BOURLET Michaël, Verdun 1916, La guerre de mouvement dans un mouchoir de poche, Paris, Perrin, 2023. 384 pages.
L’auteur n’en est pas à sa première publication. Ses ouvrages sont variés alternant du très grand public avec Les soldats de la Grande Guerre, armes, uniformes, matériels (éditions Ouest-France en 2018) à la recherche plus pointue en passant par cet ouvrage. La mission n’est pas si évidente car des ouvrages sur Verdun, il y en a eu de nombreux. Michaël Bourlet propose un récit de la bataille à jour des dernières recherches, mais pas seulement.
« Verdun » est un nom particulier dans la Première Guerre mondiale. Cette bataille a marqué les mémoires. Ce n’est pas sans raison qu’on y fait encore référence en 2023 quand on observe certaines portions du champ de bataille dans le Dombass entre Russes et Ukrainiens. D’ailleurs, Michaël Bourlet ne manque pas de rappeler l’utilisation de la bataille comme référence d’abord à ce qui allait arriver aux villes ukrainiennes dès le 23 mars 2022 dans le discours de Vlodimir Zlensky au Parlement français (page 283).
Ensuite, l’hiver 2022-2023 avait amené aussi son lot d’analogies avec la Première Guerre mondiale et notamment Verdun, en raison des tranchées, de la boue et des paysages comme l’illustre cet article du média américain CNBC de novembre 2022 (consulté le 22/04/2023).
Mais c’est avec la bataille de Bakhmout que la comparaison fait la une de la presse française.
Si la première a été trouvée dans un article de Clément Daniez publié dans le magazine l’Express le 16 décembre 2022 (consulté le 22/04/2023), elle est ensuite régulièrement reprise dans la presse francophone. « Dans l’enfer de Bakhmout, le Verdun ukrainien » dans le Point du 4 janvier 2023 (consulté le 22/04/2023), une semaine plus tard, l’analogie devient internationale suite à un discours du chef de cabinet du président de l’Ukraine, Andriy Yermak le 12 janvier 2023. « Bakhmout est devenu le Verdun du XXIe siècle » explique-t-il. Même si ces propos furent déconstruits par Michel Goya qui évoque plus volontiers Stalingrad et le choix ukrainien de ne pas utiliser cette bataille (consulté le 22/04/2023), Verdun revient au-devant de la scène régulièrement depuis même si cette utilisation est de plus en plus critiquée. En février, en Europe et aux États-Unis avec le conducteur d’ambulance (consulté le 22/04/2023) ou le 30 mars dans Le Figaro (consulté le 22/04/2023).
Cette longue introduction a pour but d’inviter toute personne curieuse du déroulé de la bataille à jour des dernières recherches et de sa mémoire jusqu’en 2022 à se procurer cet ouvrage. Plus qu’une simple histoire « bataille », l’auteur offre une recontextualisation, un déroulé et une histoire de la mémoire de Verdun.
- Verdun avant et pendant la bataille de 1916
Sans tomber dans l’écueil du déroulé quotidien, il ne manque pas de mettre le lecteur à la hauteur des preneurs de décisions des états-majors mais aussi des hommes au ras du sol. Le choix est un récit chronologique à plusieurs échelles. Ce dernier point est particulièrement réussi car le lecteur n’est jamais perdu.
Après avoir présenté ses choix l’auteur entre dans le vif du sujet en mettant en évidence deux paradoxes de cette bataille : on assiste à une guerre de mouvements dans une guerre de positions et la France démantèle une zone fortifiée alors qu’on est en pleine guerre de positions.
Le début de l’ouvrage est consacré à la contextualisation de la ville de Verdun de 1870 à 1915, de la mise en place de la Région Fortifiée de Verdun (RFV) à son démantèlement en 1915. Michaël Bourlet évoque ensuite la stratégie des Alliés pour 1916 qui nécessite un temps de planification et surtout un délai pour se remettre des échecs sanglants de 1915. En parallèle, les Empires centraux se préparent aussi. Le choix de Verdun par l’état-major allemand est expliqué ainsi que le caractère « brusqué » de l’attaque.
Une description précise de la géographie du secteur permet d’appréhender ses spécificités, en particulier au nord de Verdun, avec ses côtes et ses ravins. L’auteur décrit les différents préparatifs qui permettent aux Allemands, dans le plus grand secret, de masser hommes et équipements afin de créer un rapport de force très favorable localement.
Sont intégrées les évolutions tactiques et la prise en compte des échecs sanglants de 1915 par les belligérants. Pour les Allemands, le but est d’enfin coupler réussite tactique et réussite stratégique, ce qui a échappé aux deux camps en 1915, ainsi que les outils à disposition (infanterie, artillerie, aviation).
Une fois la bataille déclenchée, l’ouvrage donne une vision à la fois globale de la bataille qui se déroule tout en détaillant chacun de ses aspects dans les deux camps quand beaucoup d’ouvrages, en particulier parmi les anciens, sont centrés sur un seul camp. La neutralité du ton et la prise de recul évitent aussi de tomber dans le récit héroïque propre aux anciens ouvrages sur le sujet. On voit aussi l’apport des travaux réalisés en Allemagne dont le représentant le plus connu est Geird Krumech.
Les premiers jours de la bataille sont analysés : on est loin de l’avance d’un rouleau compresseur comme espérée par les Allemands, mais les troupes françaises sont réellement bousculées et la question se pose d’abandonner la rive droite et donc Verdun avant de s’organiser au mieux vu les circonstances.
Ensuite, les choix français en terme de rotation des unités, d’organisation des forces aériennes, du ravitaillement par la Voie sacrée sont mis en évidence. Le rôle de Pétain l’est également, au niveau du commandement et du moral des troupes. Début mars 1916, bien que précaire, la situation est stabilisée.
Le choix, les difficultés, les querelles dans chaque état-major sont présentés et suivent la chronologie. Tout se lit très facilement car le niveau de détails choisi ne noie pas le lecteur. Les pages sur mai-juillet 1916 sont haletantes, entre effort désespéré allemand et défense désespérée française. L’auteur montre les qualités ou les défauts de chaque belligérant, expliquant les échecs des uns et des autres jusqu’à l’arrêt des tentatives allemandes. Commence alors la reconquête française, qui n’est pas sans échecs et qui prolonge la bataille jusqu’en décembre.
L’auteur arrête son travail en décembre 1916 à la fin de la reconquête de la ligne des forts et des crêtes. Il insiste sur la rapidité et l’efficacité de la tactique française et ses conséquences à la tête de l’armée française à court terme avant leur mise en échec en avril 1917.
- Verdun après 1916 : le temps de la mémoire
La dernière partie du livre est consacrée à un long développement sur la mémoire de la bataille. Michaël Bourlet note « elle appartient au club très fermé des géants de la mémoire, elle en est même probablement le chef de file » page 266. Une fois encore, ce chapitre développe avec clarté l’évolution de la mémoire, qu’elle soit privée, associative ou nationale chez les deux anciens belligérants. Il montre aussi la place considérable de la bataille en France encore aujourd’hui malgré son faible impact stratégique à l’époque. C’est l’occasion d’illustrer un autre point fort de l’ouvrage : l’art de la métaphore et de la formule de son auteur. Toujours à propos, cela rend le texte aussi marquant. Pour expliquer pourquoi Verdun a autant marqué, il note page 277 « La bataille de Verdun, apogée de la guerre de tranchées, s’en distingue au moins sur deux points la puissance inédite (mais égalée et dépassée par la suite) du feu, en particulier de l’artillerie, qui blesse la terre et broie les hommes, et la durée des combats, ininterrompus pendant plus de trois cents jours, le tout sur un champ de bataille étroit ». Pour caractériser son résultat, il utilise une métaphore liée aux échecs : « Dans cette partie d’échecs franco-allemande, elle est un colossal pat sur un champ de bataille minuscule à l’échelle de la Première Guerre mondiale » page 306.
Il part de la mise en place très rapide du caractère particulier de la bataille dans la propagande dès mars 1916 : mise en avant des combattants, du caractère spécifique de la ville, du rôle déterminant des chefs dans les succès, à commencer par Pétain. Le rôle de ce dernier et ses décisions sont développés dans le récit et replacés dans le contexte. Il évoque évidemment les problèmes que l’association de Pétain avec Verdun posa jusqu’en 1966. Seule la réactivation récente du personnage à des fins politiques n’est pas abordée.
L’auteur présente cette mémoire avant la Seconde Guerre mondiale, son effacement relatif après, le relais pris par l’État après l’effacement progressif de la mémoire combattante. Sa prédominance va jusqu’au Centenaire dont les célébrations pour 1916 en France furent dominées par la figure de la bataille comme un dernier soubresaut avant des années 2017-2018 plus discrète.
- En guise de conclusion
L’auteur prend soin de bien montrer les particularités de cette bataille, à différentes échelles. Il apporte une vision générale, abordant les deux belligérants sur un temps plus long que celui des combats seuls. Il s’agit d’une synthèse très complète reprenant les dernières avancées de la recherche, facile d’accès et lisible tout en étant clair et précis. Sa publication dans la collection « Champs de bataille » est aussi un gage de qualité. En effet, son directeur, Jean Lopez est une référence pour la Seconde Guerre mondiale en raison de travaux réalisés dans cet esprit de vulgarisation et de renouveau dans « l’histoire bataille ».
Le présent ouvrage est secondé par quelques annexes surtout une bibliographie riche appuyant fort à propos les explications données. Dans le même esprit, les notes de bas de page sont toujours pertinentes et le cahier de cartes est réussi à la fois dans le choix des échelles et dans la lisibilité. Le sens de la formule et la clarté des explications rendent cet ouvrage accessible à tous et même conseillé, plus que de volumineux volumes destinés à prendre la poussière.
- Pour en savoir plus
Découvrez une autre analyse du livre sur le blog des étagères et des livres
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