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Trésor d’Archives n°52 – La voix de Louis Ligabue en 1912

Étrange « Trésor d’Archives ». Il ne s’agit ni d’un texte, ni d’une image mais d’un enregistrement sonore. Ce document n’est pas inconnu sur Internet : on trouve plusieurs vidéos et articles en parlant. Cependant le « buzz » début 2021 est plus révélateur des pratiques actuelles du copier/coller et de juste générer du « clic » en proposant des « news » attirant la curiosité, que d’une volonté d’en dire plus. Le site de Gallica a donc été allègrement copié pour présenter ce document comme « exceptionnel » juste car ancien, certains indiquant tout de même le contexte de l’enregistrement.

Recherche Google réalisée le 25 mars 2024.

Quid de la vie de cet homme, de l’aspect documentaire sur cet enregistrement ? L’absence de curiosité sur le « qu’est-il devenu » est une aubaine, elle permet de proposer cette petite recherche.

  • Un document bien connu

Écouter la face A (interview) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1280755/f1.media
Écouter la face B (réaction à l’écoute de sa voix) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1280755/f2.media

C’est une pépite comme la BNF en possède tant. Ce document d’ailleurs a fait l’objet de nombreuses utilisations sur Internet dans des publications qui insistent exclusivement sur son caractère exceptionnel. L’enregistrement de la voix avec son accentuation particulière s’inscrit dans un courant de recherche de la fin du XIXe et du début du XXe siècle très bien expliqué dans un article de la BNF1i.

Non seulement il est très bien contextualisé, mais en plus sa fiche descriptive est très complète : elle donne une date d’enregistrement, le 17 décembre 1912, mais surtout assez d’éléments sur la personne s’exprimant pour espérer la retrouver. L’enregistré est Louis Ligabue, un artisan tapissier né à Paris âgé de 37 ans en 1912. Ce sont déjà des indices précieux, mais en plus au cours de la discussion il précise ses résidences successives qui permettent de confirmer qu’il s’agit bien de la bonne personne en cas d’homonymie.

  • Un parcours militaire non étudié

Étonnamment, les recherches publiées se focalisent toutes sur l’accent ou sur l’ancienneté de l’enregistrement sans s’interroger sur le devenir de cet homme âgé de 39 ans en 1914 et donc appartenant aux mobilisés à la guerre.

Malgré les indices, la recherche de son matricule militaire n’a pas été simple : en effet, bien que né et vivant à Paris, il n’est pas enregistré dans un bureau de recrutement de la Seine ! Cela n’a rien d’étonnant ou d’anormal, c’est juste le signe que sa famille ne resta pas à Paris pendant toute la jeunesse de Louis.

Il est bien né le 16 novembre 1875 dans le 1er arrondissement de Paris. Son père est né en Italie en 1836 et sa mère est parisienne (1844). D’ailleurs s’il suit normalement le sort de la classe 1895, c’est parce qu’il a été naturalisé français en 1891. À cette date, il est domicilié au 23 boulevard de Sébastopol à Paris. Mais c’est en Seine-et-Marne que l’on retrouve sa trace, dans le canton de Nemours. Lors de son recensement, il est tapissier et vit avec ses parents à Treuzy. Il est déclaré bon pour le service actif mais tire un mauvais numéro : il fait 3 ans de service actif. Toutefois, il ne reste pas longtemps soldat de seconde classe au 82e RI. Il devient caporal en 1897 au bout d’un an de service, puis caporal fourrier sept mois après et finalement sergent fourrier en juin 1898.

Réserviste, il est affecté au 46e RI de Fontainebleau où il fait ses périodes d’exercices. Ce n’est qu’en 1906 qu’il est indiqué comme résidant à Paris, rue d’Alésia dans le 14e arrondissement dont il est tant question dans l’enregistrement. Cependant, il ne semble pas être arrivé à ce moment à cette nouvelle adresse. En effet, il se marie le 4 avril 1905 dans cet arrondissement et indique déjà résider à cette adresse. Il ne fit donc pas son changement de résidence dès son arrivée à Paris.

Extrait de la fiche matricule. AD76, 1 R 1206.

La partie qui aurait été la plus intéressante pour nous se révèle être la plus décevante. En effet, la fiche matricule est on ne peut plus famélique : on apprend juste qu’il fut affecté au 42e RIT puis au 46e RI, sans qu’il soit possible de dire si c’est au 46e RI ou à son régiment de réserve le 246e RI. Cette seconde possibilité semble la plus probable dans la mesure où sa fiche matricule indique un départ le 10 août 1914, date justement où le 246e RI quitte Fontainebleau.

Il est noté comme étant dans la zone des armées pendant tout le conflit sans que le moindre détail ne vienne éclaircir le parcours, aucune citation, aucune maladie ou blessure, rien.

Or, le dépôt du 46e RI localisé à Fontainebleau est dans la Zone des Armées à partir du 1er septembre 1914. De ce fait, il est même possible qu’il ait passé tout ou partie du conflit loin d’une unité au combat. Il est pour l’instant impossible de le dire.

On ne trouve qu’une trace de Louis Ligabue dans la presse après-guerre, en tant que responsable d’une société de chasse, toujours à Treuzy-Levelay en 1929.

L’Informateur : Journal républicain régional indépendant, 23 août 1929.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5142521v/f4.item

Louis Ligabue est décédé le 21 avril 1970 à Nemours.

  • En guise de conclusion

Derrière le caractère exceptionnel du document, c’est bien le parcours d’un homme qui se dessine. Les sources sonores de Gallica donnent à entendre la voix de quelques hommes qui furent mobilisés pendant la Première Guerre mondiale. D’autres exemples pourraient faire l’objet d’une même recherche, en particulier les soldats du 28e RI enregistrés dans la même série2ii.

  • Sources :

Gallica :

Le Blog de Gallica, Pascal Cordereix, Quand un Parisien entend pour la première fois le son de sa voix, 11 mai 2020.
https://gallica.bnf.fr/blog/11052020/quand-un-parisien-entend-pour-la-premiere-fois-le-son-de-sa-voix?mode=desktop

Autre accès à la source : Enregistrements à la Sorbonne (1911-1914)
https://gallica.bnf.fr/html/enregistrements-sonores/enregistrements-la-sorbonne-paris-1911-1914?mode=desktop

Bulletin officiel du Ministère de la Justice, décrets, arrêtés, circulaire, décisions, année 1891. Paris, Imprimerie nationale, 1892, p. 629.

Déclarations, acquisition et répudiation de la qualité de Français, octobre-décembre 1891.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6572043q/f637.item

L’Informateur : Journal républicain régional indépendant, 23 août 1929.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5142521v/f4.item

Archives départementales de Seine et Marne :

1 R 1206 : fiche matricule de Ligabue Louis Pierre Joseph, classe 1895, matricule 182 au bureau de recrutement de Fontainebleau.
http://archives-en-ligne.seine-et-marne.fr/mdr/index.php/docnumViewer/afficheUdDocNum/?cote=1r1206&fichier=frad077_1r1206_0182

10 M 440 – recensements de population de la commune de Treuzy-Levelay.

Archives de Paris :

V4E 2522 : état civil du 1er arrondissement de Paris, acte de naissance de Louis Ligabue, novembre 1875, n° 1632, vue 24/31

14M 173 : état civil du 14e arrondissement de Paris, acte de mariage de Louis Ligabue, avril 1905, n° 337, vue 9/31.

Service Historique de la Défense :

SHD GR 26 N 727/1 : JMO du 246e RI, volume 1.


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  1. https://gallica.bnf.fr/blog/11052020/quand-un-parisien-entend-pour-la-premiere-fois-le-son-de-sa-voix?mode=desktop ↩︎
  2. Cliquez pour accéder aux autres enregistrements. ↩︎

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