Aller au contenu

66 – Sous la neige, classe 1916, Chevilly, novembre 1915

À l’époque de la Grande collecte et du Centenaire, j’avais téléchargé l’image sur le site Européana 14-18, mais ledit site est maintenant absorbé par Européana et le document est désormais inaccessible. Si je retrouve la référence actualisée, je ne manquerai pas de faire une mise à jour de cet article.

Ce groupe de soldats sous la neige propose une riche contextualisation, mais sera-t-il possible d’en dire plus que ce que nous apprend son texte ?

  • Au dépôt du 113e RI

Cette affectation dans une compagnie de dépôt ne fait pas le moindre doute. Non seulement Noël, l’auteur de la carte, l’indique dans son adresse, « 113e d’Infanterie, 27e Cie », mais en plus le « 113 » est bien visible sur certains képis modèle 1914 quand le reste de l’uniforme est encore composé de capotes d’avant-guerre alors qu’on est passé au bleu horizon au front.

On observe que le lieutenant sur la photographie est du 313e RI.

Ce n’est pas un problème pour l’identification : le dépôt est celui du 113e et 313e RI, ce dernier étant le régiment dit de réserve du 113e RI.

  • Pourquoi Chevilly pour un régiment dont le dépôt est à Blois ?

« Chevilly le 21 Novembre 1915

Chers Cousin et Cousines

Je suis toujours en bonne santée, et j’espère que vous en êtes de même. De ce moment, je devrais être au Mans, mais pour l’instant, il est fini le temps ou on allait en permission, il ne faut plus y penser, il faut songer au départ aprésent. Nous devons rentrer d’ici deux ou trois jours a Blois pour nous faire habiller et ensuite partir pour une destination inconnue. Enfin espérons nous revoir bientôt.

Votre cousin qui vous embrasse

Noël

Crosnier Noël
Classe 1916
113e d’Infanterie
27e Cie Groupe A
Chevilly, Loiret »

Une fois encore, l’adresse donnée dans le courrier ne laisse aucun doute : cette photographie enneigée a été envoyée au moment où Noël et ses camarades sont à Chevilly, dans le Loiret, à 64 kilomètres de Blois. Les jeunes recrues étaient d’abord instruites sur le b.a.-ba au dépôt. Pour le 113e, cela se faisait à Blois. Puis, afin de les aguerrir à la vie en extérieur, permettant de créer des tranchées pour l’entraînement, des camps furent organisés à partir du premier semestre 1915. Noël le précise : il est à la fin de sa période dans ce camp et s’apprête à être envoyé dans la zone des armées.

Chevilly est à quelques kilomètres seulement du camp de Cercottes, au nord d’Orléans.

  • De jeunes recrues sous la neige

Le temps qu’il fait au moment du cliché est bien visible. On voit nettement la neige entre les clous des brodequins d’un soldat allongé ainsi que sur la végétation..

Les hommes sont chaudement habillés, comme l’atteste le gonflement des capotes au niveau du torse. Il portaient probablement leur veste sous la capote.

Si la majorité des hommes semblent du même âge, certains pourraient être des récupérés, donc un peu plus âgés.

L’équipement est varié, en particulier au niveau des capotes où certaines ont un col droit et d’autres un col rabattu. La capote d’un homme visible sur le zoom ci-dessus montre même des boutons en tombac.

Peu de détails sont visibles sur ce cliché. Quelques pipes ou cigarettes mais surtout deux mains posées sur les épaules d’un soldat.

A l’arrière-plan, on distingue deux hommes ne portant pas le képi mais la casquette. L’homme de gauche a un col blanc étonnant pour un homme en uniforme mais pourrait porter un képi. Il n’y a par contre aucun doute pour celui de droite.

Il pourrait s’agir d’habitants vivant à proximité du lieu où a été pris le cliché, ce qui pourrait indiquer une prise de vue au cantonnement. Ces civils pourraient aussi être des curieux de passage à proximité du lieu d’entraînement des hommes. Mais dans ce dernier cas, pourquoi seraient-ils restés sur le cliché ?

  • À qui envoie-t-il ses nouvelles ?

Si Noël a écrit volontairement « cousin » au singulier et « cousines » au pluriel, la recherche de la fratrie de son père donne trois frères et sœurs. Donc trois oncles et tantes ayant eu des enfants pouvant être ces « cousin et cousines ».

L’aîné, Pierre Crosnier, n’eut qu’un fils et une fille. La seconde, Marie-Louise Crosnier, eut un fils et trois filles. Le dernier, Gustave Joseph Crosnier, eut deux filles et trois fils. Il se pourrait donc qu’il écrive aux enfants de Marie-Louise Crosnier à savoir Marie Louise Letessier, Berthe Victorine Letessier, Louis Gustave Letessier et Juliette Letessier. Mais pourquoi ne salue-t-il pas sa tante, toujours en vie à cette période ?

Ce n’est donc qu’une hypothèse, impossible à valider en l’absence d’adresse et d’autres documents.

  • Le parcours de Noël Crosnier

Appelé le 8 avril 1915 avec la classe 1915, ce Sarthois est envoyé au 113e RI de Blois, comme 140 jeunes recrues du bureau de recrutement du Mans1. Contrairement à la classe 1914 et 1915, une année s’écoule entre l’arrivée à la caserne et l’envoi de la classe 1916 en renfort dans une unité combattante. Ainsi, après être passé à Cercottes, Noël est bien envoyé dans la zone des armées avec l’équipement neuf qu’il évoque. Il y arrive le 3 décembre, mais pour continuer son instruction près du front, au 9e bataillon du 113e RI. Ce n’est qu’en avril 1916 qu’il est versé dans une unité combattante du 207e RI.

Il est blessé par balle le 17 avril 1917 à Moronvillier. D’abord évacué sur l’HOE 1 SP5, il est ensuite en traitement dans plusieurs hôpitaux qui ne sont pas précisés dans la fiche matricule.

Il ne revoit jamais le front car les séquelles de sa blessure conduisent à sa réforme le 31 août 1917, confirmée à deux reprises avant l’armistice, puis après la guerre pour « hyperesthésie cutanée dans le territoire des 6e, 7e, 8e et 9e nerfs intercostaux droits, suite blessure à l’hémithorax (sic) droit ». Ces séquelles conduisent à « de fréquentes interruptions de travail avec confirmation par enquête ».

Sa demande de carte de combattant nous permet d’avoir une photographie de Noël Crosnier vers 1930 :

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage volontairement pour la durée de la guerre à partir du 15 mai 1942 dans le réseau Confrérie Notre-Dame (CND) Castille en qualité d’agent de renseignement au Mans. Il continue donc la lutte jusqu’au 30 septembre 1944. Il est noté comme étant agriculteur à La petite Normandie, à Saint-Saturnin.

Il est décédé le 14 avril 1972.

  • Retrouver Noël Crosnier sur le cliché ?

C’est un travail toujours compliqué, voire hasardeux quand on dispose d’un cliché de qualité médiocre et d’informations très imprécises. Pour retrouver Noël Crosnier, on a son cliché 20 ans plus tard et une maigre description dans sa fiche matricule : un front découvert, invisible sous le képi, un nez moyen bien imprécis, un visage ovale et une taille d’1,73 m.

Voici un candidat possible :

  • En guise de conclusion

Si d’autres documents concernant Noël Crosnier étaient numérisés en 2014, il faut espérer qu’ils seront retrouvés ou remis en ligne.

Quoi qu’il en soit, même s’ils peuvent sembler similaires, chaque cliché de groupe offre un aperçu d’un instant précis du parcours de mobilisés. Ici, ce sont de jeunes recrues loin du front, à l’entraînement dans la neige, avec leurs effets anciens.

  • Pour aller plus loin :

Chevilly pendant la Première Guerre mondiale, avec plusieurs clichés de soldats du 113e RI en 1915 :

Sur le réseau CND Castille, fiche de Noël Crosnier : https://www.cnd-castille.org/resistant/crosnier-noel-eugene

  • Sources :

Européana 14-18 :

FRBNSA-026, consulté le 31 janvier 2014.

Archives départementales de la Sarthe

1 R 1274 : fiche matricule de Crosnier Noël Eugène, classe 1916, matricule 1340 au bureau de recrutement du Mans.
https://archives.sarthe.fr/ark:13339/s00586aa83e9c9ea/6305d9367226b.fiche=arko_fiche_6329886306de8.moteur=arko_default_632ac7263f2d8

Gallica :

Fond de carte Loiret :
Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE D-4694
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8443733w


Retour à la galerie des recherches sur les photographies de 1914 à 1919

  1. SHD GR 16 N 326. Arrêté relatif à la répartition entre les corps et à l’appel à l’activité du contingent de la classe 1916, page 22. ↩︎

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *