat consiste à le préparer physiquement. Les activités sont multiples, à commencer par la marche qui n’est pas vraiment représentée ici.

Un premier groupe, à l’arrière-plan à droite, s’exerce au bâton. Ils observent le soldat, probablement un caporal, qui leur fait face et reprennent ses gestes. Ils sont séparés réglementairement les uns des autres afin de ne pas se donner des coups. Toutefois, on peut s’interroger sur la pratique. En effet, les exercices avec le bâton sont censés être réalisés comme de l’escrime. Sur l’image, cela ressemble plus à une danse, peu ordonnée.

Les exercices physiques sont visibles à l’arrière-plan à gauche de l’image. Ce sont trois activités qui sont illustrées.

A droite, on voit un homme en difficulté à la barre. Il perd son képi en s’agitant sous le regard d’autres soldats.

La saynète à gauche n’est pas claire. Est-ce un pugilat loin des yeux des gradés ou est-ce une illustration des exercices de boxe qui dégénèrent ?

Au premier plan, sous le regard d’un instructeur de gymnastique, probablement un sergent, des élèves s’exercent aux barres parallèles. L’attitude satisfaite du sous-officier contraste avec les piètres performances et les difficultés visibles dans les trois espaces proches.

Le dernier espace d’exercices est le plus impressionnant : il s’agit du portique. On y observe plusieurs exercices qui étaient effectivement réalisés sur ce dispositif. Montée à l’échelle, cordes avec ou sans nœuds, poutre pour lutter contre le vertige, des soldats pratiquent chacun de ces exercices. Difficile de comprendre l’intention de Charly. A-t-il fait un portique dangereusement haut ? Pourquoi un officier se rend-il vers le groupe ?

  • Dans la cour : les corvées

Le nettoyage des effets fait partie des corvées hebdomadaires. Des soldats sont affairés à brosser des vêtements préalablement mouillés dans le lavoir.

Manquent-ils d’emplacement pour frotter ? Théoriquement, le lavoir dispose de parois profilées à cet effet. En tout cas, Charly met un certain nombre de soldats en train de frotter les effets sur le dos d’un camarade, à la queue leu-leu même.

Une autre corvée en lien avec celle du nettoyage des vêtements se passe dans le bâtiment le long duquel sont installés lavoirs et robinets : le « séchoir couvert ». Un caporal assis semble faire des histoires pour des soldats venant faire sécher leurs tenues nettoyées.

Sur l’image précédente, le sourire goguenard du porteur de vaisselle ne manque pas d’attirer le regard. Il s’amuse de voir l’officier se prendre le balai dans la figure. Il sème ses assiettes à mesure qu’il avance. De plus, il porte le képi de sortie, ce qui n’est vraiment pas réglementaire.

  • Dans la cour : les mauvaises têtes

Charly aborde une dernière thématique dans ce dessin : les mauvais soldats. Pas ceux qui ne réussissent pas les exercices mais ceux qui, volontairement, se mettent en marge des règles de l’armée et qui en payent le prix, de la simple punition à la peine de prison.

Une des saynètes la plus développée est celle des punis. Cinq soldats, en tenue de travail, sont chargés de nettoyer et désherber la cour. Un s’occupe de la brouette, un à la pelle et trois des sortes de vieux balais. Le troisième n’est visible que par un bout de pied et son balai.

L’énergie mise à exécuter la punition est très faible. Celui qui met des herbes dans sa pelle ne fait pas énergique quand les deux hommes aux vieux balais le regardent l’un en s’appuyant sur le manche, l’autre une main dans la poche.

La scène est complétée d’un élément comique : le balai usager d’un puni entre dans la bouche d’un officier, potentiellement le colonel, mais le grade est représenté de manière très approximative, en tout cas décoré de la Légion d’Honneur. Un caporal, peut-être chargé de surveiller les punis, observe, effaré la scène.

Le tout n’est pas sans rappeler la corvée décrite par Courteline dans Les gaietés de l’escadron tant pas l’économie d’énergie mise à l’exécuter puis dans la scène dans la prison, thème qui est le suivant dans l’image.

Cinq soldats attendent de rentrer dans les locaux disciplinaires. Ils sont réunis autour d’un caporal, représenté pataud face à la serrure, attendant qu’on leur ouvre. L’attention de deux d’entre-eux est attirée par ce qu’il se passe autour.

Tous ont des éléments appartenant au stéréotype du mauvais soldat : non rasés pour deux, le képi placé n’importe comment pour deux encore, une tenue débraillée pour un dernier. Un soldat a une bouteille de pinard, un autre une pipe dans son godillot, autant d’objets prohibés dans ces locaux.

Charly a ajouté quelques éléments pour tourner encore plus en dérision la prison de la caserne. D’abord en faisant apparaître des écritures sarcastiques sur la porte, comme celles que l’on pouvait trouver dans les cellules : « aparteman a loué » (sic), « sale boite » et ce qui pourrait être « Encore 397 et la classe », mais de manière ténue et incomplète à l’image. D’ailleurs, les locaux sont déjà occupés : une main fait sortir un papier d’une ouverture du toit avec le mot « la clase vite !! » (sic).

  • Un dernier détail

Une fois encore Charly gratifie le lecteur d’un détail peu représenté, peu photographié et peu mentionné par les témoignages : les latrines. Malgré l’éloignement, il parvient à faire ressortir la structure assez fidèlement. Une construction en hauteur afin que les besoins tombent dans des cuves qui doivent ensuite être régulièrement vidées par des prestataires extérieurs. Le soldat de gauche semble reboutonner sa culotte quand un autre lève le nez pour observer, son ceinturon bien en vue sur la porte.

  • En guise de conclusion

Une impression de grand cirque ressort de ce dessin. Rien ne va, tout est drôle ou tourné en ridicule. Un condamné aux locaux disciplinaires semble regarder ce qu’il se passe en s’interrogeant sur le pourquoi lui et pas tous les autres tant rien ne va.

Facile à comprendre pour les lecteurs de l’époque, ce dessin nous montre au travers de cette satire, des moments, toujours caricaturés, du quotidien des conscrits qui nous échappent de plus en plus. Ainsi, portique, séchoir, lavoir, latrines ne sont pas les lieux les mieux documentés par les cartes postales ou les photographies.

  • Complément

Cette représentation caricaturale de la caserne a son pendant, un peu moins extrême tout de même, sous la forme d’une maquette visible au Musée de l’Armée4 à Paris.

Merci à Jérôme Charraud pour ces clichés en gros plan.

  • Sources :

Supplément illustré du Petit Comtois, dimanche 9 juillet 1905.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9536615

Exposition sur la vie de la caserne du Musée de l’Armée. Photographie d’une maquette présente dans le musée.
https://www.musee-armee.fr/ExpoArmesetbagages/la-vie-de-caserne.html


Retour à la galerie des recherches sur les photographies d’avant 1914

  1. Autres œuvres décortiquées et biographie sommaire de Charly :
    https://parcours-combattant14-18.fr/charly-1-brimades-dans-la-chambree-1902/
    https://parcours-combattant14-18.fr/charly-2-larrivee-des-bleus-dessin-de-1902/ ↩︎
  2. Lien vers le numéro du 9 juillet 1905 dans Gallica :
    – Supplément illustré du Petit Comtois : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9536615
    – L’Impartial de l’Est : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9691604
    – Le Mémorial d’Amiens et du département de la Somme : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k953176v
    – Le Journal d’Indre-et-Loire : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9695959 ↩︎
  3. https://parcours-combattant14-18.fr/27-un-photographe-au-31e-ri-melun-1912/ ↩︎
  4. https://www.musee-armee.fr/ExpoArmesetbagages/la-vie-de-caserne.html ↩︎

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