Les disparus sont des hommes dont on ne sait pas ce qu’ils sont devenus au front, le plus souvent car il n’y avait aucun témoin de leur sort. Tel est le cas pour le soldat Auguste Perraud. Or, six mois après sa disparition, la famille reçut un courrier dont la presse se fit l’écho.
- Rassurer les familles des disparus
Il ne faut pas désespérer des disparus
Un soldat du 118e d’infanterie, Auguste Perraud, était disparu depuis le 22 août. Toutes les recherches avaient été vaines. Or le 25 février – plus de six mois après – sa femme reçut de lui une lettre datée de Maestrich, en Hollande.
Perdu avec 400 camarades, il s’était vu cerné par 30.000 Allemands. Il avait réussi cependant à s’enfuir, avec quelques autres. Pendant quatre mois ils avaient vécu dans les bois, au milieu des lignes allemands, puis, pendant deux autres mois, ils furent recueillis et cachés dans une ferme.
Après de multiples péripéties, le soldat Perraud réussit à passer en Hollande… Mais son aventure ne prouve-t-elle pas qu’il ne faut désespérer de personne, même après six grands mois de silence ?
Le Matin, 2 mars 1915.
Le titre et la conclusion visent à rassurer les nombreuses familles d’hommes dont l’armée n’arrive pas à connaître le sort, qui vivent dans l’inquiétude permanente de la terrible nouvelle. Il s’agit donc de donner de l’espoir. Mais il reste mince car sur la troupe de 400 camarades, un seul a réussi à s’en sortir et à rejoindre la Hollande.
Un parcours individuel exceptionnel
D’autres articles aident à mieux comprendre ce qui arriva à ce groupe d’hommes et donnent même le texte de deux lettres écrites par le soldat Perraud, en particulier le plus ancien trouvé, daté du 28 février 1915.
Lettres de Combattants
Un fier Soldat
M. Joseph-Auguste Perraud, soldat au 118e d’infanterie, originaire de Guérande, vient de donner de ses nouvelles à sa famille après six longs et douloureux mois de silence.
C’est qu’il a accompli, pendant ce temps, une odyssée peu commune dont les lecteurs se feront une idée en lisant la lettre suivante que la famille de notre brave veut bien nous communiquer.
Nous signalons tout particulièrement le passage où il est question du bois Saint-Hubert. On se rappelle qu’une petite troupe française y tint longtemps les Allemands en haleine sans qu’ils puissent arriver à les prendre. Notre héros faisait partie de cette vaillante phalange ainsi qu’il l’écrit lui-même.
Voici sa lettre, elle est toute récente ainsi qu’on va le voir.
« Maëstricht (Hollande), le 19 février 1915.
Ma chère,
Depuis six mois aujourd’hui que je ne t’ai pas écrit, tu as dû bien des fois te dire que j’étais mort, mais heureusement jusqu’ici je n’ai pas même été blessé. Comme tu le vois plus haut, je t’écris de la Hollande, voilà pourquoi. Depuis le 22 et 23 août, jours où j’ai combattu, je me suis trouvé séparé de l’armée, car le 23 nous sommes restés environ 400 pour tenir tête à 30.000 Allemands ; nous n’en sommes partis qu’après avoir succombé sous le nombre. Je me trouvais auprès de Frappin et Lefèvre de Guérande.
Le 1er septembre, nous étions à Charleville, après avoir passé par Givet.
A ce moment, nous étions 120, beaucoup du Midi, et de tous les côtés, nous retrouvions partout des égarés comme nous. J’ai retrouvé parmi eux un homme de Saint-Lyphard, que j’ai été obligé de quitter lors d’une attaque allemande.
Depuis notre départ, nous étions toujours dans le bois. Si tu as lu dans les journaux les exploits de la bande du bois Saint-Hubert, tu as pu voir tout ce que nous avons fait, car j’en faisais partie.
Nous sommes restés dans les bois pendant près de quatre mois, vivant un peu en sauvage, puis dans une maison pendant deux mois ; pourtant, ce n’était guère prudent pour les gens de nous garder ainsi chez eux. Nous n’étions plus alors que sept dans ce village. Les Allemands passaient tous les jours devant nous et fouillaient les maisons à chaque instant. Enfin, ce n’est rien maintenant, puisque je suis sauvé.
J’ai traversé la Belgique, depuis les environs de Sedan, en passant par Liège, jusqu’à la frontière hollandaise : nous sommes passé à trois avec un marchand de pétrole.
Nous étions à peine passés dans un champ que nous en avons vus passer six autres qui avaient été faits prisonniers. Je ne puis dire que nous avons eu de la chance ; espérons qu’elle continuera jusqu’à la fin.
Je viens d’aller trouver le consul de France (à Maëstricht), afin d’obtenir un passeport pour aller en Angleterre et, de là, regagner la France ; il nous a fait photographier.
J’espère retourner au feu tout de suite. Ces cochons de Boches nous en ont tellement fait voir de cruelles qu’à mon tour je veux me venger en en descendant plusieurs.
Tu vois que c’est inutile de te faire de la bile. Certes, après les premiers jours de bataille, je n’ai pas été très heureux, mangeant des pommes de terre ou bien des betteraves crues, mais tout ça est passé maintenant et ce qui me rend le plus content, c’est de pouvoir t’écrire. Aussi je ne manquerai pas de le faire aussitôt que je le pourrai et bien souvent. Plus tard je te donnerai mon adresse, car je ne sais dans quel régiment je serai incorporé.
Embrasse bien tout le monde et à toi…
Joseph Perraud du 118e d’inf.
PS : je pourrai toujours dire que j’ai vu du pays, de Quimper à Sedan, puis toute la Belgique, actuellement la Hollande, demain l’Angleterre et après la France. »
Une deuxième lettre a été écrite par notre héros, le 21 février. Le voici, maintenant, à Rotterdam ;
« Rotterdam, 21 février 1915.
Ma chère,
Me voici arrivé à Rotterdam depuis hier vers deux heures.
En arrivant, je suis allé trouver le Consul de France, afin de pouvoir partir pour l’Angleterre, mais comme tu as dû le lire sur les journaux, la plupart des bateaux ne marchent plus, toujours à cause de la guerre avec l’Allemagne, aussi, maintenant, nous sommes logés à l’œil dans un hôtel épatant, trop beau même, parce que notre tenue n’est pas assez belle pour être avec la plupart des gens ; aujourd’hui nous allons pouvoir visiter la ville. Il me semble que c’est au moins deux fois grand comme Nantes.
Pour repartir, je ne sais pas dans combien de jours nous le pourrons, enfin, ici, nous sommes toujours en sûreté.
Je t’envoie une photo, pour juger par toi-même de la jolie tenue et voir aussi que je n’ai pas maigri ; au contraire, en Belgique, j’avais engraissé. »
Si je reste ici quelques temps, je te donnerai mon adresse. Pourtant je voudrais bien être parti de la Hollande, car, ici, il nous est impossible de nous faire comprendre, il faut faire des signes, ou alors, rien.
J’espère que vous êtes tous en bonne santé, surtout ne te tracasse pas pour moi. En attendant de te revoir, etc. »
Le Phare de la Loire, 28 février 1915, page 4/4.
Il convient de prendre avec précaution ces récits, ces transcriptions de lettres, si claires, si détaillées, si bien écrites. On ne peut pas savoir s’il y a eu réécriture, si le texte est complet. La recherche de la fiche matricule de ce soldat Perraud donnera quelques éléments afin de vérifier la véracité d’un récit qui pourrait être un simple texte de propagande.
- Le parcours d’Auguste Perraud
Auguste François Marie Perraud n’est pas prénommé Joseph. C’est le prénom de son père. Né en 1889, il réside à Guérande depuis 1912, après son service actif au 118e RI de 1910 à 1912.
Il est mobilisé le 3 août 1914 et comme jeune réserviste, il est affecté au régiment d’active, le 118e RI. Il part de Quimper avec son corps le 8 août et « s’est trouvé séparé de son groupe, a traversé la Belgique pour se réfugier en Hollande, passé en Angleterre et rapatrié en France via Folkestone Dieppe ».

On ne sait pas exactement quand il arriva en France et s’il eut droit à une permission dans sa famille. Seule certitude, il rejoignit son dépôt le 16 mars 1915. N’ayant pas été fait prisonnier, il repartit en unité combattante dès le 1er juillet 1915.
Difficile de savoir dans quel régiment il fut renvoyé au front : 118e RI, 64e RI, 264e RI ? Il fut évacué pour grippe le 10 octobre 1916 tout en restant dans la zone des armées. De retour au front le 29 décembre 1916, il fut cette fois-ci évacué vers l’intérieur le 16 mars 1917 à cause d’une bronchite. De retour aux armées le 15 avril 1917, il resta un temps au dépôt divisionnaire sans qu’il soit possible de dire quel fut son parcours ensuite, jusqu’à sa démobilisation le 1er août 1919.
Sa vie civile à Guérande fut courte. La commission de réforme de Nantes du 23 octobre 1923 le réforma définitivement pour « Tuberculose pulmonaire bilatérale. Râles sous crépitants dans la fosse sus-épineuse droite et plus nombreux au sommet gauche (…). Bacilles. État général médiocre ». Il décéda moins d’un an plus tard, le 15 juillet 1924.
- En guise de conclusion
Il est difficile de déterminer la véracité des lettres transcrites par un journal et reprises allègrement dans de nombreux quotidiens dans toute la France. Toutefois, ces articles nous font découvrir des parcours sortant de l’ordinaire. Si les grandes lignes de sa vie sont connues, il y a toujours l’envie de trouver des sources permettant d’en savoir plus.
- Pour en savoir plus :
Le sujet avait été défriché entre 2007 et 2015 par le Forum Pages 14/18, et tout particulièrement pas Yann Le Floch :
https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?p=43217#p43217
- Pour aller plus loin :
Le périple de Raymond Pitre du 28e RI : http://vlecalvez.free.fr/Periple_de_Raymond_Pitre.html
Un autre exemple : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t52126934x/f2.item
Un livre sur le parcours de deux soldats isolés : ZACHARY Dominique, 14-18, quatre ans cachés dans un grenier, Paris, éditions Jacob-Duvernet, 2014.
Sources :
Archives départementales de Loire Atlantique :
1 R 1229 : fiche matricule de Perraud Auguste François Marie, classe 1909, matricule 1471 au bureau de recrutement de Nantes.
https://archives-numerisees.loire-atlantique.fr/v2/ark:/42067/20f7c2d14cfadb05f14eb4ad0bb22b6b
Gallica :
Journal Le Matin, 2 mars 1915, page 1.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5711924/f1.item
Journal Le Phare de la Loire, 28 février 1915, page 4/4.
Fonds de carte : La Guerre européenne : Théâtre des opérations 1915. Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE C-4488 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53063544f/f1.item