Tabouriech Georges, Miné Jacques, Méchaussie Jean, Trois poilus racontent la Grande Guerre, Tulle, Éditions Mille Sources, 2015, 104 pages.

Le Centenaire a été l’occasion de nombreuses initiatives locales ayant conduit à des publications « papier ». Ici, suite à la grande collecte de 2013, l’ONACVG a décidé de publier la transcription de trois carnets de poilus.
Un seul propose un récit complet de 1914 à 1919, bien que les trois mobilisés aient survécu. Les deux autres textes ne donnent qu’un aperçu du parcours, axé sur le premier séjour au front, seul trouvé par les familles.
Chacun a ses spécificités : le premier est celui d’un homme du génie, le deuxième celui d’un aspirant qui narre non ce qu’il fait mais ce qu’il observe. Le troisième est un récit reconstruit des décennies après. Tous ont le mérite d’exister même si leur récit est plutôt imprécis, ce qui ne veut pas dire sans anecdote ou juste une liste de lieux comme on peut le voir parfois. Des carnets qui méritent d’être lus autant que les autres, mais dont on peut se demander pourquoi en avoir fait une édition papier et non numérique, d’autant que les choix d’édition laissent perplexes. Fallait-il simplement publier pour publier ?
- Pourquoi ?
Ce livre un exemple de ces sorties dont on se demande quel était leur but ? En effet s’il y a trois carnets transcrits, c’est bien la seule chose que l’on y trouve. Aucun appareil critique et aucune présentation précise ne viennent aider le lecteur. On a du mal même à comprendre à quelle unité appartenait chacun des trois combattants. L’idée de proposer une notice de présentation réalisée par un membre de la famille est excellente mais elle ne suffit pas à donner le cadre précis autour de l’homme qui a écrit. On en apprend plus sur le membre de la famille qui s’exprime que sur le combattant lui-même. En effet les personnes interrogées parlent de leurs souvenirs, font appel à leurs sens et à leurs émotions. Mais pour ce qui est du parcours précis du militaire il n’y a pratiquement rien. Par exemple difficile de comprendre que le deuxième auteur est un sapeur du génie et qu’il a fait un long parcours militaire dans l’artillerie et donc que c’est lui qui est en couverture de l’ouvrage.
Les trois hommes disposent d’une photographie, mais seule celle de Georges Tabouriech est d’une taille correcte. Sur les autres, on perçoit à peine le visage de l’auteur. Pourquoi mettre une copie complète de la carte de combattant de Jacques Miné au format 6,5 x 4,3 cm, donc illisible ? Les trois cartes à la fin de l’ouvrage sont simplement inutiles tant elles sont petites et sans mise en relation avec les textes. Seule la bibliographie, reposant sur des ouvrages locaux, est bien reliée à l’objectif, à savoir évoquer la guerre en Corrèze. Mais là encore, le choix des trois textes interroge : certes, tous ont fini leur vie en Corrèze, mais un seul en est originaire. Un autre vient de la Nièvre et le dernier a vécu toute sa vie dans l’Hérault voisin.
Au final on peut vraiment se demander quel est l’intérêt de publier un livre papier quand ces carnets sont donnés au lecteur de manière brute sans explication alors que le site du Chimiste, qui propose des centaines de carnets, fait au moins l’effort de les contextualiser avec précision et d’en expliquer certains passages. D’autant que deux de ces carnets ne sont pas très riches. Seul le dernier apporte un récit vivant avec une vraie narration et des choix. Bien que réduit, il peut s’intégrer parfaitement dans l’étude de ce qu’il reste de la guerre 50 ans plus tard chez un ancien combattant et ce qu’il veut léguer à sa famille.
Je vous propose une petite biographie de chacun des trois combattants dont les carnets sont transcrits dans ce livre afin de vous aider à mieux comprendre le récit proposé.
- Présentation des trois combattants :
– Georges Tarbouriech a été le plus compliqué à retrouver dans la mesure où le livre le note « Tabouriech » systématiquement. Or aucun document consulté ne note son nom ainsi.
Après un service actif de 3 ans dans l’artillerie et toutes ses périodes d’exercices réalisées dans cette arme, c’est toujours comme 2e canonnier servant qu’il fut mobilisé le 3 août 1914. Son carnet est assez précis sur son parcours jusqu’à ce qu’il décide de quitter le Groupe territorial du 10e régiment d’artillerie à pied pour suivre des camarades volontaires pour le génie. Il fut alors versé au 1er régiment du génie sans que sa fiche matricule ou son carnet ne donne la compagnie précise. Les indices laissent penser qu’il s’agit de la compagnie 5/15T qui est mise en place début avril 1915 et qui est mentionnée par le JMO de la compagnie 4/8 en juin 1915. Or, le carnet mentionne cette compagnie à la même date.
Blessé le 20 juin 1915, il rentre au dépôt le 6 septembre 1915. Il rejoint le front à la compagnie 4/9T au front le 29 janvier 1916. Mais les écrits de l’auteur ne vont pas au-delà du 18 octobre 1915. Il quitte à nouveau le front le 11 mai 1916 pour une raison inconnue. Il ne revient dans la zone des armées que le 16 octobre 1917 et y resta jusqu’à sa démobilisation le 30 janvier 1919.
– Jacques Miné, natif de la Nièvre, ne s’installa en Corrèze qu’en 1920. Son parcours est particulier car étudiant à son incorporation, il fut secrétaire d’état-major pendant son service actif. Mais du service auxiliaire, il fut finalement classé service armé et demanda à être affecté dans l’infanterie. Il termina son service au 10e RI. Revenu à la vie civile, il rejoignit le service des Eaux et Forêts. Cet emploi en fit un non mobilisable car sur une affectation spéciale. Mais acceptant de devenir aspirant, il fut appelé au 118e RI le 8 septembre 1915. Après une période d’instruction, il fut envoyé aux armées le 24 décembre 1915. Ce sont donc ses premières impressions qu’il donne dans ses écrits. Ils s’achèvent le 6 avril, non parce qu’il partit ensuite en permission comme l’indique une des rares notes de bas de page du livre, mais parce qu’il fut blessé par éclat d’obus à Verdun, dans le secteur de Douaumont le 9.
La fin de son parcours est peu claire. Il semble avoir été évacué en août 1916 puisqu’il quitta la zone des armés et passa devant la commission de réforme de Tours en octobre 1916 puis devant celle de Quimper fin novembre. Il fut détaché au centre de Bois de Nantes en décembre 1916 mais rejoignit le front au 151e RI en mars 1918. Gazé le 22 juillet 1918, il fut démobilisé en mars 1919.
– La fiche matricule de Jean Méchaussie n’est pas très riche. Elle nous apprend qu’il fit son service actif en 1908-1910 au 109e RI. Ensuite, il participa aux manœuvres d’automne de 1912 au 100e RI avant d’être mobilisé au 300e RI de Tulle. Il suivit sans interruption le parcours du régiment de son arrivée dans la zone des armées jusqu’à sa dissolution en novembre 1917. Il fut alors affecté au 22e RIC avec lequel il participa également à tous les combats jusqu’à sa démobilisation en mars 1919.
- En guise de conclusion
À 10 € ce livre a un prix très raisonnable mais aurait mérité un apport critique plus important que le peu qu’il propose, simplement pour aider le lecteur à y voir clair dans ces carnets et ces parcours. En l’état, une publication numérique aurait suffi tant les textes sont bruts et font penser à un effet d’aubaine lié au Centenaire plus qu’à un travail éditorial sérieux. Et quand on voit que pour 5 euros de plus, on peut obtenir le livre édité par les Archives départementales de Corrèze, qui a toutes les qualités attendues, le sujet semble clos.
- Sources :
Archives départementales de Corrèze
R 1409 – Fiche matricule de Méchaussie Jean, classe 1907, matricule 927 au bureau de recrutement de Tulle.
Archives départementales de la Nièvre
R343 – Fiche matricule de Jacques Miné, classe 1905, matricule 1817 au bureau de recrutement de Nevers.
Archives départementales de l’Hérault
1 R 1121 – Fiche matricule de Tarbouriech Georges Marie Joseph, classe 1898, matricule 95 au bureau de recrutement de Béziers-Saint-Pons-de-Thomières.
https://archives-pierresvives.herault.fr/ark:/37279/vtadd68e3b496b8b72f/daogrp/0/68