Ce type de cas est connu, largement évoqué dans plusieurs publications1. Ils ont malgré tout rarement l’honneur d’une photographie dans la presse !

La photographie publiée dans le supplément illustré du Petit journal militaire, maritime, colonial n’est pas d’une grande qualité. Elle donne toutefois en légende l’identité des deux hommes visibles au centre : « Départ de la classe. Les deux conscrits frères jumeaux, MM. Victor et Fernand HÉDONT ». Cette légende est une chance car le nom des deux hommes est absent du reste de l’article illustré par cette image.
L’information est reprise par plusieurs journaux dans des articles identiques, sans image mais ils sont un peu plus loquaces sur les circonstances. Ainsi dans le journal La Croix du 9 octobre 1906 peut-on lire :
Deux jumeaux
Dans le nombre des conscrits qui prirent le train à la gare de l’Est, on remarquait hier deux jeunes gens présentant une ressemblance frappante.
C’étaient deux jumeaux, Victor et Fernand Hédont, incorporés l’un et l’autre, au 106e régiment, en garnison à Châlons-sur-Marne.
Bras dessus, bras dessous, ils se mêlèrent à la joyeuse cohorte de ceux qui s’en allaient accomplir leur devoir.
Est-il possible de retrouver ces deux conscrits, d’en savoir plus sur leur parcours ?
La recherche pour deux frères Hédont pour la classe 1905, incorporée en octobre 1906, ne donne rien. En remontant d’une année, on trouve les deux frères, tous deux ajournés pour cause de faiblesse par le conseil de révision de 1905 et reconnus « bon service armé » l’année suivante.
- Les jumeaux Hédont
Nés belges le 5 janvier 1884, les jumeaux ont acquis la nationalité française le 24 décembre 1894. Comme leur père et leur frère aîné Alfred, ils étaient tous deux employés de commerce au moment de leur recensement en décembre 1904. Affectés au 106e RI, ils prirent le train à la gare de l’Est à Paris. C’est à ce moment qu’ils furent immortalisés par un photographe. Ce régiment ne leur était pas inconnu. Leur frère aîné Alfred, né en 1875, y avait fait un an de service actif.
Arrivés le 7 octobre 1906 à la caserne du 106e RI à Châlons-sur-Marne, ils furent immatriculés l’un après l’autre, Fernand le premier avec le matricule au corps 10575 et Victor ensuite avec le 10576.
Le plus intéressant est que lorsqu’il y avait deux frères au service, le plus jeune avait droit à une dispense, à savoir ne faire qu’une année de service actif au lieu de deux. Pour ces jumeaux, c’est Fernand qui fut considéré comme l’aîné. Victor fut donc libéré le 19 septembre 1907. Fernand attendit le 1er mars 1908 avec le grade de caporal.
C’est la seule et unique fois qu’ils furent affectés au même corps. En effet, si Fernand resta au 106e RI pour ses deux périodes d’exercices (1910 et 1913), son cadet passa dans une section de secrétaires d’état-major, la 6e.
À la mobilisation, Fernand partit avec le régiment de réserve du 106e RI, le 306e RI. Victor resta dans sa 6e SSEM.
Fernand fut tué le 21 septembre 1914 à Cormicy.

On ne trouve pas que la confirmation de sa mort dans ce JMO. On peut également lire les circonstances exactes :
« 21 septembre 1914
(…)
Le régiment reste toute la journée sur ses emplacements, la 69e Division ayant toujours comme mission de tenir le front qu’elle occupe. Dans l’après-midi, un tir à obus explosifs tue un caporal et blesse quatre soldats ».
L’acte de décès indique que Ferdinand fut touché par éclats d’obus à la tête.
Son frère quitta son unité non-combattante suite à la loi Dalbiez. Il fut affecté au dépôt du 154e RI en janvier 1916, mais ne rejoignit jamais une unité combattante. En effet, il fut classé dans le service auxiliaire en juin 1916 en raison de problèmes de santé antérieurs à la mobilisation. Il termina la guerre affecté à divers ETEM (Escadron du Train et des Équipages Militaires) avant sa démobilisation en 1919. Il retrouva son frère aîné Alfred, aussi employé de commerce, Jeanne Lamoureux avec qui il était marié depuis septembre 1909 et sa fille née en 1911.
Son épouse décéda en 1925. Il se remaria mais n’eut pas de nouvel enfant et divorça en 1956. Il décéda en 1957.
- En guise de conclusion
Ni la presse ni la fiche matricule ne vont au-delà de la narration sympathique pour l’un et l’indication de faits utiles pour l’administration militaire pour l’autre. On ne sait rien de ce que fut la vie de caserne pour ces deux frères, ni ce que fut la douleur de la séparation.
- D’autres articles sur des frères ou des jumeaux
Sur le blog du 74e RI :
https://74eri.canalblog.com/archives/2005/05/27/530041.html
Sur le blog du 149e RI :
https://amphitrite33.canalblog.com/archives/2018/12/07/36923618.html
https://amphitrite33.canalblog.com/archives/2019/11/01/37746893.html
- Sources :
Le Petit journal militaire, maritime, colonial : supplément illustré n° 150, 21 octobre 1906, page 2.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1198046c?rk=472105;2
Archives de Paris :
D4R1 958 : fiche matricule d’Hédont Alfred Laurent Horace, classe 1897, matricule 1963 au bureau de recrutement de la Seine 6e Bureau.
D4R1 1286 : fiche matricule d’Hédont Julian André Victor, classe 1904, matricule 1238 au bureau de recrutement de la Seine 6e Bureau.
D4R1 1287 : fiche matricule d’Hédont Fernand Hippolyte Émile , classe 1904, matricule 1678 au bureau de recrutement de la Seine 3e Bureau.
17D 190 : état civil du 17e arrondissement, acte décès de Fernand Hippolyte Émile Hédont, transcription le 30 octobre 1915, acte n° 2871.
Service Historique de la Défense :
SHD GR 26 N 745/15 : JMO du 306e RI, volume 1.
Presse :
Le Petit Courrier, 18 octobre 1914, page 1/4.
La Croix de l’Aube, 9 octobre 1906, page 3/4.
La Croix n° 7216, 9 octobre 1906, page 2/4.
- https://www.sudouest.fr/landes/audon/freres-d-armes-et-heros-de-guerre-2915982.php?csnt=190e874cc7b consulté le 25 juillet 2024.
https://aetdebesancon.home.blog/2017/03/18/deux-jumeaux-de-raysaone-tues-en-1914/ consulté le 25 juillet 2024.
https://somme-bellefontaine.fr/2022/02/20/un-jour-un-parcours-henri-et-paul-brun-de-fransart-et-hattencourt/ consulté le 25 juillet 2024. ↩︎